mardi 27 juin 2017

AVOIR 70 ANS



Avoir 70 ans n’arrive qu’une fois dans la vie. Ouvrir la porte de la vieillesse, y découvrir la lumière que vos amis septuagénaires vous ont décrite avec soit de la sympathie, soit une certaine appréhension!

J’en connais quelques-uns avec qui maintenant je partage ce nouveau cycle de vie. Je pense à ma sœur Françoise qui y est arrivée avec toute la beauté qu’elle dégage, ma grande sœur qui tout au long de notre vie, mes frères et sœurs, aura ouvert la route.
        
Je pense à mon indéfectible amie Danielle Viens dont l’humour qu’elle accroche à cette période me rassure.

Jean-Luc, mon vieux frère, compagnon inséparable sur je ne sais trop combien de sentiers que nous avons défrichés tout en y invitant ceux qui ont vu dans nos actions cette belle opportunité de vivre mieux, de mieux vivre.

Passer en revue mes amis septuagénaires, c’est avant tout s’arrêter, les regarder cesser de vieillir, ce que je crois fermement, car la vieillesse a ses limites, elle ne frappe pas toujours en raison des chiffres qui composent votre quantième. On entend si souvent : il, elle ne fait pas ses 70 ans ; comme la vie n’a pas creusé son visage, son corps ; non, non, je ne te crois pas, tu ne peux pas avoir 70 ans, on t’en donnerait beaucoup moins. Vous les avez, tout comme moi, tous entendus ces apophtegmes, clichés et lieux communs. Ils ne changent rien à la situation.

Plusieurs auteurs ont écrit sur le phénomène de la vieillesse, et non les moindres. Écrit leur propre expérience ou celles dont ils furent le témoin. Le grand médecin Oliveinstein, celui qui, en France, a ouvert un hôpital où l’on accueillait et soignait les toxicomanes dit, en résumé, qu’il a ressenti la vieillesse arriver lorsqu’on lui a suggéré de prendre du repos, que l’heure de la retraite avait sonné. Il a écrit un livre fort touchant sur le sujet : NAISSANCE ET VIEILLESSE. Il l’a publié cinq ans avant sa mort en 2008. Il aborde la question à partir de deux axes : l’aspect physique et l’aspect psychologique. Si vous avez la chance de mettre la main là-dessus, c’est réconfortant.

J’ai donc franchi ce cap, le 24 juin de l’année 2017, alors que je devais le faire Québec en compagnie de mes filles et mes petits-enfants - une erreur de date m’oblige à attendre au 18 juillet prochain – ici à Saïgon en compagnie d’amis vietnamiens.

Personne n’a parlé de vieillesse mais j’ai reçu une kyrielle de questions sur ce passage de la vie. Que retient-on une fois au sommet de cette pyramide sur laquelle, tout en haut, le confort n’est pas au maximum ? Songe-t-on principalement à ce qui est derrière nous maintenant que devant la forêt qui se fait moins dense, plus clairsemée ? Regrette-t-on des choses faites ou celles que l’on n’a pu réaliser ? L’essentiel, c’est quoi ? Y a-t-il une ou des recettes qui permettent de demeurer dans l’espoir ? Quels événements vécus au cours des deux derniers siècles nous a marqué ? La mort, est-ce-que cela devient une hantise, un mystère, une peur, une fatalité ? L’expérience accumulée au fil des années permet-elle de nous rassurer sur certaines choses ? Y a-t-il plus de faussetés que de vérités en ce bas monde Et j’en oublie…

Je regardais ces amis vietnamiens. On est jeune au Vietnam. L’âge moyen se situe aux alentours de 25 ans. On n’a entendu parler de la guerre, je devrais dire des guerres, qu’à partir des commentaires qu’ils en reçoivent de la part de vieilles personnes qui, pour une grande partie d’entre elles, ne souhaitent plus en parler. L’éducation scolaire, denrée rare il y a encore moins d’un siècle, se résume trop en de la propagande. On parle de revoir autant le cursus que le contenu des programmes. Toutefois, au Vietnam, on annonce bien des changements qui tardent malheureusement à se concrétiser dans le quotidien des habitants. On se drape toujours de la tradition, de valeurs que je vois bafouer régulièrement, de la souffrance des ancêtres et du respect inconditionnel qu’on leur doit. Les jeunes vivent entre l’arbre et l’écorce. La situation économique dont on promet de sensibles améliorations, les autorités misent sur la patience angélique de ce peuple si longtemps, si souvent brimé dans ses besoins élémentaires, un patriotisme à outrance pour les retarder.

La situation des jeunes universitaires nouvellement diplômés est loin d’être attrayante. Peu d’emplois, beaucoup de rêves de partir vers l’étranger. Il n’est pas rare de croiser un agent de sécurité – le salaire mensuel tourne autour de 400$ - ayant achevé des études universitaires mais ne pouvant se localiser de manière permanente dans une situation à la hauteur de ses qualifications. Cela n’a rien pour encourager les plus jeunes à poursuivre des études qui, malheureusement, ne mènent à rien. Le gouvernement s’inquiète de cette volonté d’exode qui se répand chez la jeunesse mais semble passif et lambin comme une tortue à y remédier.

Je reviens aux questions que l’on me posait. Une seule réponse concise à leurs attentes : le plus important dans la vie lorsqu’on se retourne vers le passé et qu’on scrute l’horizon: l’amour. Il n’y a rien d'autre, leur ai-je dit, que l’amour. Celui de soi-même car on ne peut aimer les autres si nous ne nous aimons pas d’abord. Celui des autres, oui, non seulement nos proches mais l’humanité dans son entier. Nous avons tous le même sang, les mêmes besoins, la même espérance. L’amour ne va pas sans le rêve. Rêver c’est aimer. Aimer, c’est rêver. J’insistais sur ce corollaire. Si l’on aime, on rêve d’être meilleur et si l’on rêve c’est que l’on veut aimer ce meilleur.

Je percevais une certaine déception à l’écoute de ma réponse. Je me suis permis de rajouter ces quelques phrases.

Dès la naissance, même avant, nous sommes le produit de l’amour. Celui de nos parents qui se sont choisis, qui ont cru en la suite du monde et tout fait pour que nous puissions y vivre convenablement.

Dans l’enfance, cette insouciante période où les apprentissages accaparent la majeure partie de notre temps que l’on trouve si long! Trop souvent inconscient que dès cette période l’édifice de notre vie se construit, que les matériaux avec lesquels la société nous forge se doivent d’être solides et rigoureux.

À l’adolescence, que je compare souvent à l’étape du «non» chez l’enfant de deux ou trois ans, nous voilà arrivés sur un chantier bouillonnant sur lequel on découvre que les instruments, les outils que l’on a reçus sont perfectibles et amendables. Que d’autres référentiels nous sont maintenant offerts. Qu’on peut vivre en-dehors de la famille, que le groupe, le réseau, revêt une dimension incommensurablement importante. Qu’entre l’important et l’essentiel, chacun doit faire son choix. Que la révolte qui nous semble si facile et réponse à tout doit prendre assise sur la pensée critique, l’écoute de l’autre et l’intelligence de la logique. Cohésion et cohérence nous arrivent en pleine figure, de plein fouet. On change d’idée comme on change d’habit. Plus tard on découvrira que les modes sont temporaires.

Puis l’âge adulte qui complètement nous défigure. Il s’accompagne de tout son cortège de responsabilités alors qu’auparavant on ne croyait avoir que des droits. L’amour que nous idéalisions à l’adolescence prend un autre sens, celui de l’engagement dans un maximum de sécurité. Celui aussi de sa diversité. Il nous faut aimer la vie, aimer la société dans laquelle nous oeuvrons, le travail qui assure notre qualité de vie de même que celle de ceux qui, tout doucement, s’accrochent à nous : les enfants, surtout. Certains, dans une différence affichée ou non, auront choisi d’autres voies pour parvenir au bonheur. Pour certains autres, le poids qu’ils ont traîné depuis la naissance devient un fardeau, une oppression, ou une contrainte qu’ils ne peuvent assumer. Ils désespèrent dans un monde qui devrait carburer à l’espoir.

Et l’on marche, insouciant des traces que nous laissons, oubliant parfois de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur qui reflète ce que nous avons imprimé. Et on marche, souvent on court après on ne sait trop quoi exactement, dans les voies tracées par d’autres avant nous, curieux à l’occasion des sentiers non défrichés qui s’offrent à notre regard, hésitants à modifier notre azimut. Autour de nous, le sens des mots, le sens des vérités modifient notre vocabulaire. Ce qui fut vrai il y a si peu de temps encore devient obsolète. Nos réactions aux changements varient selon nos conceptions, nos croyances. On nous interpelle. Et on bouge… ou, on s’immobilise dans une sécurité rudement mise à l’épreuve.

Et l’on s’interroge sur le monde, notre monde terrestre et spirituel. Des concepts doivent être étudiés en tenant compte des paradigmes ambiants. On interroge l’histoire. On lit différentes littératures, différentes philosophies. Mille et un essais qui tentent de clarifier le temps présent alors que d’aucuns ne voient dans notre «république platonnienne» que la répétition itérative d’événements passés. On apprend la circularité des choses et leur indéfectible dualité. Nous sommes des êtres binaires, c’est à l’âge adulte qu’on en prend conscience. Une conscience rudement mise à l’épreuve par la malsaine férocité de l’homme envers l’homme. Et l’on constate amèrement la fragilité de nos actions tardant à croire que la solidarité représente une voie à davantage explorer. 

Puis, abruptement, surgit l’âge d’or… ainsi surnommé. Cet âge où l’extraordinaire phénomène qu’est le silence nous parle. Non pas ce silence qui meuble la solitude ou l’isolement, non. Celui qui, à l’intérieur de nous, s’acharne à remémorer ce qui fut, ce qui cherche à fuir. Au moment où nous en avons le plus besoin, la traîtresse mémoire nous joue des tours. Devient sélective. Elle s’attarde sur divers moments de notre vie et parfois nous accuse. Il ne faut pas l’écouter à ce moment-là. Le passé possède une qualité indélébile, celle de s’enfermer éternellement dans l’inertie : on n’y peut rien, c’est achevé à tout jamais. Ne s’annonce à nos yeux fatigués que l’horizon qui nous semble rapprocher de jour en jour. Mais nous avons du pouvoir sur ce devenir. Chaque moment présent le caractérisera. Choisir la « chaise berçante » est une option. D’autres sont envisageables, réalisables, si au cours de notre vie, le rêve nous a nourris. Le monde est à portée de main, nous n’avons qu’à le cueillir… car sur la pente descendante de la vie, on a besoin de personne pour accélérer le mouvement. C’est sans doute à cette ère septuagénaire que l’on réalise de pas être identifiable à Sisyphe.

La vieillesse est là avec son cortège de petits bonheurs, de petits aléas. Puissante dans toute sa faiblesse, elle nous demande de ne jamais céder à la résignation. Si la vie se définit dans un long processus, la vieillesse en fait inexorablement partie .


Voilà ce que je leur ai raconté. Ils m’ont écouté avec attention, du moins je le crois. Mais l’auditeur le plus attentif fut… moi. 

vendredi 23 juin 2017

S A M L A N D l'histoire au complet!



21 Juin 2017

Je ne me classe pas dans la catégorie des peureux ou des «héros»; je suis plutôt quelque chose entre les deux, quelqu’un qui ne supporte ni l’injustice ni la pleutrerie.

Ce que nous vivons, au 29e étage du building Samland de Saïgon, ne doit pas être interprété comme une situation habituelle en terre vietnamienne. Un escroc demeure ce qu’il est d’où qu’il provienne.

Le tout a débuté il y a maintenant moins d’une semaine. Par une interruption de courant en fin d’après-midi. Cela peut se produire assez souvent ici surtout en raison des travaux de construction d’un autre building tout juste à côté du nôtre. On se disait que le tout allait se régulariser dans les heures qui suivent.

Le lendemain et le surlendemain, comme la situation ne revenait pas à la normale, l’inquiétude et l’inconfort s’implantaient chez mes amis locataires d’appartements ou de chambres autour. Plusieurs sont venus me demander si je connaissais la source du problème. Pas de réponse à leur question.

À leur mine pantoise, j’ai rapidement réalisé que ma relation avec le manager du 29e, qui se détériorait depuis un certain temps, allait prendre une nouvelle tangente. Tous avaient réglé leur dû, tous vivaient des problématiques personnelles avec lui mais qui se ressemblaient : lavabo bouché, internet qui coupe régulièrement, beaucoup de bruit provenant de l’appartement que la manager occupe, des visites nocturnes fort désagréables… et j’en passe. Le rejoindre, afin de signaler des situations chaotiques, relevait de l’impossible. La procrastination est sa règle de gestion.

Depuis quelques jours, en raison de la présence à Saïgon d’amis en provenance de Ha Giang dans le nord du Vietnam, je suis irrégulièrement présent dans mon appartement. Je constatais, alors que les autres le subissaient toute la journée, que la coupure, car il faut parler de coupure, de ces services essentiels devenaient pour le moins intolérable. Mes tentatives d’entrer en contact avec celui que je surnomme maintenant «l’escroc» furent vaines. Plus personne ne pouvait m’informer sur l’endroit où il pouvait se trouver.

Les femmes de ménage et les employés proches avaient quitté le navire, l’espace qu’il occupe – situé tout juste à l’étage au-dessous duquel je vis – vide et obscur.

À la troisième journée sans électricité et sans eau, une fois avoir vu avec les agents de sécurité du building que nous nous dirigions vers une certaine permanence de la situation… j’ai décidé d’agir.

J’ai avisé quelques locataires que j’allais rencontrer le manager général du building et que je souhaitais qu’ils puissent se tenir prêts pour une action collective. Fort de l’accord de tous, je me rends au bureau dudit manager. Un type charmant mais tout à fait sous la botte des propriétaires du building qui se foutent éperduement du confort minimal des locataires.

Il est 17 heures 45. Nous sommes le mercredi 21 juin. La secrétaire me dit, dans un anglais approximatif, qu’elle allait l’appeler. Elle me tend l’appareil que je refuse, lui signifiant vouloir le rencontrer personnellement. Surprise, elle lui transmet le message. Il arrivera dix minutes plus tard. Dans le bureau qui sert de local répondant à la clientèle, si je m’exclus, trois femmes et un homme y travaillent. Je remarque, et cela depuis mon entrée, leurs sourires complices saupoudrés d’une espèce de lassitude que la présence de leur patron allait rapidement dissiper.

J’expose le problème que nous vivons au 29e. Il écoute. Me répond que le manager du 29e doit 200 millions de dongs à la compagnie propriétaire du building. Comme il n’a pas payé son dû, on a coupé l’électricité et l’eau. Je lui réponds ne pas comprendre pourquoi nous devons être punis en raison des mauvais agirs de ce type. Il sourit. Il y a parfois dans le sourire asiatique une invitation à le lui faire avaler. Mais je me retiens. J’avance plutôt cette solution : courez après lui mais d’abord rebrancher le tout. Il dit ne pas avoir ce pouvoir. Les sourires des employés m’incitent à changer de stratégie…

On m’explique, pour une dixième fois, que tant et aussi longtemps que le manager du 29e n’aura pas réglé sa dette envers Samland, le courant ne sera pas rétabli. Dans ma tête, je revois la famille avec un bébé, mes amis qui habitent tout à côté et qui ont décidé de louer une chambre d’hôtel, les employés qui doivent maintenant cesser de travailler ainsi que tous les autres qui se sont réfugiés dans un mutisme déplorable ne sachant trop à qui se plaindre.

C’est alors que je me suis placé devant l’unique porte du bureau et leur ai dit : si le courant n’est pas rétabli maintenant, personne ne sortira de ce local. Nous allons passer la soirée, la nuit s’il le faut à attendre que tout se régularise. On sourit… collectivement. Sauf que je suis plutôt sérieux.

Une secrétaire, s’excusant, me dit qu’elle doit sortir afin de se rendre aux toilettes. Désolé… je suis vraiment désolé, mais il n’y a pas d’eau, alors vous demeurez avec nous. Rassise sur sa chaise, elle ne la trouve pas drôle du tout. On sourit… un peu moins.

Dix minutes de silence que je qualifierais d’insupportables. Le manager général me propose de rétablir le courant de 6h PM à 8h PM. Refus total de ma part. La jeune secrétaire qui a de plus en plus besoin de se rendre aux toilettes commence à… jaunir. Désolé, lui dis-je, mais nous ça fait trois jours que l’on n’a pas d’eau, vous pouvez bien attendre. De toute façon, ici dans ce bureau on a la climatisation et la lumière, ce que l’on ne bénéficie pas au 29e alors on attend… on attendra toute la nuit s’il le faut… deux ou trois jours même, ça ne me pose aucun problème.

L’atmosphère est pour le moins…tendue. C’est fou comme je réalise que ce genre de chose, eh bien je ne déteste pas.

On vit par coups de dix minutes. Deux collègues du 29e arrivent et je les invite à bloquer la porte à partir de l’extérieur. Cela a pour effet de mettre encore plus de sérieux à la démarche. Je ne vous dis pas comment peut se sentir la jeune dame qui souhaite se rendre aux WC!

Bloqués par l’intérieur et l’extérieur, j’utilise une autre argument… genre massue. Pourquoi ne pas appeler la police? D’ailleurs, je me demande pour quelle raison vous ne l’avez pas encore mis à la recherche cet escroc. Le mot «police» a un effet de dynamite. Non, non me répond le manager général. On ne veut surtout pas que les autorités se mêlent de cette affaire. Je considère cela comme un bon point.
C’est alors qu’il propose de rétablir le courant jusqu’à 10 heures PM. Nouveau refus de ma part. Vous nous rebranchez jusqu’à la fin du mois ou nous continuons de vivre enfermés ici comme des huîtres. L’envie de la secrétaire ne va pas du tout en s’amenuisant et le regard de feu qu’elle dirige vers son patron parle de lui-même.

Alors, surprise chez tous et chacun, le manager du 29e appelle. On discute en vietnamien. On me traduit. Il dit qu’il allait se présenter vers 8h PM. Même si je n’y crois pas du tout – ce que je tais – le manager général y voit une porte de sortie. D’accord, on allait rebrancher le 29e. Je demande à mes deux collègues d’accompagner le manager général vers la salle d’alimentation et d’ensuite se rendre à notre étage afin de vérifier si tout était revenu à la normale.

La jeune secrétaire n’en peut tout simplement plus. Désolé que je lui répète, mais on attend le retour de nos amis et d’ici là, personne ne sort du bureau. Ses yeux ne me manifestent aucune marque d’affection.

Comme on semble avoir opté pour des tranches de dix minutes, les émissaires reviennent en compagnie d’un manager général qui semble en avoir plein ses culottes. Tout est correct. La jeune fille se précipite vers la sortie. Nous quittons le bureau. Je dois dire que les visages des uns et des autres n’exsudaient pas le même sentiment.


22 Juin 2017

Comme une traînée de poudre, toute cette histoire fit le tour du building. Je devenais un «héros» recevant roses et chocolat, chacun regagnait son appartement, mais je sentais une certaine fragilité quant à l’étendue de la résolution du problème. Je me suis donc invité, à nouveau, chez le manager général du building.  J’apprends, sans surprise, que le manager du 29e ne s’est pas présenté la veille comme il l’avait promis. Afin de conserver les acquis, c’est-à-dire le rétablissement de l’électricité et de l’eau, je lui ai rappelé que le contentieux entre Samland et le manager du 29e ne nous regardait pas. De plus, je lui ai annoncé que les locataires qui avaient loué une chambre à l’hôtel au cours des trois derniers jours devaient être remboursé. Consternation de sa part alors qu’il pouvait lire dans mon visage que cela m’apparaissait tout à fait normal et que la dernière chose qu’il souhaitait n’était certainement pas de lire sur Facebook que Samland était une compagnie de broche à foin. J’avoue que traduire cela en anglais me fut plutôt pénible. Il a bien saisi et dit qu’il allait attendre les factures des locataires. Je n’ai pas osé lui demander si la jeune secrétaire qui jaunissait à vue d’œil avait pris une journée de congé.



23 Juin 2017

L’affaire se corse!

À la surprise générale – moi, le premier -  le manager du 29e qui avait disparu laissant ses trois enfants seuls et sans aucune personne pour s’en occuper, réapparaît. Il a sans doute, je ne puis le certifier, rencontré les dirigeants de Samland puisque mon réseau d’informations m’a fait savoir qu’on lui aurait donné 60 jours pour régulariser la situation. En fait, j’ai appris qu’il loue des appartements à Samland pour ensuite les relouer. Comment une compagnie comme celle-ci peut accepter des retards aussi importants dans les paiements? 200 millions… ce n’est pas des bagatelles! (20 000 dongs = 1$ US)

Depuis quelques semaines, je l’avais aussi remarqué, un homme d’un certain âge pataugeait dans les lieux. J’ai su qu’il s’agissait d’un membre influent de la mafia du District 8, ami du manager du 29e. Il a purgé 20 ans de prison pour je ne sais trop quels délits. Sorti de prison, il fut stupéfait de voir comment la société avait changé : la politique, le social, l’internet, le cellulaire, etc. En prison, il continuait à gérer certaines activités illicites, dont le trafic de drogue. On m’a dit, sous le couvert de l’anonymat, que la manager du 29e lui devrait plusieurs millions de dongs.

Si je fais rapidement le calcul, j’arrive à beaucoup beaucoup de millions… Mes gougounnes sont plus confortables que les siennes.

Donc, la mafia du District 8 entre dans le dossier et, par personne interposée, on m’a fait savoir que le manager du 29e avait assez de troubles pour le moment sans en rajouter d’autres. Sans que cela puisse être interprété comme une menace, je dois comprendre que m’éloigner un tantinet soit peu serait préférable.
Le manager du 29e m’a fait savoir qu’il s’attendait à ce que je remette sur les murs que j’ai peints en turquoise et orange, leur couleur originelle. Feinte de non-recevoir de ma part. Je lui ai fait savoir que l’appartement me semblait dans un meilleur état que lors de mon arrivée.

Personnellement, je crois avoir respecté le contrat qui nous a liés pour un peu plus de dix-huit mois et je quitte en direction du District 1, l’âme en paix.


À la prochaine

jeudi 22 juin 2017

5 (CINQ) (CENT QUARANTE-NEUF) 49




C'était à l'occasion des fêtes du Têt 2017, dans l'ascenseur d'un hôtel qui dévisageait la mer de ses grands yeux blancs.

C'était, si je m'en souviens, après le petit déjeuner. Dehors... chaud comme lors de la saison sèche. Inhabituel. Les gens se baignaient sous un soleil rond. La plage, longue et sablonneuse, regorgeait de vacanciers matinaux. Un cheval que l'on avait teint de manière à ce qu'il ressemble à un zèbre offrait des randonnées pour quelques sous. Un rocher accusait le choc des vagues avec la résignation de l'immobilité.

Je me suis dirigé vers l'ascenseur. Une femme, à fois jeune, belle et odorante d'un parfum qui empruntait à la vanille toute sa saveur, y attendait. Je me suis placé tout à côté d'elle. Son regard en ma direction fut poli. On respecte bien les personnes âgées en terre vietnamienne, et de toute façon, il faut bien entrer dans la nouvelle année correctement. Je la saluai de mon accent que sans doute elle ne sut décoder.

Jolie, comme le sont les Vietnamiennes. Elle portait une robe adaptée à la saison.

Je me suis interrogé: est-elle seule?

Je ne pouvais décrypter son attitude qui frôlait la tristesse tout en exhalant le bonheur d'être là, en ce matin torride. Elle venait de presser le bouton qui appela l'ascenseur.

Nous faisions le pied de grue.

Je faisais rouler la clef de ma chambre d'une main à l'autre.

Elle tenait un ruban à la main.

Cette main...



Cette si courte rencontre donne ce poème.


dans l’ascenseur… une femme

odeur de femme en espace clos
des mains de pluie agitant un ruban noir
il glisse, frôle des jambes teintées de sable
caressées par une mer verticale

les algues dans ses cheveux noirs
se meuvent ainsi que des vagues
une broche moirée les retient

une huître calcaire aux yeux fermés
elle parle aux miroirs qui la multiplient



odeur de femme en espace clos
un homme, vieux, l’aspire pianissimo

il la regarde ne pas le regarder
le silence les porte au milieu du vide
prisonniers en un cube fermé

leurs mains ne se touchent pas
les digitales pressent un bouton
qui s’illumine par fractions
un millénaire après l’autre



odeur de femme en espace clos
emmêlée à la sueur d’un homme
immobile, il éternise ces instants
stérile frangipanier blanc et gris

des taches brunes dorment sur sa peau vieille
il les cache aux yeux de la femme
l’espace clos devient moite
la femme à la robe aranéide
bouge au tintement de la porte



moments fugaces parfumés de vanille
le vieil homme les aura imprimés

à même une mémoire fragile
aux autres parfums longtemps oubliés
alors que grimpe, mécanique, l’ascenseur

il monte, seul maintenant, ce prisonnier
à l’âme confuse, au cœur éternel
celui pour qui un parfum de femme
souffle, encore, un vent de jeunesse









samedi 17 juin 2017

humeur vietnamienne


Tout affairé qu’il le fut, LE CRAPAUD n’a pas eu beaucoup l’occasion de faire part de ses humeurs. Maintenant que le roman DEP est achevé, qu’il est entre les mains et les yeux de douze ami(e)s ayant généreusement accepté de faire partie d’un comité de lecture afin de voir s’il serait intéressant de le soumettre à une maison d’édition, je me retrouve avec quelques moments libres.

Je devais partir pour le Québec le 19 juin mais QATAR AIRWAYS en a décidé autrement et a fixé mon départ au 18 juillet prochain. Crier, hurler, condamner qui que ce soit ne servant à rien, j’adopte la bonne attitude vietnamienne… je me résigne à attendre. Des amis vietnamiens devaient voir au déménagement vers le District 1 mais je peux reprendre le dossier en mains.

Je suis encore sous le choc de mes prédictions erronées au sujet des élections présidentielles françaises, mais je m’en remets. Je ne sais pas si les Français eux-mêmes adoptent la même attitude mais ils ont la possibilité lors des Législatives d’équilibrer les choses.

Ce qui m’amène à parler un court instant d’un article publié un peu avant le deuxième tour, dans je ne sais trop quel journal de France, dont le sujet était : « Faut-il faire passer un test aux électeurs avant de leur accorder le droit de vote ? » La question est pertinente si on garde en tête les résultats des élections américaines. Se peut-il que tant et tant de gens aient donné leur appui à un candidat dont la probité suscite beaucoup de questions ? On parle de droit de vote alors qu’un droit réfère aux principes de la morale. Et dieu sait que la morale aux USA fait partie du quotidien. Je ne crois pas me tromper en avançant l’idée que Donald Trump n’a aucune morale, que ce soit personnelle ou collective. Ses gestes posés depuis son entrée à la Maison Blanche nous le confirment. Et on en est qu’à six mois de présidence !

Donc, pour voter, ceux qui le désirent et le souhaitent auraient à se soumettre à un «vote-test» ; les autres, et on voit un peu partout cette courbe ascendante vers le vote blanc ou l’abstention, n’auraient qu’à agir comme ils le font habituellement : s’en foutre éperdument. Si nous ne tenons pas compte de tous les arguments d’atteinte à la liberté, que cela serait un biais démocratique, que l’on assisterait à la création de deux catégories de citoyens – ce qui peut déjà être considéré comme existant – l’idée d’imposer un test pour obtenir le statut d’électeur peut faire un court bout de chemin.

La première question, afin d’amadouer le postulant, pourrait tout simplement être celle-ci : à quelle date se tiendra l’élection ? Si séance tenante on élimine plusieurs individus, cela parle beaucoup.

La deuxième : dans quelle circonscription ou tout autre appellation faisant référence au lieu où se tiendra l’élection, devez-vous voter ? Ici encore, je crois que l’on risque d’éliminer plusieurs demandeurs, mais admettons que c’est tout de même primordial.

Voilà donc acquis la date et le lieu, alors en dernière interrogation il conviendrait d’en présenter une plus ouverte que les deux premières. Bien sûr, crayon et papier seront fournis par les examinateurs. En quelques mots, dites pourquoi vous tenez à recevoir le statut d’électeur ?

Je n’ai aucune espèce d’idée du nombre d’électeurs cela nous donnerait en bout de ligne, mais ceux qui se présenteront aux urnes iront par engagement personnel et civique.

Si j’avais à me présenter afin de revoir ma carte d’électeur, je crois être en mesure de répondre facilement aux deux premières questions. Quant à la troisième, je me laisserais aller ainsi.

Je souhaite voter à la prochaine élection car ce geste, le seul qui me soit permis de faire selon nos habitudes électorales, me permettra de signifier que je suis citoyen, un citoyen animé du désir de voir la démocratie correspondre réellement à sa définition initiale, celle qui privilégie la liberté des individus, la possibilité pour la pluralité des partis politiques d’exposer leur projet de société sans interférence de la part de qui que ce soit, que la règle de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) soit respectée et que la consultation populaire soit érigée en règle permanente.



Voter, c’est exprimer son opinion, son choix par un vote. Geste qui présuppose, il va sans dire, une certaine connaissance des faits, des orientations et des actions qui seront, par la suite, posés par les élus. Nous ne devrions pas nous retrouver dans une situation de surprise quant à la suite des choses. La majorité tranche, ça fait partie du jeu démocratique. Si un état de stupéfaction nous envahit par la suite, cela signifierait que les élus renient leurs engagements. Il y aurait là crime de lèse-majesté, la majesté se trouvant à être la démocratie.

Actuellement vote, nous le faisons parfois dans une absolue inconscience, pire, une extraordinaire incohérence. Sans entrer dans le début futile de l’influence médiatique qui orienterait le vote mais il faut constater son influente présence. L’orgie de sondages n’alimente pas le débat, elle installe plutôt comme une espèce d’approximatif prévisionnel davantage fixé sur les résultats que sur les idées à débattre. Beaucoup s’y fient alors que certains en profitent. L’effet Macron en est un bel exemple.

Alors, faut-il instaurer ce «vote-test» ou pas ? À chacun son opinion mais je ne suis pas complètement rébarbatif à cette option.


À la prochaine

mercredi 14 juin 2017

5 (CINQ) (CENT QUARANTE-HUIT) 48


ÉPILOGUE



Đp  reviendra à Hanoï suite à son court séjour chez ses parents. Elle prendra en mains la destinée du café Con rng đ alors que Khuôn Mt Xu Xí (le visage ravagé)  partagera son temps entre l’Université et la gérance des travaux de rénovation de la bibliothèque où Cây (le grêle) assumera les fonctions d’animateur principal.

  
Elle continuera, sans relâche, de croire et de faire croire aux gens du quartier en haut de la pente que tout est possible si, comme le dit Pearl Buck « Haïr un être humain, c’est mettre un vent dans ses propres entrailles, cela ronge la vie. » 
Elle aura salué la troupe des NAINS partie vers ailleurs, Mâp (le trapu)les accompagnant.


Cette jeune fille à la beauté que les mots du grand poète Nguyen Du décriraient ainsi, elle possède « les sourcils du bombyx et les yeux du phénix » demeurera près de Người Tr Nht (le plus jeune)devenu homme d’entretien à la bibliothèque
et oublié son frère Lãnh đo (le plus âgé).  


Đp assistera au mariage de May et de Người Phm Ti (le délinquant), ce dernier conservera toutefois, éternellement, un amour secret pour l’exilée du Mékong qui achèvera ses jours comme elle les vit depuis l’événement survenu avec l’inspecteur-enquêteur.




Madame Quá Kh  ayant confié son café à Đp, coulera des jours heureux et n’aura de cesse de permettre à de jeunes artistes de profiter de son local pour publiciser leurs œuvres. 


Le vieux Président, maintenant à la retraite, réalisera un autre grand rêve soit celui de visiter la maison de Hô Chi Minh située tout près de la ville Vinh, à Kim Liên, dans le nord du Vietnam. Il finira ses jours en compagnie de ses oiseaux, se rendant régulièrement saluer Đp au café Con rng đ.    
 Đp alimentera une profonde amitié envers Daniel Bloch

 qui s’installera à demeure dans le quartier, un petit appartement au centre de celui-ci. Khuôn Mt Xu Xí (le visage ravagé) lui offrira deux merveilleux cadeaux : les enregistrements sur vidéo des deux représentations de la pièce de théâtre à laquelle lui aura donné un titre, « Réparés par l’amour », ainsi qu’un petit chien… Fanny.


« La vie sans idéal est vraiment par trop vide. L'espoir nous est aussi nécessaire que le pain ; manger son pain en restant privé d'espoir, c'est mourir lentement de faim. »

Pearl Buck








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Si Nathan avait su (12)

Émile NELLIGAN La grossesse de Jésabelle, débutée en juin, lui permettra de mieux se centrer sur elle-même. Fin août, Daniel conduira Benjam...