La deuxième partie
LE CHAPITRE 6
L’oubli, c’est ce qu’on a trouvé de mieux pour les secrets.
Ce n’est pas de la lâcheté, c’est juste la voix de la vie.
La mémoire est pour les morts ou les mourants, l’oubli est pour les vivants.
C’est valable pour les peuples comme pour les individus.
Fabrice Humbert
Bao avait avisé Daniel Bloch qu’elle était partante pour ce petit saut au Cambodge, à la condition qu’ils s’y rendent par bus, ayant toujours craint l’avion. Toute jeune déjà et malgré qu’elle n’en ait vu que très peu, savoir que dans le ciel, à une certaine hauteur, flottaient ces engins d’acier dans lesquels prenaient place des gens en partance vers on ne sait où, lui donnait le vertige. Plus tard, quand les hélicoptères américains débarquèrent à Saïgon, précédés par leur infernale pétarade, qu’ils allaient et venaient, répandant autour et sous eux, canonnade, détonation, déflagration, explosion qu’amplifiait le vent tournicotant dans leurs rotors, son épouvante amplifia.
Il y a maintenant trente ans que ces bruits se sont tus et transformés en de persistants acouphènes. Plusieurs Vietnamiens en sont atteints, d’autres devenus carrément sourds.
La famille de Bao s’était installée tout près du fleuve, à quelques pâtés de maison du Marché aux voleurs, rue Tôn Thất Đạm qui portait à l’époque le nom de rue Chaigneau. Lors de la libération de Saïgon, en avril 1975, se créa cet étrange marché. Les gens s’y rendaient pour vendre le fruit de leurs larcins, principalement du matériel en provenance des propriétés américaines abandonnées ou encore celles des Vietnamiens qui, fuyant l’arrivée du Viet Minh, trouvèrent refuge dans les jardins de l’ambassade des USA, jouant du coude afin de prendre place dans les hélicoptères les acheminant vers les bateaux au large de Vung Tau - Cap-Saint-Jacques durant l’occupation française - ou encore vers l’aéroport Tan Son Nhat.
À ce moment-là, l’enseignante vivait chez ses parents dont les opinions politiques étaient masquées, sauf qu’un doute subsistait quant au plus jeune fils qui avait quitté la maison depuis un certain temps et qu’on n’avait plus revu par la suite.
Des dernières heures de Saïgon ainsi que les mois qui suivirent, Bao se souvient principalement du plus hermétique silence requis de crainte d’être happée par l’atmosphère propice à la délation qui s’installa et s’affichait sous l’étiquette des actes du plus haut civisme.
Il fallut peu de temps pour que les autorités entreprennent une tournée chez ceux et celles pouvant représenter une quelconque menace pour le nouveau système. Les enseignants figurèrent en tête de liste - dans cette maison, on en dénombrait trois : le père et la mère de l’enseignante travaillaient dans une école privée, gérée par des ressortissants français. L’école ferma en mai 1975, envoyant à la rue tous ses employés, sans aucune exception.
Bizarrement, le bracelet de jade qu’elle portait à son poignet ce jour-là, sauva son emploi. Lorsque des soldats se présentèrent à l’école primaire où elle était affectée, on exigea de tous les enseignants et enseignantes qu’ils s’identifient et déclinent leur arbre généalogique.
Vint le tour de Bao. L’officier de service la reçut confortablement installé au bureau de la direction. Son regard se porta sur le bracelet de jade. Il l’interrogea.
- Ce bracelet, provient-il du marché aux voleurs ?
- Non monsieur, il m’a été donné par ma grand-mère.
- Le nom de ton aïeule ?
- Nguyễn Thị Ái Quốc.
Le type recula dans le fauteuil en cuir, fouillant sa mémoire. Il la dévisagea longuement avant de poursuivre.
- Elle est vivante ?
- Nous a quittés il y a quelques mois, au moment...
- Au moment de l’annonce du décès de ton frère ?
- Oui.
Un silence lourd comme une chape de plomb tomba sur eux. Intimant à ses collègues de le laisser seul avec l’enseignante, il se leva, se plaça droit devant elle.
-Son nom veut dire “patriote”, ce qu’elle a toujours été. Je ne puis te dire combien de nos soldats elle a sauvés d’une mort certaine ou d’une arrestation par l’armée sud-vietnamienne. Ton bracelet me l’a immédiatement rappelée, elle le portait la dernière fois que je l’ai rencontrée. Ce signe la distinguait de tous nos autres collaborateurs. Nous la surnommions người gieo tình yêu, la “semeuse d’amour”. Il lui était demandé de cacher sa sympathie pour le Viet Minh, mais son engagement envers la Révolution a toujours été plus fort que tout. C’est moi qui lui ai annoncé le décès de Hô Chi Minh en 1969, puis celle de ton frère, l’an dernier. Impossible d’oublier ces deux moments. Les yeux remplis de larmes, elle tournait et retournait ce bracelet à son poignet, celui que tu portes maintenant, puis, elle m’a offert le thé, répétant “plus que jamais il nous faut aller jusqu’au bout...”
L’officier demanda à Bao s’il pouvait toucher au talisman, ce porte-bonheur. Elle le dégagea de son poignet pour lui remettre. Il ne cessait de le caresser comme s’il retrouvait un objet précieux égaré par mégarde.
- Tu resteras ici, dans cette école. Nous avons besoin de gens comme toi pour faire avancer la Révolution. Je veux que jamais tu ne m’oublies. Si tu as besoin de moi un jour, tu sauras me retrouver.
Il quitta le bureau après lui avoir rendu le bracelet de jade.
************
En route vers le Cambodge
Daniel Bloch et Bao s’étaient donné rendez-vous en ce lundi matin d’avril, au terminus d’autobus desservant le Cambodge. La ville se préparait aux célébrations entourant le 30 avril qui, cette année, revêtiraient un caractère spécial puisqu’il s’agit du trentième anniversaire de la libération de Saïgon, devenue maintenant Hô-Chi-Minh-Ville.
Le voyage vers Phnom Penh durerait environ six heures. Ils avaient convenu y passer une nuit avant de reprendre la route vers la résidence de Saverous Pou, à Kep-sur-Mer, situé à environ 150 km au Sud de la capitale. Celle-ci les avait assurés pouvoir partager quelques heures avec eux, mais compte tenu de son âge avancé et qu’elle se fatiguait rapidement, les discussions pouvaient s’étendre sur deux jours. Une chambre serait préparée à leur intention.
Il s’agirait d’une première longue période de temps, seuls ensemble. Les Vietnamiens peuvent entrer au Cambodge sans obligation de présenter un visa, ce qui n’est pas le cas pour les étrangers. Le voyageur avait reçu très rapidement son visa diplomatique, émis par l’ambassade américaine à Hanoi.
- Bon matin Bao. Vous semblez quelque peu tendue, je me trompe ?
- Vous avez raison. Je vous raconte ce que je viens d’apprendre, une fois dans le bus.
- Rien de grave ?
- Catastrophique serait un meilleur mot.
- Vous m’intriguez !
La voix émanant d’un haut-parleur accroché au fond de la salle d’attente du terminus annonce le départ du bus 330 vers Phnom Penh, ce qui écourta la conversation. Tous les passagers se dirigent vers le transporteur, ticket en main. Une fois les bagages enfouis dans la soute et le chauffeur installé derrière son volant, le responsable affecté à la bonne marche du voyage prit le micro, énonça les différentes étapes du périple. Il entreprit sa distribution de bouteilles d’eau ainsi qu’une lingette humide empaquetée dans une enveloppe aux couleurs de la compagnie de transport Ibis.
Bao prit place côté fenêtre, ses cheveux gris emplissant l’appui-tête ; elle gardait silence, absorbée par le défilement des rues de Saïgon. Il fallut près d’une heure pour qu’apparaissent devant ses yeux les espaces agricoles au Sud de la ville.
Daniel Bloch respectait ce mutisme qui ne cessait de le tourmenter. Il profitait du paysage s’offrant à ses yeux. Le prochain arrêt, la frontière vietnamo-cambodgienne, alors que l’opération visa se mettrait en branle. Personne ne fut autorisé à descendre du bus.
- Je ne veux pas vous brusquer, mais il me semble que des événements se sont produits récemment, au point de vous troubler.
- Oui, Daniel. Je crois maintenant être en mesure d’en parler.
Quelques passagers demandèrent la permission d’attendre à l’extérieur afin de griller une cigarette. Le bus, encore du côté vietnamien de la frontière, ne pouvait avancer davantage, car tous n’étaient pas en règle avec la douane. Une fois l’autorisation accordée, plusieurs se précipitèrent dehors.
- Ce matin, j’ai reçu deux messages sur mon portable, l’un provenant du père de Sứ Giả, précédé par celui de sa fille qui m’informait devoir partir immédiatement vers sa grand-mère dont l’état de santé nécessitait une hospitalisation.
- Ceci vous a rendu inconfortable à ce que je constate.
- Sa fille est morte.
- Pardon ?
- Il a reçu un appel de la part de sa tante du Mékong, celle qui vit avec la grand-mère. Elle lui a annoncé qu’à son retour de la pagode, sa soeur gisait sur son lit. Dans la salle à manger, sa nièce lui sembla avoir eu à se débattre avant de perdre conscience.
- Quelle affaire !
- Il lui apparaissait évident, lui a-t-elle dit, que la jeune fille n’était plus de ce monde, alors que sa soeur agonisait.
- J’en suis bouleversé.
Bao demanda une deuxième cigarette.
- Je l’ai immédiatement rejoint au téléphone et voici en résumé ce qu’il m’a raconté. La grand-mère demeurait seule à la maison, alors que sa soeur partit à la pagode. Une fois de retour, le chien lui a semblé dans un état inhabituel. C’est alors qu’elle vit la dépouille de la jeune fille étendue à l’entrée, sa soeur inerte, allongée sur son lit et toujours vivante. Elle lui aurait dit qu’un homme se serait présenté, se qualifiant de médecin à qui on aurait demandé de se rendre auprès d’elle, car son état exigeait une intervention urgente. Il lui aurait administré une injection. L’arrivée fortuite de sa petite-fille l’aurait obligé à abréger le traitement afin de recevoir la nouvelle venue. Une altercation serait alors survenue, c’est ce qu’elle a pensé car des chaises se retrouvaient éparpillées dans la salle à manger. Devant la gravité de la situation, la grand-mère aurait simulé l’inconscience. Elle a eu le temps de lui parler. L’homme aurait dépouillé la jeune fille de tout ce qu’elle possédait, puisqu’elle ne voyait pas son sac à dos et que sa robe présentait des traces évidentes d’une fouille systématique. Il aurait quitté les lieux.
- Cette histoire est tout simplement biscornue.
- Ce n’est pas tout. La grand-mère a déclaré à sa soeur que celle-ci devait absolument faire suivre ces informations à son fils, le père de Sứ Giả. Dans sa voix chargée d’émotions, il me fut difficile de bien saisir la suite de ses paroles. Je sentais qu’il me communiquait tout dans un complet désordre.
- Tout à fait compréhensible.
- Il a parlé d’une lettre remise à sa petite-fille, qu’elle qualifiait de la dernière reçue, de quelque chose d’important enterré dans le potager ainsi que de toute une série de courriers parvenus durant plusieurs années, pouvant avoir été postés par son mari. Il insistait sur le fait que cela lui était complètement inintelligible, que c’était la première fois qu’il en entendait parler et qu’il se questionnait sur le fait que sa propre fille soit au courant, mais pas lui.
Le responsable du bus pria tout le monde de reprendre place, car on repartait.
Ils furent les derniers à remonter dans le car, cette pause leur permit de réfléchir au fait que ce nouvel événement ne pouvait pas être étranger à la situation générale qui entoure cette scabreuse affaire des anciens colonels. Une chienne a été liquidée, la serveuse du café devenue invisible, maintenant disparaissait l’étudiante à l’origine de tout et sa grand-mère, une informatrice de première main, dont on ne savait pas dans quel état elle se trouve.
- Dans quoi sommes-nous embarqués, Daniel ?
- Pouvons-nous, à ce moment-ci, mieux comprendre la situation ?
- Je la résume en peu de mots : à la suite de la lecture de ces lettres, j’ai tout simplement fait fausse route.
- Que voulez-vous dire exactement ?
- Après les avoir reçues, j’ai eu l’impression d’entrer au coeur d’une belle histoire d’amour, la guerre en arrière scène, toutes les émotions qu’une telle séparation provoque. Un homme quitte la femme qu’il vient d’épouser, enceinte de leur enfant et part pour la guerre. Elle l’attendra, il lui écrira, les deux espérant que la vie revienne à la normale à son retour, afin qu’ils puissent élever leur fils ou leur fille et former une famille heureuse. Une belle histoire romanesque que les gens adorent se faire raconter, mais vous avez semé un doute dans mon esprit, celui d’un possible code inséré dans chacun des courriers. Les trois anciens colonels avaient déjà éclaboussé ma belle histoire à l’eau de rose en y injectant une foule d’énigmes, de questions de plus en plus complexes qui me sont apparues relever de domaines dont la substance qui les nourrit remonte à d’autres niveaux, peut-être même jusqu’à celui de l’administration.
- Actuelle ou celle d’un certain passé ?
- Je ne saurais dire.
Le responsable du bus voyait à ce que la musique qui agrémentait la route soit correcte, le son ni trop bas ni trop haut. Il alternait entre celle du Sud (Nam) et celle du Nord (Bac), ce qui plaisait aux passagers.
- Vous savez, cela me rappelle un événement qui date de plusieurs années déjà. Je crois que si je réussis à rejoindre ce type qui en a été l’acteur important, il pourrait, s’il le peut et s’il le souhaite, nous aider à faire quelques pas de plus dans notre démarche. Je ne crois pas me tromper en avançant l’idée que les anciens colonels sont véritablement au centre de tout.
- J’en suis également convaincu.
- Au retour du Cambodge, nous devrons revenir dans le Mékong, afin de déterrer ce qui est caché dans le potager de la grand-mère.
Bao fut interrompue par un message qui entrait sur son portable. Il provenait du père de son étudiante lui annonçant le décès de la grand-mère.
- Le type du Mékong qui s’est fait passer pour un médecin, qui a liquidé mon étudiante la dépouillant de tout ce qu’elle possédait, possiblement la dernière lettre remise par sa grand-mère, car il faut nous rappeler qu’elle avait bien averti sa petite-fille de ne l’ouvrir qu’une fois qu’elle serait morte, je ne serais pas du tout surprise que Sứ Giả ait jugé pertinent de l’apporter avec elle, si un tel malheureux incident se produisait à ce moment-là. La situation d’urgence annoncée par ce type et si ce bonhomme est à la charge de nos trois militaires, il leur aura donc remis tout ce qu’il a pu récupérer sur place. Nous ne savons rien de son contenu, mais s’il y est fait mention de la cachette dans le potager, dont a parlé la tante, cela devient une course contre la montre.
- Que nous avons perdue...
- Nous sommes alors sur la ligne de départ d’un autre piégeage.
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L’entrée au Cambodge signifia l’arrivée de davantage de chaleur. C’est à croire que tout le torride entre le Vietnam et ici, s’installe au même endroit, au même moment. Le bus en était à son dernier arrêt avant Phnom Penh. À l’extérieur, un groupe de passagers s’agglutinaient autour d’un type qui vantait les mérites de la dégustation d’insectes. Les voyageurs en provenance des pays occidentaux manifestaient une répugnance sans équivoque, alors que les Vietnamiens s’intéressant à ce type de cuisson y goûtaient.
Plus que 50 kilomètres avant la capitale cambodgienne. Daniel Bloch, à son premier séjour dans ce pays limitrophe du Vietnam, ne cessait de regarder à gauche et à droite, surpris par l’organisation rurale, les maisons sur pilotis, les animaux d’élevage vivant en concomitance avec les agriculteurs, les chiens omniprésents et le fait que l’électricité ne semblait pas être répandue partout. Il tentait d’imaginer à quoi pouvait ressembler cette région lorsque les Khmers Rouges étaient les maîtres de céans.
Impossible de chasser de son esprit tous ces éléments truffés d’ingrédients bizarres, leur évolution et à quelle vitesse cela se produisait, l’invitait à ramasser les informations factuelles qu’il possédait pour arriver à une sorte d’itinéraire des actions à entreprendre. Comment oublier le fait qu’il s’était engagé dans cette affaire uniquement parce que Bao en faisait partie ? Toutefois, il devait dissocier ses sentiments envers elle et le dossier des anciens colonels.
Ils arrivèrent à Phnom Penh.
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Docteure Méghane leur avait conseillé l’hôtel où elle logea lors de son dernier séjour dans la capitale cambodgienne. Fort bien situé, tout près du palais royal, pas très loin du Musée national qu’ils venaient tout juste de quitter. Le lendemain était réservé à une visite du Musée du génocide Tuol Sleng.
Daniel Bloch, souhaitant rendre ce court voyage agréable et exempt de tout malentendu, réserva une suite comprenant deux chambres fermées. Le groom avait laissé les valises à l’entrée de la vaste pièce, préparé le cocktail de bienvenue et remerciés pour le pourboire qu’on lui offrit.
- J’aimerais vous lire le message que j’ai laissé sur le portable de la docteure Méghane, après avoir parlé au père de Sứ Giả, ce matin.
- Vous a-t-elle répondu ?
- D’abord le mien, puis sa réponse.
Bao prit place dans un fauteuil placé devant la fenêtre donnant sur le fleuve Tonlé Sap, prit une gorgée de ce qui lui sembla être un mélange de différents jus de fruits auquel on aurait ajouté un léger soupçon d’alcool. Elle entreprit sa lecture.
- Docteure Méghane, Daniel et moi sommes à quelques minutes de partir pour le Cambodge. Reçu un bien triste message de la part du papa de mon étudiante Sứ Giả. Appelée en urgence auprès de sa grand-mère du Mékong, elle aurait été mortellement agressée par un inconnu s’y étant présenté à titre de médecin. La tante de Sứ Giả, revenue sur les lieux, s’est précipitée auprès de sa soeur gisant sur son lit. Elle a entendu quelques mots, mais ils lui sont incompréhensibles. Je ne connais pas l’état de santé de la grand-mère, si les parents sont partis vers le Mékong, si la police a été appelée à mener une enquête. Je suis impuissante devant ces faits que je vous transmets, souhaitant que vous puissiez nous éclairer.
Elle s’arrêta, déposa son portable sur ses genoux, reprit son souffle qui s’était emballé au cours de la lecture. Elle voguait entre tourment et inquiétude. Ses yeux fixaient dehors.
- Si vous souhaitez que l’on retourne à Saïgon dès maintenant, je peux nous excuser auprès de Saverous.
- Non, je suis tout simplement incertaine d’avoir bien expliqué la situation, mais écoutez ce que la docteure m’a transmis quelques heures après avoir confirmé la réception de mon message.
Bao, je suis allée aux informations, passant directement par le contact qu’entretient ma compagnie, ici à Saïgon. On n’était pas au courant de l’affaire et devant une certaine insistance de ma part, la première chose qu’on a fait, a été de faire bloquer les alentours de la maison de la grand-mère. Je dois malheureusement vous informer qu’elle n’a pas survécu à cet attentat. Je le nomme ainsi, car il semble se fondre à d’autres événements récents. On m’a assuré que personne ne pourra s’approcher ni des deux cadavres retrouvés dans la maison ni de la tante qui a été prise en charge par l’administration locale de Mỹ Tho. Puisque les ordres proviennent du ministère de l'Intérieur, vous imaginez tout le zèle qu’on affichera à faire respecter ces consignes. J’ai annoncé qu’à titre de médecin, je tenais à ce qu’on m’assigne la responsabilité de rédiger les certificats de décès. On a accepté. Je suis en attente de la voiture du ministère qui me conduira là-bas. Vous n’avez donc pas à modifier votre plan de voyage. Comptez sur moi pour suivre l’évolution du dossier et vous en informer aussitôt. Je suis désolée pour votre étudiante et sa grand-mère qui prenait une place importante dans nos recherches. Je vous envoie un autre message ce soir, d’ici là détruisez celui-ci.
La pièce climatisée que Daniel Bloch arpentait, présentait un indéniable confort. Partis de bon matin, parcourus plus de 200 km, ressenti la chaleur suffocante du Cambodge, mangé sur le pouce, visité ce musée à toute vitesse - on annonçait sa fermeture dans moins d’une heure - tous deux ressentaient une fatigue qu’ils arrivaient difficilement à cacher.
- Nous allons prendre quelques heures de repos en attendant des nouvelles de la docteure Méghane, puis nous irons dîner à la salle à manger de l’hôtel. Qu’en pensez-vous ?
- Entièrement d’accord. Merci, pour l’attention que vous avez affichée dans le choix de cette chambre.
Bao s’avança vers lui, l’embrassa si doucement qu’il eut l’impression d’être frôlé par les ailes d’un papillon. Refermant la porte de sa chambre, trois instants plus tard, la douche se mit à bruiner. Elle n’entendit pas le bip sur son portable, annonçant l’entrée d’un message.
La docteure Méghane venait de laisser celui-ci.
La vitesse à laquelle la situation évolue dans le Mékong devient un facteur essentiel dans ma démarche. J’ai communiqué avec les parents de Sứ Giả qui ont souhaité m’accompagner. Je constate que leur présence facilite les choses et du même coup les accélère, puisque les autorités d’ici connaissent la famille qui, vous l’imaginez bien, est complètement défaite, au bord de la crise de nerfs. Par chance, la tante, toujours sous la protection des policiers locaux, n’a pas eu à répéter son histoire devant les voisins inquiets qui s’agglutinent en face du bureau du Comité populaire. Les parents de votre étudiante et moi, nous sommes partagés la tâche : eux, auprès de la tante alors que je m’occupe de la demeure où la catastrophe s’est jouée. Ils m’ont informée des détails sommairement racontés par la tante. Parlant d’un chien inconscient étendu devant la porte d’entrée, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à celui de monsieur Bloch. Le périmètre de sécurité comprend la maison ainsi que le terrain sur lequel elle est assise, potager compris. Le choc ressenti à la vue de la jeune fille, inerte au milieu de la salle à manger, est difficile à décrire. La grand-mère reposait sur son lit. À ma grande surprise, elle avait toujours les yeux ouverts, ce qui n’était pas le cas pour la jeune fille. Il m’apparaît clair, à première vue, que la mort les a fauchées il y a moins de quatre ou cinq heures. Rien ne laisse présager qu’elles aient été brutalisées, mais plutôt surprises. Ce qui a frappé mon attention, c’est le bras gauche de Sứ Giả, tout comme celui de la grand-mère, les deux semblaient avoir reçu une injection. Le trou d’une aiguille plus apparent à l’épaule de la jeune fille. Autre détail, terrifiant celui-ci, de la glaire imprégnée autour des lèvres de chacune. J’ai immédiatement établi un lien entre le poison que l’on a servi à Fany et ce qui s’offrait à mes yeux. Cette hypothèse reste à confirmer. Le jeune policier assigné par le ministère de l'Intérieur a pris des photos de la scène. Je lui ai demandé de faire venir une ambulance, ainsi qu’un médecin travaillant dans la région. Il s’est éloigné, pianotant sur son portable. J’en ai profité pour me rendre au potager, comme me l’avaient dit les parents des défuntes. Il m’a fallu quelques instants pour découvrir un endroit où quelque chose aurait pu être enterrée. J’ai gratté et récupéré un sac plastique que j’ai camouflé dans ma trousse médicale. Voilà pour les dernières nouvelles, je serai en mesure, demain au plus tard, de tout mettre à jour. Détruire après avoir lu. Merci.
Tu connais le dicton :
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