vendredi 26 février 2010

Le trois cent trente-septième saut / Le trois-cent-trente-septième saut



Depuis un certain temps, j’ai honte. Et cela me dérange. Je me suis donc mis à chercher le pourquoi du pourquoi, le comment du comment, enfin toutes ces questions qui essaient de faire le tour d’un problème ou d’une situation.

D’abord, définir le mot «honte : de Robert en Larousse, d’étymologie en analogie, de synonymes en antonymes… j’en suis arrivé au fait que l’on peut, soit éprouver ou infliger de la honte : avoir honte ou faire honte.

Voici donc où se situe mon propos éditorial en cette fin de février, mois de la déprime occasionnée par un manque de lumière ou une certaine langueur de l’âme… On a le choix.

Donc, j’ai honte. Pour mieux traduire mon sentiment, je devrais dire : j’ai honte parce qu’on me fait honte. J’éprouve une honte que l’on m’inflige. – Je sens du côté du lecteur une certaine hâte à ce que j’arrive à l’essentiel de mon propos… -

Il y a quelques années (depuis la livraison de mon premier passeport canadien, en 1972), voyager à l’extérieur de cet immense pays qu’est le Canada me permettait de constater à quel point, mon pays mes amours! … trônait au cœur d’une certaine élite mondiale, parmi le gratin de ceux dont on disait de belles et bonnes choses, un endroit où il faisait bon vivre. On parlait de l’engagement nos casques bleus (ONU) qui menaient rondement et efficacement des missions de paix un peu partout dans le monde. On encensait notre mode de vie, à la fois moderne et respectueux des traditions nordiques. On nous (les Québécois, Canadiens-Français de l’époque) savait sujets britanniques mais un tantinet rebelles, aux idées autonomistes parfois sécessionnistes réclamant une terre française en terre canado-américaine majoritairement anglophone, et on trouvait cela intéressant. On ne pouvait situer exactement le Québec sur une carte géographique mais c’était la même chose pour le Canada si grand entre deux océans et au-dessus des États-Unis d’Amérique. On aimait notre accent savoureux rappelant à certains Français de France que nous étions, à échelle réduite, de la mouture des ancêtres Gaulois. En fait, on parlait du Canada de bien belle manière.

Puis tout a changé. Sans tomber dans une mesquine analyse politico-socio-etc., je suis en mesure de croire que l’arrivée du seigneur Harper, Stephen de son auguste prénom, et de sa troupe hybride (conservateurs + réformistes) eh! bien (je le sais, c’est une faute mais je préfère l’écrire ainsi) c’est à partir de là que remonte ma honte, qu’elle s’enracine.

Je n’ai jamais été un Canadien émérite, ayant plutôt vécu dans les officines du nationalisme québécois, mais mon passeport canadien renouvelé depuis près de quarante ans, ce passeport me rappelle suprêmement que je le suis de droit.

Je n’ai pas honte du passeport, il est quand même agréable à voir, bien fait et me permet toujours de circuler un peu partout avec facilité. Ce n’est pas là que le bât blesse. C’est plutôt lorsqu’on parle du Canada (ici et ailleurs), du Canada de maintenant, de ce gouvernement minoritairement actuel mais qui agit avec une majoritaire audace, c’est là que la honte envahit mon âme… de février!

Nous (un nous inclusif, je le sens bien) sommes maintenant perçus et reconnus comme des barbares de par le monde. Nous (l’armée canadienne en notre nom) tuons à tort et à travers en Afghanistan et cela pour défendre des valeurs que nous ne respectons même pas en terre canadienne. Nous (le gouvernement mineur de Harper et compagnie, en notre nom) réduisons de minimums à plus minimums encore nos gestes significatifs afin de contrer les effets néfastes liés aux changements climatiques, à un point tel qu’il est judicieux de se demander si le problème existe réellement pour Harper et compagnie. Nous fûmes pointés du doigt, plus d’une fois d’ailleurs, à Copenhague comme étant le pays le plus rétrograde dans ce domaine essentiellement urgent. Nous (toujours ces objets de honte que sont nos dirigeants actuels) refusons de reconnaitre à un citoyen canadien (un enfant-soldat) ses droits élémentaires et qui plus est, le laissons croupir dans une prison qui rebute même aux Américains. Nous (je n’insiste pas) prorogeons le Parlement (la Chambre des Communes), muselons la démocratie et ses représentants, renvoyons aux calendes grecques tous les projets de loi en voie d’être adoptés et pire encore, mettons fin aux travaux d’un comité dont le mandat était de faire la lumière sur la participation de notre armée canadienne à la torture de certains prisonniers afghans. Nous imposons d’inutiles sénateurs pour des raisons purement stratégiques alors que l’institution même du Sénat a toujours été remise en question par ce parti minoritairement au pouvoir. Nous recevons de leur part ce message démocratique : une fois le vote enregistré dans les urnes électorales, tout est fini, là s’achève la démocratie et laissez-vous diriger là où on le veut bien.

Voici une liste peu exhaustive des raisons alimentant mon sentiment de honte, sentiment qui se dirige maintenant en extrême droite ligne vers l’inquiétude. Je suis inquiet pour la suite des choses, ce qui pourrait survenir à moyen terme si, dieu nous en préserve, de minoritaire, ce Harper et compagnie se retrouvait en situation de gouvernement majoritaire.

Que faire alors? Le cynisme ambiant par rapport à tout ce qui a trait à la politique ou du moins à l’implication citoyenne n’a rien pour susciter l’encouragement. Et ça semble être planétaire.

Personnellement - et j’aborde la question de manière purement «locale» - je crois qu’il me faut, et le plus rapidement possible, exiger un autre passeport que celui que m’émet le Canada. Je ne dis pas que changer de pays soit l’unique solution, je pense très sérieusement qu’il ne m’est plus possible de demeurer Canadien dans les conditions actuelles.

Ne pas respecter la planète… Ne pas respecter la démocratie… Ne pas respecter les droits individuels… Ne pas respecter la paix dans le monde… Voilà les nouvelles valeurs canadiennes auxquelles je ne souscris pas.

Je fais appel ici à mes compatriotes québécois: il faut dès maintenant que nous sortions de ce piège qui nous empoigne l’âme et «bush» l’espoir. Je propose donc aux propriétaires québécois d’un passeport canadien et qui croient, un tant soit peu, que ce nouveau Canada ne correspond plus à ce qu’ils attendent d’un État du siècle XXI, retournent leur passeport puis s’engagent à faire du Québec un pays libre, autonome, souverain, indépendant et ouvert aux autres pays qui vont dans le même sens!

Restera toutefois cette obsédante question : pourquoi la honte et l’inquiétude ne rejoignent-elles pas les Harper et compagnie ?


Au prochain saut

- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe. -

lundi 22 février 2010

Le trois cent trente-sixième saut / Le trois-cent-trente-sixième saut



On continue avec Savater.

. Tous ceux qui veulent démissionner de leurs responsabilités croient à l’irrésistible, aux dominations implacables, que ce soit la propagande, la drogue, l’appétit, la subordination, les menaces, la façon d’être… n’importe quoi.

. La belle vie humaine n’est jamais offerte sur un plateau et personne n’obtient ce qui lui convient sans y consacrer courage et efforts : voilà pourquoi vertu dérive étymologiquement de «vir», la force virile du guerrier qui s’impose au combat contre le plus grand nombre.

. La personne responsable est consciente de la réalité de sa liberté. Et de la souveraineté de ses décisions. La responsabilité, c’est de savoir que chacun de mes actes me construit, me définit, m’invente. En choisissant ce que je veux faire, je me transforme peu à peu. Chacune de mes décisions laisse une trace en moi, avant de la laisser dans le monde qui m’entoure. Et, bien sûr, après avoir employé ma liberté à me façonner un visage, je ne peux plus me plaindre ni m’effrayer de ce que je vois dans le miroir quand je m’y regarde… Si j’agis bien, j’aurai de plus en plus de difficultés à agir mal (et inversement, hélas!) : l’idéal est donc de prendre la mauvaise habitude… de bien vivre.

. … qui vole, ment, trahit, viole, tue ou abuse son prochain d’une façon ou d’une autre ne cesse pas pour autant d’être un humain.

. … une des caractéristiques principales de tous les êtres humains, c’est la capacité d’imitation. C’est pourquoi l’exemple que nous donnons à nos congénères sociaux est si important : dans la plupart des cas, ils nous traitent comme ils auront été traités.

. Mais l’ignorance, même si elle est contente d’elle-même, est aussi une forme du malheur.

. … que signifie traiter des personnes comme des personnes, c’est-à-dire humainement? Réponse : cela signifie essayer de se mettre à leur place, les comprendre de l’intérieur, les prendre au sérieux.

. Échanger, c’est accepter d’appartenir dans une certaine mesure à la personne qui est en face, et inversement.

. Justice (la vertu) : l’habileté et l’effort que nous devons tous fournir – si nous voulons bien vivre – afin de comprendre ce que nos semblables peuvent attendre de nous.

. Ce qui se cache derrière toute cette obsession sur «l’immoralité» sexuelle est tout simplement une des plus vieilles craintes sociales de l’homme : la peur du plaisir.

. Pourquoi le plaisir fait-il peur? Sans doute parce qu’il nous plaît exagérément.

. Toute chose peut finir par faire mal ou faire le mal, mais aucune chose n’est mauvaise parce que tu as pris plaisir à la faire.

. Puritain : une personne qui reconnaît une bonne chose à ce que nous n’avons aucun plaisir à la faire; une personne qui trouve toujours plus méritoire de souffrir que de jouir (quand, en réalité, il est parfois plus méritoire de bien jouir que de souffrir mal). Le puritain croit que la personne qui vit bien doit le supporter très mal, et qu’être mal est la preuve qu’on est bien.

. Carpe diem : cela ne veut pas dire que tu doives rechercher dès aujourd’hui tous les plaisirs, tu dois seulement rechercher tous les plaisirs d’aujourd’hui.

. Le plaisir est agréable, mais il a une fâcheuse tendance à l’exclusivité : si tu t’y adonnes trop généreusement, il peut te dépouiller de tout sous prétexte de te régaler.

. Quand un plaisir te tue, ou quand il est toujours – pour t’apporter le plaisir – sur le point de te tuer ou de tuer en toi ce qu’il y a d’humain dans ta vie (ce qui le rendait si riche et complexe et te permettait de te mettre à la place des autres)… c’est un châtiment déguisé en plaisir, un vil piège de notre ennemie la mort.

. Je ne veux pas des plaisirs qui me permettent de m’évader de la vie, je veux ceux qui me la rendent plus intensément agréable.

. L’art de mettre le plaisir au service de la joie, c’est-à-dire de la vertu qui sait ne pas tomber du goût dans le dégoût, est appelé depuis des temps anciens la tempérance (une connivence intelligente avec l’objet de notre jouissance).

. L’exigence de tout être humain de recevoir le même traitement que les autres, quels que soient son sexe, la couleur de sa peau, ses idées et ses goûts, etc. s’appelle la dignité.

. Parfois, l’État, sous prétexte d’aider les invalides, finit par traiter toute la population comme si elle était invalide.

. Il faut savoir ce qu’on veut et réfléchir à ce que l’on fait.

Tirée du roman LE LISEUR, elle est de Bernhard Schlink :

. Tout ce que j’avais pu trouver sur l’analphabétisme au cours de toutes ces années, je l’avais lu. Je savais le désarroi qu’il impliquait dans la vie de tous les jours, pour trouver un chemin ou une adresse ou choisir un plat au restaurant, je savais l’anxiété qui fait suivre des schémas tout préparés et une routine bien éprouvée, je savais quelle énergie cela exige de dissimuler qu’on ne sait ni lire ni écrire, et que cette énergie est prise sur la vie. L’analphabétisme condamne à un statut de mineur. En ayant le courage d’apprendre à lire et à écrire, Hanna avait franchi le pas vers la majorité et l’autonomie, dans une démarche d’émancipation.

Goethe : «Quand je vois que nous épuisons toutes nos forces à satisfaire des besoins, et que ces besoins ne tendent qu’à prolonger notre misérable existence… tout cela mon ami me rend muet.

Guerrier-Provost : «L’amour-passion est quant à lui en faveur de la démesure qui repousse et dépasse les limites ordinaires du quotidien banal, souvent inodore, incolore et insipide aux yeux du passionné.»

Sun Tzu a écrit L’ART DE LA GUERRE, il y a vingt-cinq siècles. Cette citation met fin au cahier 3 :

. Par autorité j’entends les qualités de sagesse, d’équité, d’humanité, de courage et de sévérité du général. Si le chef est doué de sagesse, il est capable de reconnaître les changements de circonstances et d’agir promptement. S’il est équitable, ses hommes seront sûrs de la récompense et du châtiment. S’il est humain, il aime autrui, partage ses sentiments et apprécie son travail et sa peine. S’il est courageux, il remporte la victoire en saisissant sans hésiter le moment opportun. S’il est sévère, ses troupes sont disciplinées parce qu’elles le craignent et redoutent le châtiment.


Au prochain saut

jeudi 18 février 2010

Le trois cent trente-cinquième saut / Le trois-cent-trente-cinquième saut



J’étais convaincu que le cahier de lecture numéro 3 pouvait aller rejoindre ses deux premiers confrères sur la dernière tablette de la bibliothèque et devenir une relique ou un souvenir de toutes ces heures passées à noter des passages de lecture que j'aimais. Afin de bien m’en assurer, je le feuillète une dernière fois et découvre qu’il y restait quelques citations encore inutilisées. Je vous les envoie.

Ces quelques-unes de Fernando Savater tirées d’ÉTHIQUE À L’USAGE DE MON FILS :

. Méfie-toi des maires, des curés ou policiers; des dieux et des diables, des machines et des drapeaux. Aie confiance en toi. En l’intelligence qui te rendra meilleur et en l’instinct de ton amour qui t’épanouira et te permettra d’être toujours en bonne compagnie.

. La morale est un ensemble de comportements et de normes considérés comme valables par toi, moi et quelques personnes autour de nous; l’éthique est une réflexion sur le pourquoi de cette considération, et une comparaison avec d’autres morales observées par d’autres.

. Qu’est-ce que je veux te dire en choisissant «Fais ce que voudras» comme devise fondamentale de cette éthique que nous essayons de cerner? Tout simplement qu’il faut laisser tomber ordres et habitudes, récompenses et punitions, en un mot tout ce qui prétend te diriger de l’extérieur : c’est un problème que tu dois te poser de l’intérieur. Ne demande à personne ce que tu dois faire de ta vie : interroge-toi. Si tu veux savoir comment employer ta liberté au mieux, ne la gaspille pas en la mettant au service des autres, aussi bons, sages et respectables soient-ils : sur l’usage de ta liberté, interroge… la liberté.

. Les hommes veulent parfois des choses contradictoires qui provoquent des conflits. Il est essentiel de savoir établir des priorités et d’imposer une certaine hiérarchie entre ce qui plaît sur le coup et ce qu’on veut au fond, à long terme.

. La vie est un tissu de temps, notre présent est plein de souvenirs et d’espérances… notre vie est un tissu de relations humaines…

. Car le charme de toutes choses réside justement dans ce qu’elles permettent – en tout cas en apparence – d’avoir plus facilement des relations avec autrui!

. Nous voulons aussi être traités comme des humains, car l’humanité dépend dans une grande mesure de ce que les uns font aux autres.

. Il n’y a pas d’humanité sans apprentissage culturel et, pour commencer, sans la base de toute culture (ce qui constitue donc le fondement de notre humanité), à savoir le langage.
. C’est pourquoi parler avec quelqu’un et l’écouter, c’est le prendre pour un être humain, ou tout au moins le traiter comme tel.

. L’humanisation (à savoir ce qui nous transforme en êtres humains, en ce que nous voulons devenir) est un processus réciproque (comme le langage). Pour que les autres puissent me rendre humains, je dois aussi les rendre humains; s’ils sont tous comme des choses ou des bêtes vis-à-vis de moi, je ne vaudrai jamais plus qu’une chose ou qu’une bête. C’est pourquoi s’offrir une belle vie n’est finalement pas très différent d’offrir une belle vie.

. … une chose – fût-elle la meilleure au monde – ne peut donner que des choses.

. En traitant les personnes comme des personnes et non comme des choses (c’est-à-dire en tenant compte de ce qu’elles veulent ou nécessitent, et pas seulement de ce que je peux tirer d’elles), je leur permets de me donner ce que seule une personne peut accorder à une autre personne.

. En ne transformant pas les autres en choses, nous défendons au moins notre droit à ne pas être des choses pour les autres.

. Je crois que la condition éthique première et indispensable est de se résoudre à ne pas vivre n’importe comment : être convaincu que tout n’est pas sans importance, même si on doit mourir tôt ou tard.

. À quoi ressemble cette conscience qui doit nous guérir de l’imbécillité morale?
a) Savoir que tout ne revient pas au même, car nous voulons réellement vivre, et qui plus est vivre bien, humainement bien.
b) Surveiller résolument si ce que nous faisons correspond à ce que nous voulons vraiment.
c) À partir de notre pratique, cultiver le bon goût moral qui développe notre répugnance à faire certaines choses.
d) Renoncer aux alibis qui cachent que nous sommes libres et donc raisonnablement responsables des conséquences de nos actes.


. … qui est égoïste sans être un imbécile? Celui qui veut le meilleur pour lui-même.

. … les adultes revendiquent toujours leur liberté pour s’attribuer le mérite de leurs réussites, mais préfèrent s’avouer «esclaves des circonstances» quand leurs actes n’ont rien de vraiment glorieux.

. Et le sérieux de la liberté, c’est qu’elle a des effets indéniables, qu’on ne peut effacer à notre guise quand ils se produisent.

. Le sérieux de la liberté, c’est que chacun de mes actes libres restreint mes possibilités futures quand j’opte pour l’une ou l’autre d’entre elles. Et inutile d’attendre le résultat, bon ou mauvais, pour en assumer éventuellement la responsabilité.

. Le «remords» est donc ce mécontentement que nous éprouvons vis-à-vis de nous-mêmes quand nous avons employé notre liberté à l’inverse de ce que nous voulons vraiment en tant qu’êtres humains. Et être responsables, c’est se savoir authentiquement libre, pour faire le bien ou le mal, assumer les conséquences de ses actions, réparer les dégâts dans la mesure du possible et profiter du bien au maximum.


Je crois qu’il faudra bien au moins un autre saut pour finaliser le cahier 3. J’achève celui-ci avec une citation d’Erich Fromm :
. L’éthique humaniste, contrairement à l’autre, peut aussi être définie selon des critères matériel et formel. Formellement, elle est fondée sur le principe que seul l’homme peut décider en quoi consiste la vertu et le péché, et que ce choix n’appartient pas à une autorité qui le transcende. Matériellement, elle s’appuie sur le principe que le «bien» est ce qui est bon pour l’homme et le «mal» ce qui lui est préjudiciable. Le seul critère de valeur éthique est le bonheur de l’homme.

Au prochain saut

dimanche 14 février 2010

Le trois cent trente-quatrième saut / Le trois-cent-trente-quatrième saut



En ce jour de la Saint-Valentin, je vous offre ce poème de Gérard de Nerval.



PENSÉE DE BYRON
Élégie

Par mon amour et ma constance,
J’avais cru fléchir ta rigueur,
Et le souffle de l’espérance
Avait pénétré dans mon cœur;
Mais le temps, qu’en vain je prolonge,
M’a découvert la vérité,
L’espérance a fui comme un songe…
Et mon amour seul m’est resté!

Il est resté un abîme
Entre ma vie et le bonheur,
Comme un mal dont je suis victime,
Comme un poids jeté sur mon cœur!
Pour fuir le piège où je succombe,
Mes efforts seraient superflus;
Car l’homme a le pied dans la tombe,
Quand l’espoir ne le soutient plus.

J’aimais à réveiller la lyre,
Et souvent, plein de doux transports,
J’osais, ému par le délire,
En tirer de tendres accords.
Que de fois, en versant des larmes,
J’ai chanté tes divins attraits!
Mes accents étaient plein de larmes,
Car c’est toi qui les inspirais.

Ce temps n’est plus, et le délire
Ne vient plus animer ma voix;
Je ne trouve point à ma lyre
Les sons qu’elle avait autrefois.
Dans le chagrin qui me dévore,
Je vois mes beaux jours s’envoler;
Si mon œil étincelle encore,
C’est qu’une larme va couler!

Brisons la coupe de la vie,
Sa liqueur n’est que du poison;
Elle plaisait à ma folie,
Mais elle enivrait ma raison.
Trop longtemps épris d’un vain songe,
Gloire! Amour! vous eûtes mon corps :
Ô gloire! tu n’es que mensonge;
Amour! tu n’es point le bonheur!

Gérard de Nerval
Tiré des Odelettes

Au prochain saut

jeudi 11 février 2010

Le trois cent trente-troisième saut / Le trois-cent-trente-troisième saut



Retour sur la nouvelle orthographe. Vous devez, tout comme moi, devenir assez habile maintenant.

5) Les verbes en –eler ou en –eter se conjuguent sur le modèle de peler ou de acheter. Les dérivés de –ment suivent les verbes correspondants. Font exception à cette règle appeler, jeter et leurs composés (y compris interpeler).

(AN ) j’amoncelle (NO) j’amoncèle
(AN) amoncellement (NO) amoncèlement
(AN) tu époussetteras (NO) tu époussèteras

Avec cette nouvelle règle, il n’u a plus lieu de mémoriser de longues listes de verbes dont la conjugaison variait parfois même d’un dictionnaire à l’autre.

Voici quelques exemples qui appliquent la nouvelle orthographe :

. amonceler : il amoncèle; il amoncèlera; il amoncèlerait
. amoncèlement
. becqueter ou béqueter : il becquète ou béquète; il becquètera ou béquètera; il becquèterait ou béquèterait
. célébrer : il célèbre; il célèbrera; il célèbrerait
. chanceler : il chancèle; il chancèlera; il chancèlerait
. chancèlement
. déniveler : il dénivèle; il dénivèlera; il dénivèlerait
. dénivèlement
. empiéter : il empiète; il empiètera; il empièterai
. empiètement.


Pour ceux et celles qui me demandent s’il existe un document permettant de corriger un texte à partir de la nouvelle orthographe, je vous suggère le logiciel RECTO : voici le lien :

http ://www.uclouvain.be/recto-verso/essaie-recto.html



«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»


A L M É E (nom féminin)
. danseuse égyptienne lettrée
. danseuse orientale



A N A T I F E (nom masculin)
. crustacé qui se fixe aux objets flottant en mer



Pour clore ce saut, voici un sixième «cadavre exquis» :


CADAVRE EXQUIS
NUMÉRO 6


très loin
à tout juste un pas de l’horizon
un astronaute marche dans la ruelle
il parle tout seul

si mourir avait un sens
qui le suivrait?

- s’il y a de l’ombre c’est qu’il y a de la lumière -

temps - police de l’univers - police l’univers

en appel à la lumière
à cette clarté
du fond des âmes rêveuses
là où s’éclaircit la noirceur
(leur bolide se dirige vers le mur)
à vive allure


Au prochain saut

- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe. -







dimanche 7 février 2010

Le trois cent trente-deuxième saut / Le trois-cent-trente-deuxième saut



Il faut admettre, si on exclut le saut 330, que les poèmes se font rares sur le blogue du crapaud. Je vous avais habitué à davantage. On se reprend aujourd’hui.

Le poème que vous lirez – vous êtes libres de vous abstenir, tous les gouts et tous les choix se retrouvent dans la grande nature – ce poème donc, se veut comme une suite ou plutôt une finale au conte d’hiver (UN PEU DE CHANGE S’IL VOUS PLAIT! MERCI.) Je sais, je sais… j’avais dit qu’il n’y aura pas de suite, qu’il était complet en lui-même… mais un poème ça ne se contrôle pas, ça vient souvent au moment où on s’y attend le moins, ça ramasse ce qui est derrière ou devant, je ne sais trop.

Je fais appel à votre mémoire tout en vous donnant une bonne piste : le saut 233 qui remonte au 27 septembre 2008. Le crapaud y publiait un poème qui, à sa façon, annonçait le conte d’hiver puis, à la limite, celui de ce matin. Les trois font partie d’un même élan. Le voici :



enfant de rue


enfant de rue, rapine et tapine,
mains noires d’asphalte et de fumée
yeux jaunes cerclés de vides,
voix rauque qui crache et ment
pieds calleux qui trottent et quêtent


enfant de rue, sang au bras
veine du cœur pendue sous la gorge
tu pourchasses, demain, des météos d’ailleurs
tu t’habilles, aujourd’hui, du même froid qu’hier
comme du silex taillé dans un temps confondu


enfant de rue, tu arpentes la nuit blanche
un sac de couchage jauni lové à ton cou
un autre à la main rempli de néants
tu traines vers le matin hésitant
et puis tu t’en vas lui s’en allant


enfant de rue, enfant de rien
négligemment, tu laisses exhaler de toi
charriées par le vent tes odeurs héroïnes
tu transportes de trottoirs en rues tes peurs cocaïnes
jusqu’au fond de tes abris insouciants


enfant de rue, aux prénoms multiples
quotidiennement modifiés
pour mieux habiller ton incognito
tu carbures au monoxyde de carbone
et tu squattes notre indifférence


enfant de rue, tu v i h et tu hépatites
slalom entre une épidémie l’autre
jusqu’à la porte de ces prédateurs
sicaires affamés et inassouvis
t’offrant un don contre un don de toi


enfant de rue, ta parole iconoclaste
toute de mots sens dessus dessous
ressemble à des silences contenus
au coeur d’immenses toiles d’araignée
où, instinctivement, grouillent des oestres


enfant de rue, tu marches ton urbaine liberté
dans cinq-cents mètres carrés
et derrière toi disparaissent tes pas
comme des entailles électriques
rayées par le phosphore de l’oubli


enfant de rue, ton âme en bandoulière
désarçonnée d’un cheval de bois cassé
elle girouette de gauche à droite, déjantée,
aspirant à de stériles petits bonheurs
que ta dignité perdue épuise, ton espoir mutile


enfant de rue, on retrouvera ton cadavre
parmi les restes civils des cloaques
on ne saura ni à qui il appartenait
ni à quels parents adresser un avis
pour que les lieux puissent être évacués


et un autre te remplacera
trainant dans ses mains
les mêmes jouets brisés
et
les mêmes scénarios inutiles

Au prochain saut

- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe -

mercredi 3 février 2010

Le trois cent trente et unième saut / Le trois-cent-trente-et-unième saut



Cette semaine, au Québec, on signale la problématique du suicide. L’Association québécoise de prévention du suicide qui l’organise, a pour objectif de diminuer significativement le nombre de décès par suicide. Pour y arriver, l’éducation, la sensibilisation et la mobilisation sont des éléments essentiels.

Le philosophe Marc Chabot a publié un livre en 1997 qu’il a titré EN FINIR AVEC SOI –Les voix du suicide-.

Marc Chabot a écrit de nombreux essais sur la condition masculine, notamment À NOUS DEUX! HOMMES ET FEMMES : LA FIN D’UN COMBAT en collaboration avec Sylvie Chaput (1993) et, un peu avant, DON QUICHOTTE OU L’ENFANCE DE L’ART, sur la naissance de la littérature.

Celui sur le suicide pose la question de savoir pourquoi tant de gens se suicident. Malgré le fait que depuis 1999, les chiffres nous indiquent une baisse d’un peu plus de 30% de suicide au Québec, il reste que toute personne comme le propose Chabot «emporte avec elle, un secret. C’est à ce secret qu’il faut penser. Philosophiquement, le monde est autre chose qu’une absurdité. Une personne qui s’enlève la vie peut-elle, par son acte, défendre celle-ci et se battre pour une certaine idée du bonheur?»

Je vous ai déjà offert quelques citations provenant de ce livre, elles appartenaient à Cesare Pavese, Schopenhauer, Antonin Artaud et de l’auteur lui-même. J’achève, aujourd’hui, d’en tirer les dernières dont celles-ci sont de Chabot lui-même.


. La solitude grandit plus vite que l’amour de nous que nous avons. La solitude nous dépasse. Elle court toujours plus vite que nous.

. L’être humain n’existe qu’accompagné.
Seul, il n’est rien.
L’amour de soi ne suffit pas à l’humanité.
Un miroir ne nous comblera pas de bonheur.
L’être humain n’existe qu’accompagné.

. … je n’ai pas voulu me suicider, j’ai voulu tuer la vie que je mène.

. Il faut bien peu de chose pour défaire un humain. Il en faut tellement pour le mettre au monde et lui offrir les mots, le temps, le courage d’être.

. Toute la question est là : il y a quelque facilité à franchir de nouvelles frontières extérieures, il peut être impossible de traverser les frontières intérieures de l’être.

. Le monde n’a pas vingt ans. Toi, si. Et le monde en a vu d’autres. Il a l’habitude. Toi, non. Le monde n’a pas vingt ans, l’histoire est un arbre gigantesque. Et cet arbre perd ses feuilles, il est pourri en son cœur et il tient debout. Et les feuilles, en leur solitude, ne peuvent rien pour l’arbre. Chaque jour, une se décroche et tombe. On dirait bien qu’elle tombe parce qu’elle était trop petite, trop fragile, mais elle a été arrachée par une main invisible pendant que les autres feuilles se taisaient et dansaient dans le vent.


Voici deux autres citations proposées par Marc Chabot. La première est d’Hubert Aquin.

. Je suis comme cloué à moi-même. Rien de plus déprimant que cette solitude qui n’éclate nulle part et jamais : je me sens rongé par tout ce que je contiens, par tout ce que j’étouffe.

Le seconde, de Stig Dagerman.

. Aimer c’est être curieux. N’est beau que ce qui ne nous a pas encore satisfait. N’est beau, peut-être, que ce qui est nouveau. En tout cas nous ne pouvons aimer que ce qui est nouveau. Pour aimer quelqu’un que nous sommes parvenus à bien connaître il est nécessaire de commencer par l’oublier, non entièrement mais beaucoup.


Si vous avez la chance de mettre la main sur une copie du journal LE DEVOIR, édition du week-end dernier (30 janvier 2010) ou encore sur le site internet du journal, je vous invite à lire un intéressant article de Ouanessa Younsi, médecin résidente en psychiatrie à l’Université de Montréal, sur le suicide des personnes âgées. Elle s’inspire d’Albert Camus dont on souligne cette année le cinquantième anniversaire de sa mort et qui écrivait : «Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentale de la philosophie.»


Au prochain saut

- Ce saut est écrit en nouvelle orthographe. -

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