Étudiants du groupe WE ARE ONE |
À chacune des fois
qu’il m’est permis de le dire, la réaction est similaire. Quoi Toi ? On
arrive difficilement à m’imaginer professeur d’anglais. Pourtant, je le suis.
Actuellement, deux groupes d’étudiants se présentent dans cette classe
improvisée que j’ai organisée sur le balcon. Un premier groupe, celui avec qui
je travaille depuis le mois de mai dernier, s’est attribué un nom : WE
ARE ONE. Composé d’ingénieurs travaillant au chantier du métro de
Saigon. La compagnie Fecon (firme d’ingénieurs de Hanoi) associée à un partenaire japonais y a délégué ses meilleurs
éléments. Un immense contrat. À un point tel, que les deux sociétés, maintenant
fusionnées, ne forment plus qu’une seule et même entité. Cela posait le
problème du classement des employés afin d’établir une liste d’ancienneté et de
compétence. Tenant compte des multiples différences dans la formation de leurs
ingénieurs, un seul critère fut retenu : la compétence à s’exprimer en
anglais. Les ingénieurs vietnamiens se sont vus relégués aux derniers rangs de
la nouvelle structure. Cela implique, conséquemment, une perte de revenus et
des chances restreintes d’avancement. C’est alors qu’ils se sont retournés vers
moi afin de leur enseigner les rudiments de la langue de Shakespeare.
Ils sont motivés et sérieux, conscients que je ne suis pas un
bilingue averti mais, je l’avoue humblement, un assez bon pédagogue. Alors
qu’au début des cours, on devait souvent s’arrêter afin de consulter GOOGLE
TRANSLATE pour qu’on me suive dans mes envolées, maintenant, près de six mois
plus tard et un arrêt de deux mois lors de ma venue au Québec, plus besoin de
traducteur. Tout à leur honneur !
Le deuxième groupe, trois étudiants, comprend un banquier, un
employé d’une agence de tourisme et un étudiant en théâtre. Plus disparate
comme composition, mais tout aussi assidu et engagé dans leur démarche
d’apprentissage. Leur carrière future dépend, pour eux aussi, une connaissance
suffisante de la langue ainsi qu’une certaine fluidité à converser. Ce qui fait
qu’un des objectifs que je leur propose, c’est une bonne prononciation. La
langue vietnamienne n’a rien, mais absolument rien à voir avec l’anglais de
sorte qu’il en résulte souvent, chez ceux qui se déclarent parfaitement
bilingues, une connaissance adéquate de la grammaire anglaise, un riche
vocabulaire, une excellente facilité à manier les structures linguistiques.
Sauf que… on ne les comprend pas avec leur accent vietnamien. C’est ici que le
bât blesse.
Je rencontre chacun des groupes à raison de deux heures par
leçon, une fois la semaine. On dit souvent que la meilleure façon d’apprendre
quelque chose c’est de l’enseigner. Cela s’avère vrai dans mon cas.
Une chose sur laquelle j’insiste beaucoup c’est de les inciter
à ne jamais perdre leur langue maternelle, de voir l’anglais comme une langue
utilitaire. La langue et la culture vietnamiennes ne doivent jamais, tout comme
le français pour nous Québécois, s’aplaventrir devant celle qui semble être
devenue la langue du commerce, du tourisme et combien d’autres secteurs. Il en
va de leur survie comme entité nationale, comme une marque de respect envers
ceux et celles qui, des siècles durant, l’auront utilisée pour communiquer et
fait perdurer leurs pensées.
Lorsque le linguiste et jésuite Alexandre de
Rhodes,au XVIIe siècle, a transcrit phonétiquement (à partir de l’alphabet
roman) le vietnamien et en faire le Chữ Quốc ngữ, remplaçant le Chữ nôm puis le chữ Hán, jamais il n’a dénaturé la langue, il l’a
rendue ouverte au monde.
Les Vietnamiens forment, pour utiliser
un terme de la psychanalyse, une société orale. On aime manger, on adore
parler. Combien de fois un contrat oral n’a-t-il pas plus de valeur qu’un
document écrit signé et contresigné ? Lorsque l’on donne sa parole, on peut
certain que ce qui a été prononcé prend force de loi.
Enseigner l’anglais c’est d’abord
pour moi revenir à ma passion première. Mon père fut enseignant, mon frère
Pierre vient tout juste de prendre sa retraite de l’enseignement universitaire
et mon frère Jacques a été un pédagogue hors pair. Je me rappelle très bien les
paroles de mon paternel alors que je lui présentais mon baccalauréat en
pédagogie : ‘’ Un bon enseignant est celui dont les élèves n’ont plus
besoin.’’ Je le réalise encore aujourd’hui.
Préparer un cours, imaginer des
stratégies variées selon chacun des étudiants qui possèdent des talents
multiples et différents, les intéresser deux heures d’affilée en les tenant
toujours sur le qui-vive, les faire rire et surtout les aimer. Il faut aimer
ses étudiants, voir ce qu’ils deviendront lorsqu’ils ne seront plus auprès de
toi, qu’ils n’auront plus besoin de tes services car ils sauront, par
eux-mêmes, continuer à apprendre de façon continue. Telle est la tâche de
celui, de celle qui embrasse cette carrière. Carrière ou profession ou vocation
? Un peu de tout, je crois.
Difficile de m’imaginer
enseignant l’anglais, j’en conviens, mais je crois qu’il est facile de m’imaginer
donner à mes étudiants les outils indispensables à l’apprentissage tout en leur
rappelant qu’ils doivent remplir eux-mêmes leur coffre à outils.
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