mercredi 26 juillet 2017

humeur vietnamienne



LE CRAPAUD est rentré à Saint-Pie. 21 heures de vol, 12 heures de transit, 11 heures de décalage horaire, tout cela entre les 18 et 19 juillet. QATAR AIRWAYS, malgré les problèmes de trajectoires autour de son petit pays, a réussi à nous ramener chacun chez soi dans à peu près les mêmes temps qu’à l’habitude.

Je dois, le plus souvent possible, quitter mon siège du Boeing 777 afin de marcher dans les allées de cet avion qui a la grâce d’un oiseau au long cours. Deux ou trois soubresauts à peine perturbèrent l’uniforme ronron qui prenait des airs de berceuse.

Le voyage sera long, me disais-je. Il le fut en effet. Traverser la moitié de la Terre, survolant l’Inde pour s’arrêter quelques heures à Doha ; planer à 35 000 pieds au-dessus de l’Irak avant de traverser en quelques coups d’ailes la Pologne pour se retrouver en Irlande puis ce long trajet au-dessus de l’Atlantique aboutissant à Montréal.

Montréal, est-ce le retour au pays ? Alors que j’annonce être résident permanent au Vietnam, on me salue comme un étranger, un visiteur dont s’enquiert sur son lieu de séjour et le moment de son départ. J’avais pris l’habitude de la fouille complète, cette fois-ci, et pour les prochaines, on me dit que je devrai passer par le poste frontalier où l’on accueille les non-résidents canadiens. Premier choc dans ma réflexion qui allait dans le sens suivant : suis-je de retour chez moi ? Cette question, je me la pose maintenant alors qu’on me fait sentir que je ne suis que de passage.

Navette de l’aéroport vers le centre-ville de Montréal puis le bus qui me débarquera à Saint-Hyacinthe où m’attendent Odile, Léa et mon grand ami Jean Choquette. Il fait très beau alors que la pluie peine à se retenir depuis un bon moment. Et le décalage horaire qui me fouette les reins sans vergogne.
Retrouver « mon monde », des lieux connus et principalement n’entendre parler que français, moi qui vit en anglais à cœur de jour et n’entend que le vietnamien autour, cela ajoute à une sorte de dépaysement que je ne m’attendais pas à trouver.

Revoir la famille : les filles, toujours aussi belles et chaleureuses, les petits-enfants qui se partagent entre adolescents et enfants, répondre à mille et une questions en même temps tout en savourant du fromage en grains… qui m’a tellement manqué… Oublier, l’espace de deux verres de vin, qu’il y a à peine quelques heures j’étais dans le District 1 de Saïgon. Reconnaître les maisons, la route si pittoresque entre Saint-Hyacinthe et Saint-Pie. Rentrer dans la maison que l’ami Choquette prend soin comme la prunelle de ses yeux. Les alentours, les arbres, les arbustes, les fleurs, le balcon… tout cela fait du bien.

Mais reste, comme incrustée, l’interrogation : suis-je revenu chez nous, chez moi ou suis-je atterri dans un lieu qui fut ma demeure ? Mon chez-nous est-il ici ou à Saïgon ? L’interrogation est présente et d’autant plus vive que, laissant un je rejoins l’autre tout aussi présent à mon âme. Si différents, à l’opposé. Village et ville. Famille et amis. Tant de distance entre eux, et moi au milieu.

Me réinstaller à mon bureau de Saint-Pie qui n’a rien à voir avec le balcon de Saïgon. L’atmosphère – climatique surtout – n’a pas la même couleur, ne dégage pas les mêmes odeurs. Je m’y sens bien, sachant que dans quelques semaines je devrai retourner vers mes tropiques.

J’ai parfois cette impression de vivre deux vies, à la fois parallèle et concomitante. Une vie qui, de son côté, ne semble pas s’interroger sur les mêmes considérations que moi. Elle est, un point c’est tout. Je ne suis pas fait de la même texture. Toujours besoin de savoir les tenants et aboutissants de chaque chose.

Combien de fois me demande-t-on : « pourquoi le Vietnam ? » « comment fait-on pour tout laisser et partir pour ailleurs, à zéro ? » « es-tu plus heureux là-bas qu’ici ? » « que cherches-tu exactement ? » « qu’a de plus le Vietnam que tu ne retrouves pas ici ? » « cherches-tu, au Vietnam, ce qui t’aurait peut-être manqué au Québec ? » « ne t’arrive-t-il pas de t’ennuyer ? » et j’en oublie certainement.

Au cours des premiers séjours en terre vietnamienne, il m’arrivait de comparer ma vie avec celle que je vis ici ; tout comme il me prenait des envies d’ajouter aux heures québécoises des comportements adoptés au pays que je considère maintenant comme ma deuxième patrie. Je faisais erreur car cela m’empêchait d’être entièrement présent à l’endroit où je me trouvais dans le « here and now ». Penser au Québec alors que je suis au Vietnam et l’inverse quand je suis ici ne m’apportait seulement que des regrets et surtout m’empêchait de vivre complètement le moment présent.

On ne peut pas, je crois, se détacher totalement des racines lovées à nos pieds et qui ont fait qui nous sommes. On ne peut que se bouturer sous d’autres cieux, dans un autre terreau, sachant fort bien que ce qui en jaillira présentera une similitude… distincte de son origine.

Je suis heureux au Vietnam pour une foule raisons qui vont de la chaleur humaine que j’y reçois à tous ces petits détails qui glissent sur soi comme autant de baume. La température, idéale ; la nourriture, parfaite ; le rythme de vie, comme je l’aime ; la continuelle poussée vers l’apprentissage autant d’une culture fondamentalement différente que des manières de vivre qui parfois me surprennent ; l’obligation de vivre quotidiennement dans une langue (l’anglais) qui ne m’est pas systématiquement familière ; regarder, écouter ces gens dont l’histoire collective regorge d’occasions pour tout lâcher, se laisser envahir sous des idées de vengeance, d’amertume mais qui ont opté pour la résilience, la marche en avant ; n’avoir rien à prouver à qui que ce soit, qu’être soi-même.

J’apprends tellement. Tous les jours. Les Vietnamiens alimentent parfois le complexe « occidental » : ce qui vient d’Europe ou des Amériques ne peut être que l’idéal, à preuve notre niveau de vie, notre richesse. Je n’ai de cesse de corriger cette perception leur rappelant la richesse de leur histoire, la force de leur caractère inventif et créateur, la formidable qualité qu’ils ont à s’entraider, l’ouverture aux autres qui se manifeste par une curiosité sans bornes.

Ma belle Marie-Claude d’Amour me signalait à quel point les Vietnamiens qui gravitent autour de moi sont jeunes. La moyenne d’âge est de 25 ans. Rencontrer des personnes plus âgées, sans être rarissime, ne représente pas ce qu’est le Vietnam aujourd’hui. Il est jeune le Vietnam. Jeune et dynamique. Travailleur et besogneux. Soucieux des aïeuls et des ancêtres. Poli et avide de connaître. Ambitieux, motivé et sérieux.

Je donne des cours d’anglais à neuf jeunes hommes : deux sont étudiants, les sept autres, ingénieurs. Ils veulent s’approprier la langue anglaise afin de favoriser leur carrière. Mais jamais ils n’abandonneront la langue vietnamienne, leur culture. Ce qui change, c’est davantage une volonté d’améliorer leurs conditions de vie et de charger leur coffre d’outils variés et utiles. Le Vietnamien s’intéresse à ce qui est profitable maintenant pour eux et leur famille.

Vivre là-bas, pour moi, c’est vivre comme eux. Rien dans mon entourage ne ressemble à ici. Je n’ai pas transporté avec moi tous ces éléments de confort qui nous sont essentiels. Et je partage, non pas le superflu, je partage ce que j’ai. Et comme « ce que j’ai » est énorme pour ce pays en voie de développement, j’ai beaucoup à partager. CAM…ON…MERCI… cette toute petite fondation qui vit de la générosité des amis québécois, je la rends disponible aux démunis et ils sont légion. Jamais en dons d’argent, toujours en services de première ligne. C’est une goutte d’eau dans l’océan des besoins mais comme elle rafraîchit celui qui ne peut se payer le dentiste, celle qui a besoin de lunettes, la famille qui peine à rejoindre les deux bouts. Je donne ce que je reçois si généreusement mais continuellement assorti d’une condition : à la prochaine occasion qui se présentera d’aider à ton tour, vas-y. Cette leçon est déjà bien apprise par ces gens qui se soucient tellement des autres.

Alors, où est mon chez-soi ? Je ne peux répondre à cette question qu’en disant qu’il est là où je me trouve, là où je vois des êtres humains, comme moi, manifestant leur espoir dans la vie.


Je sais qu’au Québec toute la question de l’immigration fait les manchettes. Je ne veux pas y ajouter mon grain de sel, seulement constater que nos racines terrestres sont « bouturables » et que d’une certaine façon nous sommes tous mes immigrants de quelque part. Savoir accueillir est peut-être une des prémisses au vivre ensemble.

Aucun commentaire:

Si Nathan avait su (12)

Émile NELLIGAN La grossesse de Jésabelle, débutée en juin, lui permettra de mieux se centrer sur elle-même. Fin août, Daniel conduira Benjam...