jeudi 19 mai 2016

Humeur vietnamienne

deux mois déjà...






Que se passe-t-il Frère Jacques? Je devrais plutôt écrire, qu'arrive-t-il avec moi, ton grand frère qui ne réussit pas à lâcher prise! Je ne peux, ne veux pas oublier, juste comprendre comment il se fait que jour après jour, soleil et chaleur inclus, ici à Saïgon, je te ressens si proche. Ton rire. Ta présence.

Tu sais, lorsque relisant le texte écrit pour toi lors des funérailles le 19 mars dernier - deux mois déjà - c'est fou l'impression ressentie à ce moment-là: tu étais présent à côté de moi. Quasi concrètement.

Je réussis difficilement à lire en public. Tu le sais, ayant vécu toi aussi cette oppression qui égorge, tord le ventre, celle qui ne lâche pas... mais que tu as magnifiquement vaincu rendant si bien les mots que j'avais mis dans ta bouche lors des 60 ans de Pierre.

Lors de ce samedi si beau, si ensoleillé, presque vietnamien, je m'étais promis de passer outre à ces embarras. Pour me rassurer, notre frère m'accompagnait, me soutenait devant les gens présents pour te saluer une dernière fois. Sa présence m'a rasséréné. Je le respirais tout près, essentiel oxygène, prêt à bondir pour prendre la relève au cas où je n'aurais pas été en mesure de continuer.

Des forces en présence me confortaient, s'ajoutant à celle de Pierre: la chaleur de l'assistance... le regard de SylvieD, merveilleuse de noblesse d'âme et de coeur... Antoine et Roxanne, attentifs, leurs yeux portés vers cette urne magnifique qui te contient mais que chacun n'arrivait pas encore à croire que l'on t'y ait enchâssé... Des moments que jamais je n'oublierai.

J'écrivais pour l'occasion: ''Toujours un message arrive.'' Je me rends compte, deux mois après ton départ trop rapide, combien ces mots furent justes. Tu es si présent, si là, à Saïgon: présence physique. Nous marchons sous le soleil ardent; je te parle. 

Je te dis comment la vie et la mort (notre alpha et notre omega) s'inscrivent dans des moments arrimés au temps, mais combien l'entre-deux s'avère plus important encore. Nous ne sommes pas façonnés pour la mort; on ne peut ramentevoir notre naissance. La vie bouge entre les deux, et nous, cherchant vainement à l'immortaliser.

Je te dis combien je les regrette ces heures que l'on aurait pu encore vivre ensemble; je me console toutefois en songeant à toutes celles passées en Douce France lors de ce voyage inoubliable au cours duquel tu me disais tout ton amour pour SylvieD, ta fierté à l'endroit d'Antoine et de Roxanne.

Je te dis mes regrets, je te dis aussi les souvenirs inaltérables qui foisonnent dans mon esprit; souvenirs qui remontent souvent à des temps éloignés, à des lieux différents. Nul besoin de te les rappeler, je te les dis tout en marchant.

Je te dis à quel point tu manques aux gens. Impossible de les dénombrer, ils sont légion. De la famille, proche et éloignée, des amis, proches et éloignés, unanimes à regretter ta disparition. Et moi qui ne m'en console pas.

Je te dis que je continuerai à te faire vivre en nous, parmi nous, que ce soit par une musique, une photo, une date; Frère Jacques, mon petit frère, je prends cette responsabilité de mémoire très à coeur.

Ici, la mousson s'annonce. Saison de pluie qui, je le pense pour le moment, n'en sera pas une de pleurs mais de lessive. L'eau purificatrice nettoyant la terre et les âmes.

Tu sais, frérot, j'écoute tous les jours de la musique que tu n'aimerais pas, genre musique tzigane roumaine interprétée par un orchestre de Barcelone. Elle me parle beaucoup. Ainsi que plusieurs chansons de Daran, ce chanteur français que j'aime. La musique me ramène à toi autant par son atmosphère que par des paroles inspirantes. 

Comme je souhaite te voir assis sur mon balcon au vingt-neuvième étage de mon appartement dans le District 8 de Saïgon. J'ai une belle chaise longue. Je la placerais un peu hors du soleil, là où ce vent léger et rafraîchissant donne envie de se reposer, ne rien faire d'autre qu'écouter les bruissements de l'âme. 

-  Tu dirais: ''C'est beau ta musique, mais pas mon genre.'' 
-  Je répondrais: '' Pas de problème. Veux-tu un autre verre de rouge?''
-  Tu répliquerais: ''Jamais non à un rouge.''
-  J'ajouterais: ''Relaxe, il n'y a ni gazon à tondre ni rénovations à entreprendre.''

Frère Jacques, avant d'achever ces quelques mots, je tiens à te dire que souvent, avec Pierre, avec Louise, Carole, ma belle oreille, Johane qui vit le deuil de son papa Georges, nous parlons de toi, nous souvenant.

Dernière chose. J'aurais pu ajouter au texte des funérailles, que tu allais rejoindre d'importantes gens là où tu es parti: Gérard et Fleurette, monsieur et madame Durocher, Philippe, Lucienne. J'aurais pu mais ne l'ai pas fait. Alors je te l'écris ici: tu salues tout ce beau monde pour nous.

À tout de suite Frère Jacques car nous partons pour notre marche quotidienne.



À la prochaine





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