mardi 27 octobre 2009

Le trois cent septième saut


Yann Martel

Les cahiers de lecture desquels sont issues les citations de ce matin - je vois très bien de quelle époque ils proviennent - ne sont pas parmi les plus intéressants. Je m’explique.

Yann Martel (l’auteur de L’Histoire de Pi) envoie au Premier Ministre Stephen Harper deux livres par mois – il a entrepris cette … croisade… en avril 2007 - afin de lui permettre de lire. Selon lui, il néglige cette activité intellectuelle et alimente une propension à ne pas s’intéresser aux questions culturelles au Canada : ses politiques en seraient une preuve manifeste.

Je me suis demandé (j’arrive au vingtième livre suggéré) si Martel conserve, lui aussi, des cahiers de lecture. Est-il allé y puiser les recommandations qu’il adresse par la suite à un lecteur qui ne semble pas s’y intéresser outre mesure?

Sans vouloir excuser le chef du gouvernement minoritaire fédéral, je dois avouer le comprendre un peu. Alors que j’étais actif sur le marché du travail, les cahiers de lecture que je dépèce actuellement en témoignent, je lisais principalement des ouvrages en lien avec l’éducation, la pédagogie et tout ce qui entoure ce domaine.

Vous saviez que Monsieur Harper, dans ses temps libres, eh bien! (oui, oui, je le sais que c’est une faute mais je persiste et signe…) il écrit. Un livre sur le hockey. Alors que moi, à l’époque, j’écrivais des vers… Chacun son dada…

Donc, voici les citations de ce matin et vous annonce que très bientôt, je vous offrirai des textes du philosophe québécois Jean Bédard. Ça augure bien!



. Pas besoin de souffrir éternellement si on souffre durant une minute en croyant durant une minute que cette souffrance sera éternelle, pardi.
Gaétan Soucy

. L’homme solitaire prend une fois pour toutes l’habitude de s’occuper de ses propres rêves; il ne peut plus réagir tout de suite à l’assaut des propositions extérieures. Il est comme un moine à son bréviaire dans une partie de balle au champ, ou comme un patineur qui glisse trop délibérément et qui ne peut répondre aux appels qu’en décrivant une longue courbe.
Jean Giono

. C’est le sort des solitaires de se fuir pour ne pas se perdre, de croire qu’un jour ils se retrouveront.
Didier Van Cauwelaert

. Le type qui a envie de faire sauter le monde est la contrepartie de l’imbécile qui s’imagine qu’il peut sauver le monde. Le monde n’a besoin ni d’un destructeur, ni d’un sauveur. Le monde est, nous sommes.
Henry Miller

. Je commençais à attendre. Mes pensées allaient dans tous les sens. Ou bien je me concentrais sur des détails pratiques liés à ma survie immédiate, ou bien j’étais crucifié par la douleur, pleurant en silence, la bouche ouverte, les mains sur la tête.
Yann Martel (L’Histoire de Pi)

. Les hommes n’ont pas l’habitude de rester. Ils fuient, ils éludent, ils oublient, on ne sait comment.
Éric Fottorino

. Car la souffrance était-elle autre chose que l’expression de cette angoisse qui nous envahit lorsque nous prenons conscience de l’étrangeté de toute cette histoire qu’on appelle la vie?
Yvon Rivard

. … Ah! que la vie serait belle et notre misère supportable, si nous nous contentions des maux réels sans prêter l’oreille aux fantômes et aux monstres de notre esprit…
André Gide

. Une. Une seule parole contient toutes les paroles. La vie s’y déverse. La vie est dans chaque grain, dans chaque mot… Si seulement, chaque fois, on le savait; si seulement chaque fois on le voulait.
Andrée Chedid

. Je sais maintenant qu’espérer est beaucoup plus difficile que de savoir d’avance ce qui va arriver. Si j’ai à choisir, j’aime beaucoup mieux savoir que je vais recevoir un coup de pied que d’espérer ne pas en recevoir. Puisqu’un coup de pied fait mal mais y penser tout le temps est encore plus fatigant et fait mal plus longtemps, comme si on se dessinait une cible de douleur sur le corps à force d’y penser.
Sébastien Chabot

. Le rossignol, qui du haut d’une branche se regarde dedans, croit être tombé dans la rivière. Il est au sommet d’un chêne et toutefois il a peur de se noyer.
Cyrano de Bergerac

. La vie en nous prend constamment des résolutions sur lesquelles elle ne nous consulte pas.
Pierre Vadeboncoeur

. Voilà, Monsieur, tout le mal est là, dans les mots. Chacun de nous porte en lui un monde, un nombre infini de choses. Comment pouvons-nous nous comprendre, Monsieur, si je donne à chaque mot que je prononce le sens et la valeur des choses telles qu’elles sont en moi, alors que vous qui m’écoutez recevez chacun de mes mots avec le sens et la valeur du monde tel qu’il est en vous? Tout le mal est là, Monsieur, et personne n’y échappe.
Pirandello (Six personnages en quête d’auteur)

. Mais quelle famille solitaire avais-je donc! J’étais même ébahi que deux de ses membres aient pu s’assembler pour engendrer les deux suivants. Seulement, des solitaires qui feignent de ne pas l’être… voilà sans doute comment les familles se construisent, et comment la race des gens seuls est devenue si nombreuse.
Benjamin Kunkel

. Je vous jure que nous étions en train de rire quand la tristesse est arrivée.
Truman Capote

. Tant que les mots n’ont pas été dits clairement, il y a toujours une chance qu’ils n’aient pas été tacitement sous-entendus. Il y a encore de la place pour l’espoir. Et là où il y a espoir, il y a déception.
Aldous Huxley


Je termine ce saut en vous rassurant sur «un carnet d’ivoire avec des mots pâles», ça reviendra bientôt.

Au prochain saut

vendredi 23 octobre 2009

Le trois cent sixième saut



J’arrive difficilement à me remettre à l’écriture malgré le fait que je revisite certains textes inachevés, quelques poèmes entrepris avant le 16 septembre et qui incubent actuellement, sans réussir à leur donner cette charpente que l’architecture initiale avait structurée. J’ai vu à Villefranche le mot «architexture». On l’a créé afin d’associer photographie et texte. Un bâtiment et à sa porte, par terre, une photographie l’illustrant à une autre époque, accompagné d’un texte qui recadrait le tout. Belle idée.

J’arrive difficilement à me remettre à l’écriture. Plus facile avec la lecture et encore ardu avec la marche. En fait, il y a problème aux trois axes qui me sont essentiels, vitaux. Je me demande si mon esprit n’est pas en train d’ankyloser (paralyser par ankylose – diminution ou impossibilité absolue des mouvements d’une articulation naturellement mobile – perdre de sa rapidité de réaction, de mouvement par suite d’une immobilité, d’une inaction prolongée).

J’ai beaucoup fouillé dans mes recueils de poèmes afin d’y découvrir ceux ou tout simplement celui qui, d’abord, se rapprocherait le plus de mon état d’âme actuel puis allait pouvoir me relancer… Voici, du moins je le crois ce matin, le Saint-Denys Garneau qui répond le mieux à ce que je ressens présentement.



Bout du monde!



Bout du monde! Bout du monde! Ce n’est pas loin!
On croyait au fond de soi faire un voyage à n’en plus finir
Mais on découvre la platitude de la terre
La terre notre image
Et c’est maintenant le bout du monde cela
Il faut s’arrêter
On en est là

Il faut maintenant savoir entreprendre le pèlerinage
Et s’en retourner à rebrousse pas de notre venue
Avec le dépit à nos trousses de cette déconvenue
Et s’en retourner à contre-courant de notre image
Sans tourner la tête aux nouvelles voix de notre richesse
On a déjà trop attendu au bord d’un arrêt tout seul
On a déjà perdu trop de cœur à s’arrêter.

Nous groupons à l’entour de l’espace
de ce que nous n’avons pas
La réalité définitivement acceptable
de ce que nous pourrions avoir
Des colonies et des possessions
et toute une ceinture d’îles
Faites à l’image et amorcées par ce point
au milieu central de ce que nous n’avons pas
qui est le désir.

Hector de Saint-Denys Garneau


Je remarque que ce poème ne renferme aucun «je»… les pronoms utilisés sont les «ce», «il», «on», «en», «nous», «s’», «soi», «cela»… indifféremment employés comme personnels ou impersonnels, possessifs ou démonstratifs… il y a peut-être là quelque indice!

Pour me secouer, il faudrait peut-être m’intéresser à la politique municipale si fertile en rebondissements; à la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1); au cas du subtil Sergeï Kostitsyn; ou encore, chercher à répondre à des questions existentielles, comme celle-ci : quand, exactement, meurt la feuille qui tombe de l’arbre à l’automne, est-elle morte avant d’échouer sur le sol?


Secouons-nous d’ici le prochain saut…

lundi 19 octobre 2009

Le trois cent cinquième saut



Le crapaud revient… et de loin! Je ne veux pas élaborer sur les événements des dernières semaines mais, et depuis quelques jours, je cherche une porte d’entrée vers la continuité de ces sauts qui m’ont toujours été des lieux importants.

Sans doute, n’y a-t-il rien de mieux que la continuité pour nous resituer et rien de mieux qu’en sortir pour se situer ailleurs, le crapaud replonge dans ses cahiers de lecture à la recherche de quelques citations… qu’il souhaite pertinentes.


. … ce que nous appelons liberté, c’est la possibilité de réaliser les actes qui nous gratifient, de réaliser notre projet, sans nous heurter au projet de l’autre. Mais l’acte gratifiant n’est pas libre.
Henri Laborit (Éloge de la fuite)

. On ne doit pas se tromper de mot, sans risquer de se tromper d’états d’âme et d’attitudes.
Paule Constant (Confidence pour confidence)

. … mais je fais confiance aux mots, qui finissent toujours par dire ce qu’ils ont à dire. Tournez cinq fois sur vous-même, les yeux fermés et, avant que de les ouvrir, un caillou que vous aurez lancé, vous ne saurez pas dans quelle direction il est parti, mais vous saurez qu’il aura bien fini par retomber sur terre. Ainsi sont les mots. Ils arrivent toujours, coûte que coûte, par se poser quelque part, et cela seul est important.
Gaétan Soucy (La petite fille qui aimait trop les allumettes)

. Cependant, lorsqu’on a cessé d’en vouloir aux faits, on devient tranquille comme une rivière.
Jean Bédard (La valse des immortels)

. On ne sait pas toujours pourquoi certains mots nous surprennent, pourquoi on devient tout à coup triste à les entendre, ces mots qu’on connaît par cœur pourtant et qui font lever tantôt des colombes, tantôt des corbeaux.
Robert Lalonde (Le vaste monde)

. Il nous arrive souvent, à nous autres humains, de croire à ce que nous désirons le plus fort.
Jostein Gaarder (Le petit frère tombé du ciel)

. Un rêve doit être inaccessible, il doit pourtant continuer de briller en nous, sans cela, il se perd, il finit par nous perdre aussi.
Marc Chabot (En finir avec soi – Les voix du suicide)

. … et une mère qui meurt, l’âge n’y fait rien, c’est une mère qui meurt, c’est le monde qui soudain se brise, et du coup on perd tout espoir de se voir offrir une seconde chance, on devient à ce moment véritablement une œuvre unique, numérotée, signée, et on découvre enfin que c’est sa vie que l’on joue, que toutes les ratures, tous les repentirs, les errata s’y inscrivent comme des balafres, qu’il n’y aura pas de mise au propre dans une vie future, pas de refonte, parce que la matrice n’est plus et qu’on devient soi-même l’original.
Jean Rouaud (Pour vos cadeaux)

. … être libres de faire une tentative ne garantit pas la réussite. La liberté qui consiste à choisir dans le domaine du possible n’est pas l’omnipotence qui serait de toujours réussir ce qu’on entreprend, même l’impossible.
Fernando Savater (Éthique à l’usage de mon fils)

. La seule liberté digne de ce nom est de travailler à notre propre avancement à notre gré, aussi longtemps que nous ne chercherons pas à priver les autres du leur ou à entraver leurs efforts pour l’obtenir. Chacun est le gardien naturel de sa propre santé, aussi bien physique que mentale et spirituelle. L’humanité gagnera davantage à laisser chaque homme vivre comme bon lui semble qu’à le contraindre à vivre comme bon semble aux autres.
John Stuart Mill

. Il n’est rien de plus lourd que la compassion (la télépathie des émotions). Même notre propre douleur n’est pas aussi lourde que la douleur co-ressentie avec un autre, pour un autre, à la place d’un autre, multipliée par l’imagination, prolongée dans des centaines d’échos.
Milan Kundera (L’insoutenable légèreté de l’être)

. Étant donné que c’est le corps qui l’éprouve et l’esprit qui l’endure, la douleur empiète sur deux entités que la science s’acharne depuis des siècles à isoler l’une de l’autre. Nous savons, nous qui souffrons, que la douleur éveille en nous l’écho d’une alliance originelle du corps et de l’esprit, laquelle remonte à des temps bien antérieurs à notre civilisation. Et que c’est cette interaction en double résonnance du somatique et du psychique qui rend la douleur si pénible à supporter. Une interaction qui pourtant, et c’est bien là le paradoxe, est pour nous une source d’espoir. Car si la douleur provient de la double connivence psychosomatique, il en résulte que nous sommes les seuls à détenir le pouvoir de dominer notre mal. Un pouvoir bien plus efficace que celui de n’importe quelle médecine.
E. Bogin


Au prochain saut

mardi 6 octobre 2009

Le trois cent quatrième saut


Je ne m'attendais pas à revenir sur le crapaud d'abord aussi rapidement et ensuite dans les conditions qui sont les miennes ce matin.

Ce matin, aux Houches, petite ville tout à côté de Chamonix où vivent mes amis Gilles et Madeleine. Ce matin, à quarante-huit heures d'un retour précipité à Montréal alors que je devrais être à Genève avec mon «voyageur solidaire» en route vers Rome.

Un matin au pied des Alpes sur lesquelles un soleil magnfique permet de voir le Mont Blanc dans toute sa majesté, son immensité. Gilles et Madeleine sont partis au travail et je suis à pianoter sur ce clavier qwerty beaucoup simple que le clavier azerty que l'on utilise en France. J'aimerais déposer ici mes premières impressions mais elles se bousculent dans ma tête et j'arrive difficilement à les mettre en ordre.

J'ai appris avec l'épisode du tendon d'Achille (que je croyais achevé mais que le vol d'avion a réanimé de façon aiguë) que ce que je vis actuellement me ramène à un vieux souvenir; il date du 1er mai, journée de la chirurgie, alors qu'étendu sur la civière à l'étage opératoire de Santa Cabrini, je me demandais si cet accident n'était pas un signe que le voyage projeté n'allait pas avoir lieu, n'allait pas se concrétiser.

Deuxième signe, encore plus bizarre celui-là, me vient de Fleurette alors qu'elle nous venait et repartait dans un espèce de coma contrôlé - on est en août et tout le voyage est planifié - et qu'il est clair dans mon esprit qu'advenant le fait où elle parte définitivement je m'étais fait à l'idée que je n'allais pas modifier mes plans de voyage, Fleurette semble me dire dans son regard qui doucement s'en allait qu'elle aurait aimé être avec moi, revoir l'Italie et assister à un opéra - nous en avions parlé quelques semaines auparavant - mais que cela lui était maintenant inaccessible... un peu comme si ce voyage lui-même allait se loger dans l'inaccessible!

Ces deux éléments me sont continuellement présents à l'esprit et sans être aussi douloureux que la pression qui se loge à la cheville, au dos et aux reins, c'est aussi lancinant. Ça ne ralentit pas ma marche comme la cheville réussit malignement à s'amuser à le faire, mais ils sont bien logés dans mon cerveau.

Je rentre déçu, oui mais je rentre surtout inquiet sur l'évolution de ce tendon (je me demande comment il réagira aux 7 heures de vol de jeudi, tout en me disant que les deux fois 12 heures qu'il aurait reçues en direction du Vietnam et cela en 3 semaines auraient pu être disons «critiques») tendon que je croyais beaucoup plus en forme que ce qu'il me présente aujourd'hui. Il a besoin de 2 jours de repos complet pour accepter de participer à moins de 5 kilomètres par la suite.

Et je songe beaucoup à mon «voyageur solidaire» qui poursuit la route. Je sais que par définition il est un voyageur solitaire mais cette fois-ci ça devait être différent. On s'est quitté, et sans se le dire vraiment - les gars savent contenir la profondeur des émotions - je crois qu'une certaine inquiétude se profilait entre nous, lui continuant et moi... rétrogradant.

J'y reviendrai...

Si Nathan avait su (12)

Émile NELLIGAN La grossesse de Jésabelle, débutée en juin, lui permettra de mieux se centrer sur elle-même. Fin août, Daniel conduira Benjam...