vendredi 3 avril 2009

Saut: 273



Il est vrai que le crapaud a négligé la poésie et cela depuis quelques sauts. Mis à part les poèmes du crapaud lui-même, il faut remonter assez loin derrière avant de retrouver un poème.
Je corrige la situation en vous offrant deux Baudelaire qu’il est très fascinant de lire l’un avec l’autre, l’un après l’autre puis l’un avant l’autre.
Faites cette expérience entre l’irrémédiable et l’irréparable…


L’Irrémédiable


Une idée, une Forme, un Être
Parti de l’azur et tombé
Dans un Styx bourbeux et plombé
Où nul œil du Ciel ne pénètre;

Un ange, imprudent voyageur
Qu’a tenté l’amour du difforme,
Au fond d’un cauchemar énorme
Se débattant comme un nageur,

Et luttant, angoisses funèbres!
Contre un gigantesque remous
Qui va chantant comme les fous
Et pirouettant dans les ténèbres;

Un malheureux ensorcelé
Dans ses tâtonnements futiles,
Pour fuir d’un lieu plein de reptiles,
Cherchant la lumière et la clé;

Un damné descendant sans lampe,
Au bord d’un gouffre dont l’odeur
Trahit l’humide profondeur,
D’éternels escaliers sans rampe,

Où veillent des monstres visqueux
Dont les larges yeux de phosphore
Font une nuit plus noire encore
Et ne rendent visibles qu’eux;

Un navire pris dans le pôle,
Comme en piège de cristal,
Cherchant par quel détroit fatal
Il est tombé dans cette geôle;

- Emblèmes muets, tableau parfait
D’une fortune irrémédiable,
Qui donne à penser que le Diable
Fait toujours bien ce qu’il fait!

II

Tête-à-tête sombre et limpide
Qu’un cœur devenu son miroir!
Puits de Vérité, clair et noir,
Où tremble une étoile livide,

Un phare ironique, infernal,
Flambeau des grâces sataniques,
Soulagement et gloire uniques,
- La conscience dans le Mal!
-
(Charles Baudelaire)



L’irréparable


Pouvons-nous étouffer le vieux, le long Remords,
Qui vit, s’agite et se tortille,
Et se nourrit de nous comme le ver des morts,
Comme du chêne la chenille?
Pouvons-nous étouffer l’implacable Remords?

Dans quel philtre, dans quel vin, dans quelle tisane,
Noierons-nous ce vieil ennemi,
Destructeur et gourmand comme la courtisane,
Patient comme la fourmi?
Dans quel philtre? dans quel vin? dans quelle tisane?

Dis-le, belle sorcière, oh! Dis, si tu le sais,
À cet esprit comblé d’angoisse
Et pareil au mourant qu’écrasent les blessés,
Que le sabot du cheval froisse,
Dis-le, belle sorcière, oh! dis, si tu le sais.

À cet agonisant que déjà le loup flaire
Et que surveille le corbeau,
À ce soldat brisé! s’il faut qu’il désespère
D’avoir sa croix et son tombeau;
Ce pauvre agonisant que déjà le loup flaire!

Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?
Peut-on déchirer des ténèbres
Plus denses que la poix, sans matin et sans soir,
Sans astres, sans éclairs funèbres?
Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir?

L’Espérance qui brille aux carreaux de l’Auberge
Est soufflée, est morte à jamais!
Sans lune et sans rayons, trouver où l’on héberge
Les martyrs d’un chemin mauvais!
Le Diable a tout éteint aux carreaux de l’Auberge!

Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?
Dis, connais-tu l’irrémissible?
Connais-tu le Remords, aux traits empoisonnés,
À qui notre cœur sert de cible?
Adorable sorcière, aimes-tu les damnés?

L’Irréparable ronge avec sa dent maudite
Notre âme, piteux monument,
Et souvent il attaque, ainsi que le termite,
Par la base le bâtiment.
L’irréparable ronge avec sa dent maudite!

- J’ai vu parfois, au fond d’un théâtre banal
Qu’enflammait l’orchestre sonore,
Une fée allumer dans un ciel infernal
Une miraculeuse aurore;
J’ai vu parfois au fond d’un théâtre banal

Un être, qui n’était que lumière, or et gaze,
Terrasser l’énorme Satan;
Mais mon cœur, que jamais ne visite l’extase,
Est un théâtre où l’on attend
Toujours, toujours en vain, l’Être aux ailes de gaze!

(Charles Baudelaire)


Étrangement, ces deux poèmes tirés de LES FLEURS DU MAL, se retrouvent sous «Spleen et Idéal), le premier au numéro LXXXIV et le second au LIV; je me suis permis de les déplacer strictement pour le plaisir de la lecture et, d’une certaine manière, la façon qu’ils possèdent dans le génie baudelairien… de s’interpeler!


«un carnet d’ivoire avec des mots pâles»


C H T O N I E N (adjectif)
. qui a trait aux divinités infernales.


C O R Y P H É E (nom masculin)
. chef du chœur dans les pièces de théâtre antique;
. personne qui tient le premier rang dans un parti, une secte, une société;
- chef; guide.
. deuxième des cinq échelons dans le corps de ballet de l’Opéra de Paris.


Au prochain saut

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