dimanche 11 juillet 2021

O T I U M #9

 

Otium 9 (juillet 2021)

 «Mais la beauté, de même que l’enfance, est exempte de ce poids d’inertie (…). Elle se tient sur l’aile invisible du principe sans fatigue qui semble conduire ce qui existe vers un ailleurs vivace que nous ne connaissons pas.»

(Pierre Vadeboncoeur, Les deux royaumes) 

Qui suis-je?

Dans la grise froideur de l’hiver, mon squelette bas et noueux résiste aux agressions du temps, faisant silencieusement corps avec le paysage. Quand mon être se voit ainsi imposer la dormance, je cultive ma patience. J’ai appris à attendre en toute confiance. Je sais, par l’habitude des cycles, qu’une saison plus clémente viendra se déployer en ma faveur. Et c’est alors que, toujours, mon humble silhouette se métamorphose, dans l’allégresse du retour de la brise douce et de la lumière fortifiée.

Une sève fervente se met à circuler dans mes veines. Puis, comme l’éclair, ma tête éclate en d’infinies et fascinantes inflorescences, aussi blanches que des soies pures, aussi roses que des lèvres d’enfant. Elles laissent dans leur aura des traces de parfums subtils et frais.

Si d’aventure, âme humaine passe à mes côtés sans s’arrêter, sans admirer cette beauté qui m’est donnée, je me sens en peine. À cause du ravissement qui n’est pas éprouvé. Pour la solitude dans laquelle ma beauté est abandonnée. Je me console cependant en me souvenant de tous ces regards enthousiastes sur moi portés. En me rappelant cette fréquence de joie souvent mutuellement et muettement ressentie sous le franc bleu du printemps.

Je n’oublie pas non plus tous les soins dont on m’entoure. Je suis d’essence fidèle et reconnaissante. Après la beauté accordée, à mon tour je donne. Et j’admire la créativité qui en découle. Je suis fier de l’or doré que l’on extrait de ma procréation et qui abreuve l’homme, semblable à l’eau douce d’une rivière ou aux effervescentes bulles d’un torrent. J’entends mon fruit craquant répandre son nectar nourricier sous le palais des enfants. Je me réjouis de savoir que j’exhale un fumet délicieux quand on me chauffe.

Quand je pense que l’on m’a fait transhumer par la Route de la soie et que j’ai pu prendre racine dans des sols aussi divers qu’éloignés, je pourrais m’enorgueillir. Mais je reste modeste : je sais au cœur de mes fibres que ce n’est pas ma force à moi, mais plutôt l’inépuisable et invisible fonds dans lequel mes racines plongent et vibrent, qui renouvelle mon existence et multiplie mes connivences avec vous.

Avez-vous maintenant deviné qui je suis ?

Le pommier!


Claire (juillet 2021)


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J’me suis toujours demandé...


...  pourquoi, sur la ligne du temps, le passé se retrouve à gauche ? ;

... pourquoi - et l’aquarelle comme élément déclencheur de l’otium 9 me ramène peut-être à cette question - les couleurs ont souvent tendance à vouloir se rapprocher les unes des autres tout en se distanciant... veulent-elles conserver leur personnalité, leur originalité ou sont-elles à la recherche d’une certaine homogénéité ? ;

... pourquoi, ainsi que celle qui s’immobilise dans le tableau, une scène dynamique dans le réel signe-t-elle l’espace-temps de manière immuable tout comme ces deux personnages qui l’un, la femme penchée, ramassant on ne sait trop quoi, qui l’autre, l’homme debout, presque en ligne droite, cueillant ou ayant cueilli on ne sait trop quoi qui jonchait le sol, peut-être une fleur tombée de ces arbres qui s’apparentent à un pommier ou tout autre fruitier ? ;

... pourquoi le bleu fait toujours plus doux aux yeux, comme s’il cherchait à s’approcher du blanc pour s’y mêler, s’adoucir davantage... ?

J’me suis toujours demandé des choses qui, souvent, n’avaient, à première vue, aucune importance. Comme voir sur cette aquarelle un arbre mort tout à côté de celui qui resplendit de mille fleurs ou cet autre, près de l’homme en état de marche, cherchant à se profiler dans un décor champêtre qui s’étend vers un horizon en quête de forêt.

Faut-il absolument se demander des choses ? Le faut-il vraiment ?

La femme sur le tableau, bonnet blanc et tablier bleu, inclinée, à qui ou à quoi pense-t-elle, qu’interroge-t-elle ?

 L’homme sur le tableau, un rai de vert le séparant de la partie gauche, chemise blanche et pantalon bleu, que porte-t-il dans ses bras ? Se dirige-t-il vers la femme ? À quoi pense-t-il ? Que cherche-t-il ?

 Qui a-t-il d’essentiel dans le fait de solliciter quelque chose ? Peut-être le fait de nommer un besoin, de clarifier un désir, de chercher un absolu ou encore d’ouvrir un passage entre des univers étrangers les uns aux autres...

 Est-ce le premier pas vers une envie parfois viscérale de mieux se situer par rapport aux choses, aux gens ou encore à l’invisible ?

 J’essaie d’imaginer ce qui s’est passé avant que l’aquarelliste peigne ce tableau et ce qui arrivera lorsque l’homme, s’il poursuit sa marche, arrivera à hauteur de la femme qui, sans doute, aura achevé de ramasser ce qui repose à ses pieds.

 C’est ici qu’intervient celui ou celle qui regarde, celui ou celle qui cherche à imaginer la suite des choses, à construire un destin.

 Qu’est-ce que les deux personnages installés dans ce grand jardin d’arbres en fleurs, sous un ciel bleu, sous des nuages blancs et roses, qu’ont-ils à se demander, à se dire ? Se parleront-ils ou conserveront-ils ce silence étendu entre eux en raison de la distance qui les séparait ?

 Examinant de plus près ce tableau, il m’est difficile de savoir à quel moment du jour il a été peint ; l’ombre des arbres s’étend vers la droite, vers le futur si on adopte l’idée que la gauche représente le passé, et qu’aucun autre détail permet de mieux le situer. Était-ce pour l’installer dans un temps suspendu ?

J’me suis toujours demandé si le temps a un rapport direct avec ces suites chronométrées de vingt-quatre heures qui, quotidiennement, reviennent se confronter à l’espace auquel ils parviennent. Lequel des deux, le temps ou l’espace, informe davantage sur ce qui est mobile ou immobile ?

Si l’aquarelliste avait croqué ce tableau la veille ou le lendemain, j’me demande si les deux personnages eurent été là ; leur intention, la même ; si les couleurs eurent été ce bleu, ce blanc, ce vert et ce rose, avec une clarté similaire, une façon de se fondre dans la lumière avec une semblable intensité.

J’me demande si le temps et l’espace sont des concepts ou des états ? Si chacun de nous doit développer un certain contrôle sur eux ou si nous nous situons dans une sphère qui leur est parallèle : même temps et même espace, mais composant une tout autre finalité.

Ce qui nous fait agir ou réagir est-il régi par le moment au cours duquel nous avons les deux pieds enfoncés dans un temps et un espace précis ? Une fois agi, est-ce que le regret ou la déception cherchent à s’installer afin de nous placer face à face devant ce que nous souhaitions et ce qui est advenu réellement ?

J’me demande ce que l’aquarelliste ressent une fois le tableau achevé ? Une satisfaction ou une déception, celle de n’avoir pu transcender l’espace et le temps qui se profilaient devant ses yeux.

Et j’achève de regarder ce tableau, m’interrogeant sur la ligne du temps qui, de l’infini à gauche vers l’infini à droite, prend un court instant, vers le centre des deux points, pour se pauser, laisser quelques artefacts et un ruban rempli de questions... souvent sans réponses.   

 J’me suis si souvent demandé...


Jean

Juillet 2021

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Pulsion de vie printanière


Heureux d'un printemps qui me chauffe la couenne
Triste d'avoir manqué encore un hiver
J'peux pas faire autrement, ça me fait de la peine
On vit rien qu'au printemps


Ces paroles de Piché qui accompagnent ce tableau me propulsent dans la force de vie comme ces pommiers en fleurs, promesses de fruits d’un rouge vif à croquer à la récolte. Ce fut en effet un triste et long hiver planétaire qui nous a été infligé. Et ce printemps, c’est à nous de se l’inventer. Le mien se veut perpétuel, car après tout: On vit rien qu'au printemps

Il se décline en quête incessante de vitalité physique, d’ouverture psychique : à moi, à mes amours et à mes amitiés : c’est dans mon ADN. Étant pommier d’été, j’ai une propension à inspirer de la pulsion de vie, ou à tout moins à l’honorer chez l’autre.

Mon printemps, je le vis à l’automne de ma vie : je fleuris et je récolte en même temps, n’ayant aucun printemps à perdre. Je ne veux que des printemps à étreindre, aucun à geindre.

Je choisis le temps de l’aube, celui de cette lumière qui, même lorsque blafarde, annonce le nouveau jour comme un cadeau de la vie. Un nouveau moment à vivre. Bien sûr le dernier hiver viendra, mais pas encore. Je m’y prépare chaque fois que j’abandonne mon corps, le laissant se répandre dans le rêve.

Quel printemps ai-je déjà le mieux célébré? Il me revient celui de Gentilly, cette année-là où mon corps prenait une pause à la suite d’une infection bactérienne. J’accompagnais alors mes oncles aux travaux préparatoires aux semences, aidant à atteler les chevaux après la traite matinale des vaches. Comme je me sentais quasiment adulte auprès de ces géants. Et c’est particulièrement près de François, le frère le plus jeune de mon père que je me sentais le plus en phase. C’est bien sûr car c’est avec lui que je chantais, en revenant des travaux des champs, du Félix.
Dont ce magnifique poème… L’Hymne au printemps

Quand mon amie viendra par la rivière
Au mois de mai après le dur hiver
Je sortirai, bras nus dans la lumière
Et lui dirai le salut de la Terre

François vient justement de nous quitter, ce paysan-poète, et je veux le célébrer. Je partirai demain pour Gentilly, rencontrer mes cousines et cousins, et leur remettrai un hommage composé pour lui, accompagné de cette superbe photo de lui, assis sur sa faucheuse, derrière ses
chevaux si tant aimés et si bien soignés.





Je le qualifie de paysan-poète car il a fait de sa vie un long poème, l’incarnation à mes yeux de la poésie de Félix. Par exemple, par amour pour ses bêtes, il donnait à chacune de ses vaches un nom particulier : Friponne, Bébette, Cocotte, Barbara… Sa ferme il l’avait appelé : la Gemmule, l’embryon de la graine de blé. Il s’en était inspirer du nom de mon journal étudiant et qu’il avaittrouvé très beau. Un autre indice de la complicité qui me valorisait tellement comme adolescent de la  part d’un adulte.

Sa poésie, je la retrouve aujourd’hui dans la philosophie, celle de Jean Bédard, ce philosophe-paysan qui, depuis quelques années a fait croître sa pensée en retournant à la terre. Bédard nous invitait lors d’un de ses séminaires à Bic, à faire de notre vie une œuvre d’art :

L’œuvre d’art est une réalisation, c’est-à-dire un enfoncement particulier dans le réel qui toujours tresse ensemble l’immense universel avec le minime apparent du singulier refusant d’être soit une idée générale, soit une singularité fermée sur elle-même... Il s’agit de réaliser une œuvre qui nous réalise en rendant le monde plus réel, plus chargé de vérité. Il s’agit d’une transfusion d’intelligences créatrices qui démontrent que la beauté n’a pas de but, sa finalité fondamentale consiste à s’échapper, à croître, à s’engendrer différente, à se produire, à se dépasser.
 
C’est dans ce sens que la pulsion de vie est printanière, source de renouveau après chaque deuil, chaque départ, chaque perte : c’est un Avant l’accomplissement, le dernier hexagramme du Yi King. Atteindre le sommet de l’Acropole des Draveurs fut un mon dernier accomplissement. Mon prochain printemps : le Mur d’Hadrien?

- Pierre

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