mardi 26 mai 2009

Saut: 282



Des clowns pour amuser les personnes âgées? Cette idée qui a fait la manchette la semaine dernière m’a rappelé Howard Buten. Je me suis lancé, tout lentement soyez-en assurés, dans un vieux cahier de lecture et j’ai découvert ce que je cherchais : Monsieur Butterfly…


Buten est né à Détroit, dans le Michigan. Il abandonne ses études pour suivre une école de clowns. Pendant deux ans, il parcourt l’Amérique avec le cirque Bartok. Je ne sais pas s’il se produit toujours mais à l’époque de cette lecture, il jouait de douze instruments, chantait, faisait du mime, de la danse classique et aussi un numéro de ventriloque sous le nom de Buffo.


Il a été membre du personnel soignant du Children Orthogenic Center de Détroit et se consacre au traitement des enfants autistiques. Maintenant il travaille en banlieue de Paris.


Il est l’auteur de QUAND J’AVAIS CINQ ANS, JE M’AI TUÉ, dont il a écrit la suite avec LE CŒUR SOUS LE ROULEAU COMPRESSEUR.


Voici quelques citations de celui qui croit profondément aux vertus thérapeutiques du clown.


. Ça fait un certain temps maintenant que je me connais, peut-être depuis la naissance et en tout cas depuis l’enfance, cette période où les hommes se connaissent le mieux, et j’ai survécu avec aplomb à cette autre période, celle qui suit l’enfance, et où la plupart des gens s’oublient complètement – la période qui commence plus ou moins à la fac et se poursuit dans l’âge adulte, culminant avec la vieillesse pour se terminer progressivement à l’approche de la mort, quand on se rend compte qu’on avait raison quand on était petit et qu’il ne reste plus que quelques mois, bien courts, pour refaire connaissance avec soi-même avant de mourir. C’est pour ça que personne ne prend les vieux au sérieux. C’est pour ça que personne ne prend les enfants au sérieux, mais je prends les enfants au sérieux. J’en ai été un. C’est une des raisons pour lesquelles certains me croient fou.


. Et la peur ça me connaît, et le pire ennemi c’est l’ennemi de l’intérieur parce qu’on ne le voit pas alors qu’il est tout près tout le temps tout le temps.


. J’ai perdu bien des lunettes de soleil dans ma vie et je suis devenu aveugle et puis j’ai cessé d’être aveugle bien des fois dans ma vie et tout cela m’arrivera forcément de nouveau parce que la progression de toute chose est circulaire.


. C’est rieux!


. Lorsqu’on lui demande Qu’est-ce qu’un clown?, voici ce qu’il répond :


C’est un personnage d’aspect physique excentrique qui n’a ni passé ni futur. On ne sait pas d’où il vient, on ne sait pas où il va. Il n’existe que le temps d’un spectacle. Et il n’a qu’un seul but : faire rire. Au début, mon clown faisait énormément pleurer. C’était pour moi une sorte de psychothérapie, j’évoquais mes amours ratées, sans que le public le sache. Maintenant, ça va mieux merci. Et je veux que l’on rie tout le long de mon spectacle. Quand on rit, c’est qu’on se sent bien, non? Plus je fais rire, plus je suis fier de moi.


«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»


A L A C R I T É (nom féminin)

. enjouement, entrain

A P O R I E (nom féminin)

. difficulté d’ordre rationnel paraissant sans issue

- (antinomie, paradoxe)

Au prochain saut

jeudi 21 mai 2009

Saut: 281


Le mois de mai s’achève. Celles et ceux qui suivent assidûment le crapaud auront remarqué que le mois de Marie prendra fin avec une moyenne de sauts pas du tout comparable à celle d’avril… à celle de mars… et on peut rejoindre ainsi le début de 2009. Le crapaud sautait entre six et sept fois… on parle de trois ou quatre pour celui-ci.


Il y a des explications, vous les connaissez. J’aimerais tout de même leur donner un peu plus de coffre (en plâtre, évidemment…) afin de ne pas vous perdre et aussi me permettre de mieux comprendre la vie d’un handicapé semi-autonome déambulant en fauteuil roulant, puis en béquilles.


J’ai mis la musique de Béla Bartok pour me suivre dans ce regard sur les traces du … tendon d’Achille. Pourquoi Bartok? Hongrois, donc tout près de la République Tchèque – il a certainement marché les rues de Prague -, il a quitté son pays alors que l’on pactisait avec Hitler mais principalement à cause de cette musique à la fois folklorique et moderne sur laquelle coulent des coloris d’une intense vivacité, une violence sauvage et une sereine douceur tout à fait propice au rêve poétique.


Mais je ne voulais pas parler de Bartok, plutôt de rupture (ruptures) que cette ténotomie (section d’un tendon) m’inflige (nt). Dans le fait de s’immobiliser en raison d’une blessure de ce genre ou tout autre j’imagine, se produit un point de rupture plus ou moins important.


D’abord, une rupture avec son quotidien. Mon ami Jean-Luc, philosophe à ses heures, me rappelait «qu’on n’apprécie vraiment ce que l’on a que lorsqu’il nous échappe». Il a parfaitement raison. Pour mieux le démontrer, j’avoue que depuis plus de trois semaines je vis une fixation : les personnes qui marchent me hantent… Je les vois aller et venir sans jamais se soucier un seul petit instant microscopique de leur… tendon d’Achille. Ils marchent, c’est naturel; c’est tout. Alors que l’handicapé semi-autonome temporaire, celui qui, aussi insouciant, marchait naturellement un point c’est tout, et qui maintenant doit obligatoirement se fier à son fauteuil, à ses béquilles et à de l’aide extérieure, ce handicapé vit une rupture fondamentale.


Elle est physique, corporelle. Une rupture qui permet de découvrir un corps qui ne fonctionne pas efficacement. Un corps qui rappelle à tout instant ce quelque chose de fracturé. Le contact devient plus lent, plus intime. Le simple fait de prendre une douche (ça dure quoi? moins de dix minutes?) alors que là il faut y aller à la débarbouillette et y consacrer une demi-heure… ça permet des réflexions… je me demande si Bartok, lorsqu’il composait, prenait ce temps d’introspection…


Et l’exemple précédent, un parmi tant d’autres, illustre bien à quel point au-delà du tendon d’Achille, lorsque tout fonctionne normalement nous devenons inconscients de la mécanique, de la rythmique mais aussi de la non-rupture. Il ne peut pas y avoir de rupture sans son contraire.


Cela me mène à vous placer dans le contexte du poème suivant, qui s’intitule derrière. Vous le savez maintenant, achever un poème pour le crapaud, c’est y venir, y revenir, corriger, reprendre, redire, une tâche itérative.


Celui-ci fut entrepris avant la blessure et sans qu’il ne le veuille nécessairement s’en est retrouvé enveloppé. Bonne lecture et si le cœur vous en dit, lisez-le sur un fond musical; je vous suggère «Le second quatuor, op.17, Sz.67, Moderato)» de Béla Bartok.

derrière

se tenant par la main, les inconnus marchent

inconscients de la route à venir

à leurs insouciantes semelles l’innocence collée

derrière leurs yeux couleur de thé

le voile blanc de l’introspection

les inconnus figés et ne se tenant plus la main

ont perdu l’innocence d’hier

en quittant leurs souliers calcinés

derrière leurs images couleur d’été

la passage a le goût de la rétrospection

sans mains et sans pieds, les inconnus égarés

traversant les routes comme des âmes gelées

promènent des odeurs de café

le geste oublié

sous de folles allures introjectées

derrière l’intersection trace une croix

Au prochain saut

lundi 11 mai 2009

Saut: 280



Je ne crois pas tellement me tromper en disant que la poésie est encore le meilleur remède pour l’âme… et le tendon d’Achille!

Le crapaud achève (certainement le verbe qui colle le mieux à ma façon de travailler : un continuel «acheveur»…) deux poèmes qui pourraient se retrouver sur le blogue dans quelques jours. D’ici là, voici deux magnifiques Saint-Denys-Garneau :

À PROPOS DE CET ENFANT

À propos de cet enfant qui n’a pas voulu mourir

Et dont on a voulu choyer au moins l’image

comme un portrait dans un cadre dans un salon

Il se peut que nous nous soyons trompés

exagérément sur son compte.

Il n’était peut-être pas fait pour le haut sacerdoce qu’on a cru

Il n’était peut-être qu’un enfant comme les autres

Et haut seulement pour notre bassesse

Et lumineux seulement pour notre grande ombre sans rien du tout

(Enterrons-le, le cadre avec et tout)

Il nous a menés ici comme un écureuil qui nous perd

à sa suite dans la forêt

Et notre attention et notre ruse s’est toute gâchée

à chercher obstinément dans les broussailles

Nos yeux se sont tout énervés à chercher son saut

ici et là dans les broussailles à sa poursuite.

Toute notre âme s’est perdue à l’affût

de son passage (qui nous a) perdus

Nous croyions découvrir le monde nouveau

à la lumière de ses yeux

Nous avons cru qu’il allait nous ramener au paradis perdu.

Mais maintenant enterrons-le, au moins le cadre avec l’image

Et toutes les tentatives de routes

que nous avons battues à sa poursuite

Et tous les pièges attrayants que nous avons tendus

pour le prendre.

MONDE IRRÉMÉDIABLE DÉSERT

Dans ma main

Le bout cassé de tous les chemins

Quand est-ce qu’on a laissé tomber les amarres

Comment est-ce qu’on a perdu tous les chemins

La distance infranchissable

Points rompus

Chemins perdus

Dans le bas du ciel, cent visages

Impossibles à voir

La lumière interrompue d’ici là

Un grand couteau d’ombre

Passe au milieu de mes regards

De ce lieu délié

Quel appel de bras tendus

Se perd dans l’air infranchissable

La mémoire qu’on interroge

A de lourds rideaux aux fenêtres

Pourquoi lui demander rien?

L’ombre des absents est sans voix

Et se confond maintenant avec les murs

De la chambre vide.

Où sont les ponts les chemins les portes

Les paroles ne portent pas

La voix ne porte pas

Vais-je m’élancer sur ce fil incertain

Sur un fil imaginaire tendu sur l’ombre

Trouver peut-être les visages tournés

Et me heurter d’un grand coup sourd

Contre l’absence

Les ponts rompus

Chemins coupés

Le commencement de toutes présences

Le premier pas de toute compagnie

Gît cassé dans ma main.

«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»

A L T É R I T É (nom féminin)

. (Philos.) fait d’être un autre, caractère de ce qui est autre.

C A N T I L È N E (nom féminin)

. chant profane d’un genre simple;

- chanson

. chant monotone, mélancolique;

. texte lyrique et épique relativement bref.

- complainte

Au prochain saut

mercredi 6 mai 2009

Saut: 279




Je ne savais trop si je devais écrire sur le tendon d'Achille. Écrire sur l'événement, ou la douleur, ou la dépendance... ou ne pas écrire du tout? Une semaine après la blessure, je me dis qu'il faut bien en dire au moins deux mots. Si ce n'était que pour conserver le ryhtme du geste de l'écriture. Un tendon comme l'écriture ça exige de l'exercice. On n'y pense pas. Combien de fois dans votre vie vous êtes-vous demandé comme se comportait votre tendon d'Achille? Personnellement, jamais. Maintenant, il hante mes jours et mes nuits. Surtout, et principalement du fait qu'il ait stoppé la marche, cette passion qui m'anime autant qu'écrire ou lire.


Je ne sais trop quoi dire sur le tendon d'Achille, sinon que je sais maintenant à quoi il sert et que sans lui, c'est le fauteuil roulant ou les béquilles, les deux parfois. Qu'une blessure ne se localise jamais à un endroit indifférent. Je me serais brisé le poignet en replaçant le volant de badminton dans sa bonne direction, cela aurait été douloureux, plâtrable et dérangeant, mais ça ne m'aurait pas coupé de mes souliers de marche... des mille et une réflexions qu'entraînent deux ou trois heures de promenade dans ce Montréal essentiel et ses ruelles jasantes et si inspirantes.


Rien n'arrive pour rien! C'est sans doute un signe! Fallait peut-être que tu ralentisses! Que tu t'assagisses! Que tu acceptes le fait qu'il n'y a pas que donner dans la vie et qu'il faut savoir aussi recevoir! Ces affirmations sont sans doute puisées à une sagesse qui m'échappait. Maintenant, ici et maintenant, je me rends compte à quel point je roulais et surtout que j'étais en mesure de suivre le tempo que je m'imposais. C'est privé de quelque chose qui fait qu'on en ressent davantage le besoin.


Et ce tendon d'Achille - signe ou quelque chose d'autre - au debut me mettait en colère. Maintenant que la chirurgie a eu lieu, que dans une semaine la réadaptation débutera, il me permet de mieux réaliser que le retraité-crapaud que je suis mène une belle et (bonne) vie.


Qui était donc ce Achille qui donna son nom à ce célèbre talon?


«Héros homérique, roi des Myrmidons, dépeint comme le plus brave et le plus puissant guerrier pendant le siège de Troie. Fils de Thétis et de Pélée, il est élevé par le centaure Chiron. Pour le rendre immortel, sa mère le plonge dans les eaux du Styx le tenant par le talon qui reste le seul point vulnérable de son corps. À la suite d'une prédiction, selon laquelle il tomberait devant Troie, sa mère l'envoie dans l'île de Skyros chez le roi Lycomède, où il séjourne déguisé en femme sous le nom de Pyrrha. Découvert par Ulysse, il se laisse conduire au siège de Troie où il se montre invincible. Mais, furieux contre Agamemnon qui lui avait ravi sa captive Briséis, il se retire du combat. Cette colère d'Achille, qui faillit coûter la victoire aux Grecs, est l'épisode central de l'Iliade. Achille ne reprend les armes qu'après la mort de son ami Patrocle qu'il venge en tuant Hector mais il est lui-même atteint par une flèche décochée par Pâris, fils de Priam, et frère d'Hector, qui le blesse mortellement au talon. Après la mort d'Achille, Ulysse et Ajax se disputent ses armes.»


Au prochain saut

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