…la suite...
Comment la mer put-elle, en si peu de temps, changer un homme à ce point? Selon toutes les apparences, il était le même. Fier, décidé et entier ce Marcelin, capitaine réquisitionnant un bateau séculaire, radoubé tous les étés par un père ayant connu trop peu de saisons maritimes avant de consacrer les autres à sa famille et à sa communauté. Un Blanchard dans toute la force du mot, né au beau milieu de la période de pêche, intensément accroché aux lèvres de celui qui racontait si bien les beautés et les cruautés de celle qui les nourrit si peu longtemps. Tout jeune encore, on voyait le tracé de sa destiné clairement inscrit dans le gris perle de ses yeux. Il n’y aurait que la mer. Elle serait son rêve, son gagne-pain et sa mort. Pas assez peureux, disait-on de lui. Hasardeux, lançaient les plus téméraires.
Il avait tout appris de ce père, capitaine déchu, qui souffrit atrocement lorsque son épouse l’obligea à choisir entre elle et son amante, celle pour qui son cœur et son âme battaient. Tout le reste de sa vie, ayant accepté de larguer les amarres pour accoster définitivement sur une terre aride et improductive, il aura le regard perdu vers la première vague, celle qui pousse les autres à venir échouer sur la grave dans des silences tonitruants.
Marcelin, le fils premier, n’allait pas suivre la route du père. Il s’était juré, très jeune encore, de ne jamais piétiner sur du solide. Et c’est toute la colère refoulée d’un homme qu’il sentait humilié que ce fils investirait sur un bateau en friche derrière le hangar, là où son père l’avait remisé et, d’un été à l’autre, passait des heures à caresser. Il n’avait pas quinze ans que déjà il achevait de le repeindre, plusieurs couches appliquées sur les lettres nommant la barge : LE DRAPEAU BLANC. Le sien n’aurait pas de nom. Comme celui des pirates.
Lorsqu’il décida de partir pour la pêche, Marcelin soufflait sur les cendres d’une famille taisant depuis toujours le drame du père et, dans l’inconscient qui entoure souvent les secrets du sang, jetait furieusement les jalons de la discorde et du malheur. Ainsi que ses parents, ses frères et sœurs ne se présentèrent pas à la cérémonie de la bénédiction du curé à quelques heures du grand départ. Il faisait froid ce jour-là et le cœur de certains leur gelait l’intérieur.
Sa renommée de capitaine téméraire mais hardi, de marin habile mais colérique lui colla à la peau dès les premières sorties. Il ne respectait que son instinct de prédateur. Tous les matelots qui firent la pêche avec lui rapportaient d’incroyables histoires. Tous, les années suivantes déclinaient ses offres de repartir sur son bateau sans nom. De sorte qu’il travaillait seul, dans des eaux tumultueuses, celles qu’il recherchait, et rapportait des prises de belle qualité.
Lorsque la saison prenait fin, il partait vers la forêt, bucheron infatigable. C’est à peine quelques semaines par année que Marcelin restait à l’Anse-au-Griffon, tout entier occupé à son bateau. Il rencontra Madeleine, la si douce Madeleine, à l’occasion du mariage de la fille d’Émile, le marchand général. Leurs amourailles, comme le disaient les vieux, entrecoupées d’eau saline et de bois, durèrent moins d'une année. C’est à la veille du départ en mer qu’il l’épousa, promettant à son retour de lui construire maison et famille.
Elle aimait chez cet homme sa grande détermination, son inébranlable volonté à accomplir les projets qui lui tenaient à cœur et principalement son ardeur inouïe à tout faire bien et souvent mieux que les autres. Ses ambitions, elle souhaitait les faire siennes. Elle accepta de partager sa vie à un homme, qui parlait peu il est vrai, mais lui semblait fiable. Dans le village, on ne lui attribuait d’autres défauts que sa témérité mais puisqu’il revenait continuellement de la mer et du bois, les bras chargés, personne ne lui en tenait rigueur. Et il partit avec les autres, seul toutefois, sur son bateau anonyme fraîchement repeint, au lendemain d’un mariage sans noces.
Il fut parmi les premiers à revenir. Au stock de morues il avait ajouté, brisant une des plus élémentaires conventions de la pêche, quelques saumons d’une grosseur impressionnante. Sachant qu’on allait les lui acheter sans rechigner, il ne tenait pas compte des malicieux regards qu’on lui adressait sur le quai. La mer était là, ouverte et généreuse à celui qui savait y puiser des richesses. Qu’un se spécialise dans le homard, l’autre dans la morue, un troisième dans le saumon, que les territoires sans être délimités fussent selon une règle non écrite, respectés par tout un chacun, cela, Marcelin n’en tenait pas compte. Il pêchait, un point c’est tout.
Madeleine le reçut, debout et droite sur le perron de la maison de ses parents. Sa première attente de femme de marin lui fut pénible. Son angoisse s’éteint lorsqu’il la prit dans ses bras. Les premiers mots qu’il lui adressa, furent :
- Je commence demain à construire ma maison. Tu resteras ici jusqu’à ce qu’elle soit habitable.
Il repartit. Sans l’embrasser. Sans l’emplir de ses bras desquels l’odeur du poisson et de la mer s’exhalaient.
Du plus profond de son cœur, Madeleine ressentit que cet homme au teint halé, à l’haleine maritime et au regard gris, que cet homme n’était plus le même. Le suivant des yeux alors qu’il se dirigeait vers la demeure des Blanchard, une brise froide l’enveloppa.
…à suivre…
Comment la mer put-elle, en si peu de temps, changer un homme à ce point? Selon toutes les apparences, il était le même. Fier, décidé et entier ce Marcelin, capitaine réquisitionnant un bateau séculaire, radoubé tous les étés par un père ayant connu trop peu de saisons maritimes avant de consacrer les autres à sa famille et à sa communauté. Un Blanchard dans toute la force du mot, né au beau milieu de la période de pêche, intensément accroché aux lèvres de celui qui racontait si bien les beautés et les cruautés de celle qui les nourrit si peu longtemps. Tout jeune encore, on voyait le tracé de sa destiné clairement inscrit dans le gris perle de ses yeux. Il n’y aurait que la mer. Elle serait son rêve, son gagne-pain et sa mort. Pas assez peureux, disait-on de lui. Hasardeux, lançaient les plus téméraires.
Il avait tout appris de ce père, capitaine déchu, qui souffrit atrocement lorsque son épouse l’obligea à choisir entre elle et son amante, celle pour qui son cœur et son âme battaient. Tout le reste de sa vie, ayant accepté de larguer les amarres pour accoster définitivement sur une terre aride et improductive, il aura le regard perdu vers la première vague, celle qui pousse les autres à venir échouer sur la grave dans des silences tonitruants.
Marcelin, le fils premier, n’allait pas suivre la route du père. Il s’était juré, très jeune encore, de ne jamais piétiner sur du solide. Et c’est toute la colère refoulée d’un homme qu’il sentait humilié que ce fils investirait sur un bateau en friche derrière le hangar, là où son père l’avait remisé et, d’un été à l’autre, passait des heures à caresser. Il n’avait pas quinze ans que déjà il achevait de le repeindre, plusieurs couches appliquées sur les lettres nommant la barge : LE DRAPEAU BLANC. Le sien n’aurait pas de nom. Comme celui des pirates.
Lorsqu’il décida de partir pour la pêche, Marcelin soufflait sur les cendres d’une famille taisant depuis toujours le drame du père et, dans l’inconscient qui entoure souvent les secrets du sang, jetait furieusement les jalons de la discorde et du malheur. Ainsi que ses parents, ses frères et sœurs ne se présentèrent pas à la cérémonie de la bénédiction du curé à quelques heures du grand départ. Il faisait froid ce jour-là et le cœur de certains leur gelait l’intérieur.
Sa renommée de capitaine téméraire mais hardi, de marin habile mais colérique lui colla à la peau dès les premières sorties. Il ne respectait que son instinct de prédateur. Tous les matelots qui firent la pêche avec lui rapportaient d’incroyables histoires. Tous, les années suivantes déclinaient ses offres de repartir sur son bateau sans nom. De sorte qu’il travaillait seul, dans des eaux tumultueuses, celles qu’il recherchait, et rapportait des prises de belle qualité.
Lorsque la saison prenait fin, il partait vers la forêt, bucheron infatigable. C’est à peine quelques semaines par année que Marcelin restait à l’Anse-au-Griffon, tout entier occupé à son bateau. Il rencontra Madeleine, la si douce Madeleine, à l’occasion du mariage de la fille d’Émile, le marchand général. Leurs amourailles, comme le disaient les vieux, entrecoupées d’eau saline et de bois, durèrent moins d'une année. C’est à la veille du départ en mer qu’il l’épousa, promettant à son retour de lui construire maison et famille.
Elle aimait chez cet homme sa grande détermination, son inébranlable volonté à accomplir les projets qui lui tenaient à cœur et principalement son ardeur inouïe à tout faire bien et souvent mieux que les autres. Ses ambitions, elle souhaitait les faire siennes. Elle accepta de partager sa vie à un homme, qui parlait peu il est vrai, mais lui semblait fiable. Dans le village, on ne lui attribuait d’autres défauts que sa témérité mais puisqu’il revenait continuellement de la mer et du bois, les bras chargés, personne ne lui en tenait rigueur. Et il partit avec les autres, seul toutefois, sur son bateau anonyme fraîchement repeint, au lendemain d’un mariage sans noces.
Il fut parmi les premiers à revenir. Au stock de morues il avait ajouté, brisant une des plus élémentaires conventions de la pêche, quelques saumons d’une grosseur impressionnante. Sachant qu’on allait les lui acheter sans rechigner, il ne tenait pas compte des malicieux regards qu’on lui adressait sur le quai. La mer était là, ouverte et généreuse à celui qui savait y puiser des richesses. Qu’un se spécialise dans le homard, l’autre dans la morue, un troisième dans le saumon, que les territoires sans être délimités fussent selon une règle non écrite, respectés par tout un chacun, cela, Marcelin n’en tenait pas compte. Il pêchait, un point c’est tout.
Madeleine le reçut, debout et droite sur le perron de la maison de ses parents. Sa première attente de femme de marin lui fut pénible. Son angoisse s’éteint lorsqu’il la prit dans ses bras. Les premiers mots qu’il lui adressa, furent :
- Je commence demain à construire ma maison. Tu resteras ici jusqu’à ce qu’elle soit habitable.
Il repartit. Sans l’embrasser. Sans l’emplir de ses bras desquels l’odeur du poisson et de la mer s’exhalaient.
Du plus profond de son cœur, Madeleine ressentit que cet homme au teint halé, à l’haleine maritime et au regard gris, que cet homme n’était plus le même. Le suivant des yeux alors qu’il se dirigeait vers la demeure des Blanchard, une brise froide l’enveloppa.
…à suivre…
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