mercredi 22 juillet 2015

QUATRE (4) CENT-SOIXANTE-HUIT (68)

Kết quả hình ảnh cho les photos des animaux        Si notre ''je'' était un animal - il le devient en astrologie chinoise ou celle du zodiaque - si notre ''je'' animal n’avait aucune idée de ce qu’est un être humain, comment, à son observation, à son regard porté sur cette complexité, réagirait-il? Réussirait-il, parviendrait-il à le définir de manière adéquate?

Plusieurs écrivains ont utilisé ce procédé pour en arriver à circonscrire cet être complexe, tenter de s’y approcher du moins de manière à le décrypter, le décoder.

Dans son formidable roman ANIMA, Wajdi Mouawad s’appuie sur plusieurs animaux qu’il met au contact des hommes et nous propose à partir de leurs observations d’élucider ses contradictions. Du roman persiste une question lancinante : doit-on choisir entre bestialité et humanité?

Sans identifier l’animal, je vous offre quelques-unes de leurs paroles.


.     L’humain est un corridor étroit, il faut s’y engager pour espérer le rencontrer. Il faut avancer dans le noir, sentir les odeurs de tous les animaux morts, entendre les cris, les grincements de dents et les pleurs. Il faut marcher, enfoncer les pattes dans une boue de sang et remonter le long d’un fil d’or abandonné là par l’humain lui-même, lorsqu’il n’était qu’enfance et que nul toit ne scellait son plafond. Animal parmi les animaux, il ne souffrait pas encore. L’humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c’est pour cela que son affection pour l’humain est infinie.

.     … je me complais dans la contemplation des humains. Je les regarde. Ils sont nombreux       et pourtant ils sont seuls.  Ils s’assoient sur des chaises. Ils posent leurs mains à plat sur leurs genoux. Ils s’entourent d’objets : bouilloire, théière, cuillère, tapis, télévision, tableaux accrochés sur les murs. Ils sont attachés au décorum. Ils sont propres. Certains plus que d’autres, si j’en juge par ce que j’ai observé les rares fois où il m’a été donné de visiter des intérieurs différents de celui où l’on me fait habiter. Les humains sont doués pour l’absence : ils disent Untel est triste, mais Untel n’est pas là. Ils disent Un jour, j’aurai du temps, mais le temps n’est pas là. Ils présument de tout. Les humains disent Ma maison. Ils disent J’ai un jardin. Ils disent Ma famille, mes amis. Ils disent Les gens, Le monde. Les humains disent Mon, ma, mes. Par exemple, Coach dit Mon singe en me montrant du doigt.  Il dit J’ai acheté mon signe en Afrique. Il dit Je recrute mes hommes moi-même. Il dit J’ai rencontré ma femme à Cuba en 1972 et j’ai tout de suite su que c’était elle. Il dit Mon argent, Mon singe, Mes hommes, Ma femme, Ma business.

.     Les humains sont seuls. Malgré la pluie, malgré les animaux, malgré les fleuves et les arbres et le ciel et malgré le feu. Les humains restent au seuil. Ils ont reçu la pure verticalité en présent, et pourtant ils vont, leur existence durant, courbés sous un invisible poids. Quelque chose les affaisse. Il pleut : voilà qu’ils courent. Ils espèrent les dieux et cependant ne voient pas les yeux des bêtes tournés vers eux. Ils n’entendent pas notre silence qui les écoute. Enfermés dans leur raison, la plupart ne franchiront jamais le pas de la déraison, sinon au prix d’une illumination qui les laissera fous et exsangues. Ils sont absorbés par ce qu’ils ont sous la main, et quand leurs mains sont vides, ils les posent sur leur visage et pleurent. Ils sont comme ça.

.     La plus banale des chauves-souris peut émettre plus de cent cris à la seconde. Chaque cri lui revient sous la forme d’un écho et chaque écho s’additionne à l’autre pour composer une échographie générale de l’espace qui lui permet de se repérer et de localiser dans l’obscurité n’importe quelle proie, n’importe quel prédateur. (…) Pour voir elles crient. Alors je te pose la question : si la vie est un perpétuel cri de douleur, comment faire pour entendre son écho et échographier le visage de ce qui nous fait souffrir?   - Si le cri est perpétuel, plus rien n’est visible.   – Bingo! Chaque cri doit être suivi par un silence pour faire entendre son écho. Celui qui ne fait que hurler sa douleur n’en verra jamais le visage tout autant que celui qui s’obstine à la taire. C’est la façon des chauves-souris : pour voir le visage de ce qui te fait souffrir, tu dois faire de ta douleur un collier qui enchaîne des perles de silence aux perles de tes cris.

.     C’est ton chien. (…) L’homme balafré m’a regardé. Le train arrivait. Il a vu mes yeux, j’ai vu ses yeux, et la lumière de la locomotive nous a illuminés tous deux. Il a dit Alors donne-lui son nom, et Humbert s’est mis à parler de la mort, cette ligne où tout s’efface, et de la guerre, cette ligne où tout se déchire. Il a parlé des lignes poreuses qui séparent les humains des bêtes et des lignes qui sillonnent les visages des vivants. Il a parlé des lignes qui nous font et nous défont, rides, traits, limites, frontières, démarcations. Il a parlé des lignes qui nous sauvent, conductrices, électriques, musicales, et il a parlé de celles qui nous manquent, ces lignes blanches disparues au tracé de nos routes, ces lignes invisibles à nos âmes égarées au fond de leurs labyrinthes. Il a parlé des lignes verticales au bout desquelles se sont pendues tant et tant d’Ariane sans plus de Thésée à sauver ni de Minotaure à abattre, il a parlé des lignes de vie au creux de nos paumes, il a parlé des lignes sans encre pour s’inscrire sur le papier des mémoires puis, avec le passage interminable du train convoyant ses voitures, il s’est mis à hurler : et je voudrais aussi te parler de la ligne que tu portes sur ta figure, cette balafre qui sépare ton visage  comme celle qui, ici même, il y a plus d’un siècle, a séparé ce pays entre le nord et le sud, faisant couler le sang de toute une jeunesse, et puisque le bar où l’on s’est rencontrés portait le nom de cette ligne de démarcation, je donne à ton chien le nom de Mason-Dixon Line. Chaque fois que tu l’appelleras par son nom, chaque fois que tu crieras Mason-Dixon Line, il faudra que ton cœur bondisse hors de ta poitrine! Promets-le moi! (…) Qu’il bondisse de trop d’âme et de trop de soif, parce qu’on n’a pas su avoir l’âme que nous rêvions d’avoir ni étancher la soif que nous cherchions à étancher!

.     Tu es d’une race sauvage, un rejeton brut de la nature. Il faut que tu le restes. Je ne te domestiquerai pas, je ne ferai pas de toi un craintif, une bête soumise, ni une bête aveugle. Je te donnerai ma voix, je te donnerai ma langue, tu me donneras tes silences, tu me donneras ton présent. Tu es un chien, de la race des loups. Chien est un mot, c’est le mot qui te désigne. Je suis un homme de la race des humains. Homme est un mot, c’est le mot qui me désigne. Homme et chien nous allons côte à côte à la surface de la terre. Mais dans un homme qui marche il y a d’autres hommes qui marchent et sous la terre il y a d’autres terres et derrière les noms des pays il y a d’autres pays. Il importe que tu le saches.

.     Comment consoler un humain. Je lui ai offert mon silence, tiens, il est à toi, écoute-le et dis-mois qui devrais-je dévorer, quel mal, quelle peine. Dans les sanglots qui sortent de ta gorge, j’entends les sanglots de ton enfance paniquée et comme c’est de toi qu’il s’agit, toi en qui j’ai choisi de placer mon amitié à l’instant même où je t’ai vu étendu dans les eaux froides du ruisseau, je sens naître en moi le désir de tuer ceux qui sont responsables de ton malheur. Non seulement je ne voudrais pas qu’un mal t’arrive, mais je ne veux pas non plus qu’un mal te soit déjà arrivé. Mais il est trop tard. Trop tard! Révélation brûlante de l’irréversible événement du temps. Ce qui est advenu qui pourrait faire que ce ne se soit pas produit?



J’achèverai par ces paroles du Capitaine Achab (MOBY DICK, Herman Melville ) appliquant à cette baleine blanche qu’il pourchasse des qualités humaines et se définit comme une bête.

.     Il y a beaucoup de choses que vous ignorez. Les objets qui nous entourent, les objets visibles, ne sont que masques de carton. Mais, dans chaque événement, dans l’acte indiscutable de la vie, il y a de l’inconnu, un inconnu qui raisonne, alors que le masque, lui, ne raisonne pas. Et l’homme ne peut frapper qu’à travers le masque! Comment un prisonnier pourrait-il s’évader de sa cellule sans percer la muraille? Eh bien, la baleine blanche, c’est cette muraille. Voilà pourquoi je veux la détruire! Parfois il m’arrive de penser que, derrière elle, derrière cette muraille, derrière ce masque de carton, il n’y a rien. N’importe! Moby Dick m’obsède. Je vous en elle une force qui m’injurie, une cruauté insondable.  L’insondable, c’est là ce que je hais, ce que je veux atteindre! Ne, me dites pas qu’en m’acharnant sur Moby Dick je commets un péché. J’anéantirais aussi bien le soleil s’il m’injuriait. Car, ce que le soleil peut faire, je sais que je peux le faire moi aussi!

À la prochaine







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