vendredi 27 janvier 2023

O T I U M 01.23

 Cet OTIUM, le premier de l'année 2023, comprendra deux (2) textes. Claire a choisi de ne pas publier le sien. Elle sera de retour pour le prochain, celui de février.

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Poste restante à Clichy

Il existe en France un service de courrier postal que l’on nomme : la poste restante. Un chansonnier célèbre de l’époque, Guy Béart, en avait fait une jolie chanson dont le refrain est :

On s’écrivait poste restante

Au rendez-vous des apprentis

Que sont les amours débutantes

 

Lors d’un séjour prolongé à Paris, ayant appris cette coutume, je résolus d’informer mes proches que, devant souvent changer d’adresse durant mon séjour qui s’avéra durer près d’un an, de m’écrire par poste restante CLICHY (92110), ce coin de banlieue de Paris étant l’endroit que je fréquentais le plus souvent, y ayant logé quelque temps à mon arrivée. 

J’attendis plusieurs mois avant de recevoir ma première lettre, et celle que je reçus fut déterminante pour la suite de mon séjour. En effet, cette lettre, postée depuis Tunis, m’était envoyée par des amis québécois alors coopérants volontaires en Tunisie pour une organisation canadienne de solidarité. Ils m’invitaient à venir les visiter à l’occasion de la fin de semaine de Pâques. Étant en congé sabbatique, je n’avais pas d’obligation me retenant à Paris autre que des cours comme étudiant libre à l’Université Paris VIII, fermée durant cette période. Je ne tergiversai pas longtemps et je leur répondis alors que j’allais arriver à Tunis vendredi saint le 14 avril. C’est à partir de ce moment que toute ma vie fut bousculée.

 J’habitais alors chez un ami québécois à Montfermeil dont la grand-mère possédait une maison de ville. Je contactai donc la compagnie aérienne qui offrait des vols Paris-Tunis à bon marché. Cette compagnie, Tunisair, était située rue de La Bastille, près d’une station de métro  et je résolus d’aller les chercher sur place, car mon départ était imminent et par la poste (restante ou non) pouvait occasionner un délai.

 C’était mardi le 10 avril, une belle journée ensoleillée comme il y en a peu en région parisienne. Je me levai tôt afin d’avoir un peu de temps pour consulter l’oracle du Yi King afin de vérifier si  cette journée me serait favorable. Pour la première fois depuis que je consultais le grand livre des Transformations, l’oracle m’offrit probablement l’idéogramme le plus positif qui soit : l’humilité!  


 Je sentais alors que ma journée me serait très favorable, car j’allais préparer une visite en Tunisie. Selon la lettre reçue de mes amis coopérants à Tunis, il y avait une possibilité que je postule un poste d’enseignant en travail social à la même école universitaire où ils offraient des cours dans le cadre d’une entente entre une université québécoise et l’organisme de coopération internationale avec laquelle ils étaient liés.

À la sortie de la station de métro Cambronne, je réalisai qu’en fait il y avait la rue, le boulevard et la Place Cambronne. Un peu médusé, je cherchais de tous les côtés où me diriger. C’est alors qu’une jolie jeune femme s’adressa à moi, me demandant si j’étais perdu. Déjà son accent de Marseille à couper au couteau me fascina. Elle m’avouera un peu plus tard que mon accent d’étranger francophone l’avait aussi un peu séduite. Elle m’indiqua où trouver le bureau de Tunisair, rue Cambronne et la quittai un peu à regret que cet échange fut si bref, mais ô combien ensoleillé. L’oracle avait raison, cette journée commençait de façon très favorable.

En sortant du bureau de la compagnie aérienne, je constatai que par son soleil radieux je méritais de m’attarder un peu  à Paris avant de rentrer à ma petite banlieue célèbre pour avoir été la ville de Cosette, personnage important du roman Les Misérables de Victor Hugo que Jean Valjean adopta après sa sortie du bagne. Je me rendis au Jardin du Luxembourg, mon endroit préféré pour lire sous les grands platanes. Après une heure de lecture, je cherchai un petit estaminet afin de m’offrir une fringale avant de rentrer. J’en aperçus un près du parc, sur la rue Gay-Lussac.

Je commandai un plat d’œufs mimosas et déposant mon veston sur la chaise, je partis au cabinet de toilette. En revenant surprise : la jeune fille rencontrée au métro Cambronne était assise ‘devant ma table et discutait avec un clochard. J’en fus estomaqué. Je m’adressai alors à elle pour lui demander si cet homme l’importunait, et dans son bel accent de Fernandel elle me répondit : Oh fan de chichoune, c’est vous le monsieur avè le  bel assent du Canada!!! Le contact fut électrique. Nous partîmes à rire, l’un accusant l’autre de l’avoir suivie. Mais non, lui dis-je, j’arrive tout juste du Jardin du Luxembourg; je me remémorais la belle mais trop  brève rencontre que j’ai  eu cet avant-midi avec vous.

Nous avons pris alors notre déjeuner ensemble au cours duquel elle me précisa qu’elle venait à Paris pour acheter des produits pour faire de la céramique, étant potière. Et comme elle habitait en Provence, dans un petit village elle devait venir régulièrement en capitale pour s’approvisionner.

 Cette lettre en poste restante, Béart avait raison, ce fut pour moi le rendez-vous de mon amour débutante. Cette belle femme, Patricia de Forcalquier, fut mon épouse jusqu’à son décès tragique quelques années plus tard, au Ghana, en Afrique.

Pierre


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    Sortant du métro, Nathan se dirige vers son appartement. Le blanc sale de la neige dévisage l’environnement y déposant un masque d’ombre. Le trottoir glacé l’incite à la prudence. Il tient solidement le livre qu’une certaine Gabrielle a malencontreusement oublié sur le siège du wagon alors qu’elle descendait à la station Jarry. L’a-t-elle ou non volontairement abandonné ? Voulait-elle, par ce geste, se débarrasser de l’enveloppe postale encartée au milieu des mots de Virginia Woolf ? Serait-ce un signe ? L’animatrice de son groupe de rencontre insiste souvent sur ce mot - un signe - rappelant combien nous y portons peu d’attention.   

Au milieu de cet hiver, étrange et combien bizarre saison sautillant entre chaleur estivale et blizzard sibérien, dans la solitude qui s’est accaparé de Nathan depuis sa séparation d’avec Isabelle, solitude qu’il tente de meubler par des heures de travail supplémentaires effectuées au dépanneur non loin de chez lui, il a développé une routine presque électromécanique, son domaine d’étude : lever tôt, petit-déjeuner frugal, lecture rapide des informations sur Internet, puis en route soit vers le collège ou le boulot, le week-end.  Mais... mais il s’ennuie profondément, réalisant mieux ce qu’Isabelle lui avait lancé au visage quand elle déclara que leur vie était assommante.

- Devant le building, pas de regard vers le rez-de-chaussé, se dit-il.

Il lui sera facile de tenir parole puisque madame Farell, la concierge de son immeuble d’habitation, semble l’attendre, malgré l’heure tardive, droite et immobile comme un bonhomme de neige.

 - Tu as reçu une lettre mon garçon. Il faut aviser les gens de ton changement d’adresse, Isabelle ne semble pas vouloir te remettre le courrier personnellement. Vous êtes en mauvais termes?

- Je m’en occupe, d’ailleurs je ne reçois pas beaucoup de correspondance.

 Nathan, évitant la question qui semblait tracasser la concierge, récupère l’enveloppe se disant qu’aujourd’hui passerait à l’histoire : deux missives, une lui étant directement destinée, l’autre, par personne interposée.

 Il salua la concierge, jeta mécaniquement un coup d’oeil rapide vers la fenêtre de la pièce qu’il a occupée quelques mois avant de se retrouver juste au-dessus, dans une chambre célibataire. Rien pour apaiser son ennui.

 

.....

 

    Nathan, respectant scrupuleusement sa routine du retour à la maison, se prépara un sandwich et démarra la cafetière, mais son esprit vaguait entre les deux enveloppes qu’il avait déposées sur la table de cuisine en entrant dans ce lieu de plus en plus froid, de plus en plus impassible. Laquelle d’abord ? Il opta pour celle remise par la concierge.

 Nathan,

Isabelle m’a informée de votre séparation. Un simple malentendu, du moins je l’espère.

Cette invitation te surprendra sans doute. Claude et moi projetons un voyage à l’autre bout du monde. L’Asie. En fait nous prévoyons partir pour un mois en Thaïlande et au Vietnam. En élaborant notre ébauche  d’itinéraire, nous avons pensé vous proposer, à Isabelle et toi, de vous joindre à nous.

La situation étant différente maintenant et comme Isabelle a reçu notre message, nous avons cru honnête d’également t’en faire part. La proposition tient quand même. Je te laisse y réfléchir. Nos dates s’échelonneront entre le 1er mai et le 1er juin.

Donne-moi de tes nouvelles.

Marielle xx

Nathan réalisait à la lecture de cette lettre que la nouvelle de leur séparation s’était rendue jusqu’à son village. Il allait répondre à cette amie par téléphone, se doutant qu’un courrier avait été le chemin clandestin choisi par son amie afin de ne pas ébruiter son message. Elle craint les réseaux sociaux peu sûrs pour garder secrète toute communication.

Il déposa le papier sur la table, se servit un café et s’approcha du livre dans lequel il allait retirer cette enveloppe postale qui ne lui était pas destinée, mais qui attisait sa curiosité.

Impossible de lire le nom de la personne à qui cette correspondance était destinée, seul le prénom avait survécu à une quelconque tache : Gabrielle. Il examina le timbre estampillé afin d’y découvrir une date : juin de cette année. Plus de six mois déjà.

L’enveloppe avait été ouverte puis refermée. Nathan en retira un ramassis de papier oignon sur lesquels, à l’encre verte, une graphie soignée se révélait. Au bas de la dernière feuille, une signature : James.

Déposant sa tasse de café, il se mit à lire.

 

Gab,

je sais, tu détestes souverainement que l’on coupe ton prénom en deux, mais je me le permets puisque je n’aurai été dans ta vie que la moitié du temps.

Un matin, au début du printemps de cette année, le cri lugubre d’un oiseau m’a réveillé plus tôt qu’à l’habitude. C’est signe, pour certaines personnes, qu’il y a quelque chose autour d’elles qui ne roule pas bien. L’inquiétude m’a aussitôt envahi. J’ai immédiatement pensé à toi. Il y a de cela un certain temps et cela ne me quitte pas.

Ce malaise devenu souci me poussa à me lever et à chercher autour du jardin l’oiseau criard. Un oiseau noir perché sur la plus haute branche du chêne - celui que nous avons planté lors de ta naissance - semblait fixer la véranda sur laquelle je me postais. Deux sentinelles s’observant l’un et l’autre. Un retentissant silence emplit l’espace.

Cet oiseau laissa choir à mes pieds de vieilles idées noires. Les ai reconnues : égoïsme, orgueil et culpabilité. Au fil du temps, comme des plumes d’oiseau qui oscillent dans l’air avant de se retrouver au sol, elles avaient déposé dans mon être un fatras de situations que j’associais à ceci, à cela, aux autres. Maintenant sortis de l’ombre et nommés, je le sais.

C’est par égoïsme que je vous ai quittées, ta mère et toi, pur égoïsme qui ourdissait des excuses faciles, des mensonges impardonnables afin de mieux flatter mes envies de vivre sans responsabilités.

Impossible pour moi d’avoir été présent alors que tout me menait ailleurs. Tu me cherchais. Je fuyais.

C’est par orgueil que j’ai si longtemps altéré des situations, les interprétant en mon avantage. Combien de fois, je ne saurais les compter, je me suis interdit un rapprochement vers toi, ma fille, qui avait besoin de ce père que je n’aurai jamais réussi à être correctement, complètement. Je suis demeuré cet être inatteignable, ce bâtisseur de barrières, afin de protéger mes faiblesses qui devaient demeurer invisibles.

Il était impossible pour moi de t’enseigner ce que je n’ai jamais appris.Tu cherchais des réponses à tes questions ; je faisais mine de ne pas les comprendre afin de les éviter.

C’est par culpabilité que trop souvent j’ai tenté de me rapprocher de toi, alors que je voulais tout simplement libérer ma conscience. Réalisant mon caractère coupable, j’ai mis un frein à ma volonté de te retrouver, te révéler ce que je découvrais en démêlant mes idées noires.

Suis comme entré dans un profond tunnel, couleur oiseau criard, sans réussir à percevoir cette lumière dont on nous dit qu’elle attend, on ne sait trop pourquoi d’ailleurs, peut-être seulement à éclaircir l’espace ou nous aveugler de ses chimères. Il m’a fallu un certain temps pour réaliser que c’est mon intérieur que je devais débrouiller.

Cette lettre est courte. Je sais qu’elle me permet de balayer mon intérieur, de prendre conscience que c’est là que je dois continuer à orienter mes recherches. Je souhaite que tu la reçoives comme, pour moi, le cri d’un oiseau noir... que tu sortes sur ton balcon cherchant quelque part un signe.

 

James

 

.....

 

    Nathan déposa les feuilles de papier oignon sur la table, jeta un coup d’oeil au fond de sa tasse de café, repassant sa journée en revue : le collège, le groupe de rencontre, l’enveloppe postale glissée dans le livre de Virginia Woolf et cette phrase, à nouveau lui revint : Car le paysage d’un écrivain est un territoire à l’intérieur de son cerveau ; nous courons le risque d’être déçus si nous voulons que ces villes fantômes soient faites de brique et de mortier. Nous y faisons notre chemin sans avoir besoin de panneaux indicateurs ou de policiers et nous pouvons saluer les passants sans avoir été présentés. Aucune ville, aucun individu, ne sont plus réels que ceux que nous inventons ; chercher à leur trouver un équivalent dans la réalité leur enlève tout leur charme. De même que les morts célèbres viennent en nous s’ils le souhaitent et quand ils le souhaitent, et que leur image est plus palpable et réelle que n’importe quel corps fait de chair et de sang.

 

 Jean

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