mardi 24 octobre 2017

Un cadavre exquis

  J’ai tiré de l’ouvrage Larousse Dictionnaire de la peinture la définition de ‘’cadavre exquis’’, expression ainsi définie par la Dictionnaire abrégé du Surréalisme : ‘’ Jeu de papier plié qui consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes sans qu’aucune puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes. ‘’    

L’exemple, devenu classique, qui a donné son nom au ‘’cadavre exquis’’ tient dans la première phrase obtenue par cette technique :
‘’ Le cadavre exquis boira le vin nouveau.’’

Il participe du goût du hasard et de l’étrange, cher aux surréalistes, et tient à la fois du jeu de société et de la magie. Inventé en 1925, rue du Château, chez Marcel Duhamel, il connut une grande faveur.

Le saut de crapaud 550 jusqu’au 553ième ont causé un certain émoi. Certains, croyant que j’y allais d’une confession sur mon état de santé, inquiets, m’ont fait parvenir des messages afin de vérifier s’il s’agissait de fiction ou d’une confession. Voilà la raison pour laquelle, au saut 551, j’ai ajouté le mot ‘’fiction’’. En fait, il eut mieux fallu que j’écrive ‘’autofiction’’ : certains éléments se rapportant directement à ma situation, d’autres puisés à la fiction.

Mais alors, que vient faire le cadavre exquis ?

À la fin du saut 553, alors que la vieille dame trouve le recueil de poèmes, elle lit qu’il s’agit d’une déformation du concept de cadavre exquis, l’auteur s’amusant – seul avec ses mots, ses vers, ses strophes – à déformer le poème initial afin d'en créer trois autres. L’histoire se colle à ceux-ci.

Le cadavre exquis est un jeu de société alors que dans cette fiction, il s’agit d’une fiction qui rejoint une certaine société. L’amusant, c’est que l’on soit en présence d’un poète inconnu puis d’un homme en chemin vers l’inconnu. Là s’inscrivent les vers interpelant la vie, le temps ainsi que l’angoisse et l’immortalité. L’éternité et l’infini.

Je reproduis, les numérotant, les quatre poèmes que l’on découvre dans les sauts 550 à 553.

-      1 - 

il arrive à la vie de devoir se mesurer au temps
combat irrégulier
pluie contre gazon mouillé
soleil affrontant un jour froid
lune contre une nuit décharnée

le temps, pubère vie artificielle,
arrache tout sur son passage
les veines bleuies à nos poignets
suivent des routes sans azimut
qu’un inconnu s’amuse à brouiller

le temps et la vie ne sont donnés
qu’à ceux qui savent accepter la mort
aux autres, ce ne sera qu’angoisses
ces rongeurs infatigables
qui effilochent notre immortalité
==========================

  




-      2 -

il arrive au temps de devoir mesurer la vie
combat infini
pluie et gazon mouillé
soleil affrontant un jour froid
lune décharnant la nuit

la vie pubère et artificielle,
arrache tout sur son passage
nos veines bleuies, nos poignets raidis
suivent des routes sans azimut
qu’un éternel inconnu brouille

le temps et la vie ne sont donnés
qu’à ceux qui acceptent la mort
pour les autres, mille angoisses
ces rongeurs infatigables
qui s’attaquent à notre immortalité
============================
-      3 -

il arrive au temps de combattre la vie
infiniment
à la pluie et au gazon mouillé
d’affronter un jour froid sans soleil
à la lune de décharner la nuit

la vie arrache tout
sur son passage pubère et artificiel,
veines bleues, poignets raidis
elle suit des routes sans azimut
éternellement brouillées par un inconnu

le temps et la vie se donnent
à ceux qui acceptent la mort
pour les angoisses
ces rongeurs infatigables
on s’attaque à l’ immortalité
========================







-      4   -

il arrive à la vie de ne plus avoir de temps
pour chercher l’infini enfoui
dans les pluies, les mouillures de gazon
de faire affront au jour ensoleillé
et de s’accrocher à la nuit décharnée

le temps s’attache à tout
au pubère et à l’artificiel
au bleu des veines de nos poignets vieillis
aux routes essoufflées et inconnus
dans des azimuts brouillés

redonner puis reprendre
temps et vie qui meurent
allumer les angoisses rongeuses
au bûcher immortel
puis partir
=========

lundi 23 octobre 2017

5 (CINQ) (CENT CINQUANTE-TROIS) 53



il arrive à la vie de ne plus avoir de temps
pour chercher l’infini enfoui
dans les pluies, les mouillures de gazon
de faire affront au jour ensoleillé
et de s’accrocher à la nuit décharnée


     Le suicide n’existe pas, il y a toujours un meurtrier derrière la mort. Un meurtre, non un assassinat. Face à la mort, devant un être mort, inéluctablement on cherche un coupable; une cause, une raison. Nous oublions qu’elle fait naturellement partie de la vie. Les cellules, avant un cancer fulgurant ou pas, vivaient. Sans doute heureuses de n’être que ce qu’elles sont. Alors s’annonce un pernicieux belligérant. Bien armé. Une cuirasse opiniâtre lui sert de bouclier. Voilà celui qui bousillera tout, laissant les globules errer entre expectation et résignation. Puis l’arrivée au terminus. C’est tout.

Souvent, la vie s’amuse à chercher l’infini dans l’ininterrompu du temps. C’est qu’elle a peu d’espace pour manœuvrer. Les délais sont courts, s’amenuisent rapidement. Combien d’heures perdues à espérer l’immortalité. De minutes gaspillées à croire aux imbroglios confus qui jonchent nos routes. De secondes évanouies à affronter des adversaires inconnus dressés devant soi sans que l’on puisse s’approprier leur raison d’être.

Les employés municipaux de la ville de Saïgon, revêtus d’une combinaison de couleur orange, grattent les rues munis de longs balais au bout desquels sont fixés des brindilles épineuses. Le bruit ne passe pas inaperçu. Comme un balancement synchronisé à des virevoltes fouettant le bitume. L’un d’entre eux, un jour, remarquera un homme endormi sur le banc de parc. Immobile. Le sac vert, lui ayant servi d’oreiller, grugé à une de ses extrémités; les rats sans doute. L’employé s’arrêtera, fixera son attention. L’homme sera mort.






le temps s’attache à tout
au pubère et à l’artificiel
au bleu des veines de nos poignets vieillis
aux routes essoufflées et inconnus
dans des azimuts brouillés


     L’homme ne saura jamais qu’il est mort. Il savait qu’il allait mourir, pas plus. Trois mois et quelques jours à déambuler ici et là. La vieille dame qui le grondait, lui reprochant de ne manger que des sandwiches, ne boire que du tonic water, cette vieille dame ne saura pas qu’il en avalait qu’une moitié, ne buvait que quelques gorgées de ce liquide à la quinine.

La veille, lors de la dernière prise d’autoportrait, il s’est remercié. Félicité d’avoir suivi à la lettre son plan d’origine. Subséquemment, un doute vint se loger entre l’estomac et l’intestin. Les tempes battaient la chamade, plus qu’à l’habitude. Une toux. Tenace. La mousson la lui avait donnée; ne s’en est jamais débarrassé. Il marchera toute la nuit. Reviendra à son banc de parc lorsque les dernières prostituées auront quitté l’édicule où elle se tiennent, se regroupent. Il aura récupéré le sac vert, placé en direction du nord. Ses pieds au sud. Il sera prêt.

La curiosité de l’employé municipal ameutera quelques badauds. Réunis autour de l’homme, ils lui seront sa dernière compagnie, ses funérailles. Son porte-monnaie est vide. Il a tout jeté au fur et à mesure des jours. Quelqu’un découvre un portable. Le groupe s’interroge. Le jeune placier de motocyclettes du restaurant qui fait le coin de la rue propose à l’assemblée de tenter de l’ouvrir. N’y parvient pas. Le dépose sous le sac vert et retourne à son stationnement. Il appellera les premiers secours.








redonner puis reprendre
temps et vie qui meurent
allumer les angoisses rongeuses
au bûcher immortel
puis partir


     La vie fut donnée à cet homme. Elle s’est transformée, a changé de visage au cours du passage du temps qui lui, jamais ne s’use. Il n’y a que le temps et la vie d’un individu qui meurent; tout à côté de lui, de cet homme, de tous les hommes, le temps et la vie ne meurent pas. Ils se plaisent à allumer des angoisses qui corrodent les tissus entre l’estomac et l’intestin. Ou ailleurs. C’est le cancer, son nom. L’opposé de l’immortalité.

L’homme est mort d’un cancer fulgurant, diagnostiqué quelques jours avant son retour à Saïgon. Il a choisi de laisser la place à ce bûcher immortel qui n’attend qu’à reprendre le si peu d’espace situé entre soi-même et l’inexhaustible.

L’homme, celui atteint d’un cancer fulgurant, n’a jamais parlé de la mort. Il ne la connaissait pas. La définissait comme étant le bout de la vie. Un point c’est tout. Durant toutes les heures qu’il aura marché, jamais il n’y a pensé. Ne lui a jamais parlé, seulement préparé une place sur un banc de parc. Un point c’est tout.

Traînait sous ce banc, un livre. La vieille dame, celle qui offrait bánh mì et tonic water à l’homme, ce quidam, le récupéra. Revenue sous son parasol, elle le feuilleta : nom d’auteur caviardé, même chose pour celui de l’éditeur, aucune date… On croit y lire le même poème, en vietnamien d’un côté, en français de l’autre. Les feuilles, froissées et humides, ne laissent aucun indice sauf cette note transcrite au crayon de plomb, à deux pages de la fin.

Le cadavre exquis est un jeu.  
Ici, dans ces pages, l’auteur en propose une version différente.


Fin

dimanche 15 octobre 2017

5 (CINQ) (CENT CINQUANTE-DEUX) 52


                                          
 il arrive au temps de combattre la vie
infiniment
à la pluie et au gazon mouillé
d’affronter un jour froid sans soleil
à la lune de décharner la nuit


   Qu’en est-il de la réalité lorsque, endormi, celle des songes vous enveloppe ?  Laquelle possède le plus de substance ? Est-il possible d’être un, puis un autre dans chacune de ces matérialités ? Le temps se développe-t-il à la même vitesse sur les deux versants ? Celui de la vie où les cancers fulgurants se propagent sans qu’aucun barrage ne puisse les freiner, reste à découvrir.

La mousson se déchaîne en cette fin d’après-midi; elle se prolongera jusqu’à la fin de la soirée. Les rues transformées en torrent obligent les motocyclistes à piétiner dans l’eau, d’allonger difficilement le pas tout en s’appuyant sur un engin étouffé. Le ciel crée des miroirs de phosphore sur ce long ruban noir que sont devenues les artères de la ville. Le tonitruant vacarme de la tempête étrangle les bruits ambiants.

On en a pour quelques semaines encore. Cela ne dérangera pas l’homme; il ne s’en préoccupera pas, n’exigeant que trois choses : marcher, entendre et voir. Les genoux doivent suivre, question sine qua non. Les oreilles, pour écouter le jazz. Voir, non plus ce qui bouillonne en lui, mais le dehors des choses. Il a abdiqué son intérieur à un rapace, ennemi plus fort que lui… l’extérieur, il le garde. Pour très peu de temps, il le sait. Temps et vie sont en conflit sur une arène couverte d’eau qui sèche aussi rapidement que les larmes échappées de ses yeux lorsqu’il prit la direction de l’aéroport.

On en a toujours pour quelques semaines. Quatre, et la peau se régénère. Le cancer, plus capricieux, dégénère selon le stade, le grade, enfin tout ce que l’homme ne voulait ni savoir ni connaître, encore moins comprendre. Qu’un nombre. Un nombre qui s’avéra un seul chiffre, plus petit que cinq. – Merci.






la vie arrache tout
sur son passage pubère et artificiel,
veines bleues, poignets raidis
elle suit des routes sans azimut
éternellement brouillées par un inconnu


     L’homme se lève. Il a dormi. La mousson a arraché sur son passage tout ce qui lui paraissait faible, frêle, tuméfié de vide. On ramassera tout, puis on oubliera ce qui était. Parfois, certains constateront un manque d’ombre ici, l’occlusion du caniveau là; après, on oubliera. On oublie toujours tout. Non en raison d’une défaillance de la mémoire, mais parce que cela ne nous intéresse plus, n’est plus utile ou ce qui remplace est davantage relevé.

L’homme se dit que la mousson et le cancer sont une seule et même chose. Mourir durant la mousson est sans doute une des ruses de son ennemi. Il n’existe aucun expédient pour leur échapper. Ils suivent, et l’un et l’autre, des routes sans azimut précis, des routes qui s’embrouillent de manière inconnue.

L’autoportrait, ce soir, devant la grille, dans cette allée (hm) qui débouche sur un mur de pierrailles que le ciment retient difficilement, nécessitera le flash. Un éclair. Il patauge dans l’eau froide, en direction du parc. Vers un banc commandité par une importante banque vietnamienne. Vide, le parc. Le banc, disponible. Il s’assoira pour le reste de la nuit.

Comment se soustraire au temps ? L’empêcher de dicter autre chose que le passage du jour à la nuit, de la nuit au jour ? Ne pas en tenir compte ? Ne pas le nommer ? Le temps n’est peut-être finalement qu’un rouleau compressant l’espace. Avec de la vie autour. Peut-être. Douter reste encore le meilleur à faire quand on a rien d’autre à faire. Demeurer dans le doute.

L’homme passera sa première véritable nuit dans le parc, sur ce banc sponsorisé.






                                                                     
le temps et la vie se donnent
à ceux qui acceptent la mort
pour les angoisses
ces rongeurs infatigables
on s’attaque à l’immortalité


     La nuit est l’apanage des rats, ces rongeurs aux yeux éclatants et vitreux, embusqués ici et là. Ils courent vers un sac à déchets, s’y attaquent pour rapidement disparaître dans l’encoignure au bout du parapet soutenant le trottoir. Puis ils reviennent comme chargés d’une mission précise connue par eux seuls. Occupés, ils ne prennent pas en compte les bruits secondaires. La présence d’un homme sur un banc ne les inquiète pas. Il y en a eu d’autres avant lui, beaucoup d’autres suivront. Les hommes, ces êtres assis sur des bancs de parc, obsédés par leurs pieds angoissés ne représentent aucun danger pour ces besogneux de la nuit.

La nuit se vêt d’immortalité, elle a été tant et tant de fois attaquée par des fantômes aussi réels que les couleurs dans l’obscurité. Elle ne se définit pas, elle est. Du présent éternel, insoucieuse d’hier et de demain. De la vie sans mort, sans la fulgurance du cancer, sans la perte des poussières internes.

L’homme s’immobilise. L’immuabilité commencera tout doucement à camper en lui… rivé à un banc vermoulu… soutenu par des genoux de moins en moins solides… absorbé par un jazz sombre… les pupilles de ses yeux multipliant les images qui graduellement s’évanouiront.

Ainsi seront ses derniers jours, ses dernières nuits. Le recueil de poèmes s’humidifiera quotidiennement, mais les mots intercalés, déplacés puis revenus en place empliront son cerveau en attente des métastases. Métastase pouvant aussi dire… changer de place.

À suivre

samedi 7 octobre 2017

5 (CINQ) (CENT CINQUANTE-ET-UN) 51

il arrive au temps de devoir mesurer la vie
combat infini
pluie et gazon mouillé
soleil affrontant un jour froid
lune décharnant la nuit



   La réception occupe un espace étroit au rez-de-chaussée. Sur un coffre en bambou servant de bibliothèque, repose le roman de Benacquista. L’homme, considérant le troc équitable, dépose le recueil de poèmes dans son sac à dos puis quitte l’hôtel sans payer.

Parcourir Saïgon le matin alors que le bruit se lève lui a toujours procuré un plaisir particulier. Ce matin, pas du tout. Il remit au chauffeur, qu’il dût réveiller, un billet sur lequel l’adresse était notée. Cinq minutes de course.

– Merci, monsieur.

Le building, ancien mais confortable, ne dispose pas d’un ascenseur. Il s’habituera. Bagage à l’épaule, sueurs dans le dos, l’homme arrive finalement à ce penthouse défraîchi niché au quatrième.

La fatigue liée au décalage horaire se fait sentir, mais il ne souhaite pas s’allonger craignant s’endormir et ainsi ralentir la nécessaire culbute des heures. Tout bon voyageur doit s’assurer de trois choses à son arrivée en terre nouvelle : logement, transport et emploi du temps. L’homme n’est pas un réglo. Il vit à Saïgon depuis assez longtemps pour la connaître sous toutes ses coutures. Il a changé de quartier. Ne veut plus mettre les pieds dans les mêmes sillons.  

L’homme défera son bagage plus tard. Pour le moment, il ira marcher, réorganisera son temps. Premier autoportrait devant le grillage de la porte d’entrée du building. Un tous les jours. Enfoui dans son portable sans qu’à aucun moment il n'y retourne. De toute façon, il y aura de moins en moins à voir.

Demain, jour sans date comme tous ceux qui suivront, l’homme ira chez le docteur Bouddha. Vieil homme - sans doute le même âge que lui – qui a survécu à la guerre; médecin au service des marionnettes de Washington, on lui a brisé les deux épaules à coups de pieds lorsque l’on eût appris qu’il flirtait avec les Viet-Congs. Sachant bien la doser, il lui fournira la morphine nécessaire pour les semaines à venir. Au début, docteur Bouddha la lui injectera, par la suite, il s’y appliquera.

Trouver un banc de parc. C’est tout.




la vie pubère et artificielle,
arrache tout sur son passage
nos veines bleuies, nos poignets raidis
suivent des routes sans azimut
qu’un éternel inconnu brouille


     Le recueil de poèmes que l’homme a glissé dans sa poche deviendra son passeport. Incognito comme cet auteur dont le nom a été caviardé. Impossible de retracer le nom de l’éditeur. Sans date aucune. On croirait lire le même poème duquel, de vers en strophes, un mot, parfois deux furent modifiés. Il a jeté son passeport dans le caniveau.

La mousson repousse son spectacle son et lumière pour la fin de l’après-midi. L’homme dormira à ce moment-là. Maintenant, le soleil crevasse le visage des gens qui plissent les yeux. On ne le reconnaît pas. Un étranger parmi les autres.  Heureux, il passera de l’éloignement à la solitude puis à l’isolement… aisément. Marcher le moins possible dans les mêmes lieux. Devenir le seul lieu, le seul espace à habiter.

À la sortie du cabinet de l’oncologue, là-bas à l’autre bout du monde, une infirmière l’attendait. Lui proposa un café. Lui offrit quelques dépliants. Un numéro de téléphone. - Non, merci. Il n’allait surtout pas participer à cette hypocrite comédie au cours de laquelle on saupoudre les confessions individuelles de formules et de clichés les incitant à demeurer positifs. Il a choisi le raccourci.

L’homme ne croit pas aux miracles, qu’ils soient spirituels ou scientifiques. La guerre qu’il n’a jamais déclarée mais à laquelle la vie l’a précipité, il n’allait pas la faire. Il s’avoue vaincu au départ. Ne veut rien savoir des dommages collatéraux. N’a rien dit à personne. Oui, il a dit quelque chose. Juste ce qu’il faut pour ne pas inquiéter sans complètement rassurer. Partir vers où il vit puis voyager quelques semaines. Donnera des nouvelles au retour. Il a utilisé le mot karma. On ne s’inquiétera donc pas.

Il achète un bánh mì et un tonic water puis retourne au quatrième du building.




le temps et la vie ne sont donnés
qu’à ceux qui acceptent la mort
pour les autres, mille angoisses
ces rongeurs infatigables
qui s’attaquent à notre immortalité

 

     Dormir. L’homme s’étend. N’a pas mangé le sandwich mais achève d’ingurgiter le breuvage à la quinine. Souvent, alors qu’on le promenait de salle d’examen en salle d’examen, des mots s’achevant par ce même son – quinine - lui parvenaient aux oreilles. C’est avec beaucoup de collaboration qu’il passa à travers cette période exténuante menant au verdict final. Dès le début, l’homme savait. N’attendait que la confirmation.

Que seront les rêves de celui qui sait ? Pour les jours, tout est clair : ne jamais marcher deux fois au même endroit; toujours revenir à ce banc de parc; remplir quotidiennement le sac vert des vêtements portés durant les dernières quarante-huit heures; pas de lessive; manger la même chose, à des heures différentes. D'une semaine à l'autre, passer du jour à la nuit. Ne parler à personne. Se rendre invisible. Ne rien conserver. Toujours se départir d’une chose avant de rentrer au penthouse.


Que seront les craintes pour celui qui sait ? Souffrir. Avoir mal. La morphine suffira-t-elle ? Ne rien vouloir apprendre de ce qui arrivera. Ne sachant rien du développement d’un cancer fulgurant, en rester là. N'être qu’un passeur dans le temps… en lutte avec la vie. 


À suivre



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