Giacometti |
Il pleut. La froidure ne sait
pas trop comment s’excuser d’être en retard dans un printemps nuageux, gris,
complètement indécis. Une température qui appelle Berlioz ou le Die Moldau de
Smetana, l’un comme l’autre, à réchauffer la maison de Saint-Pie.
J’ai beau me répéter que c’est
juin, à moins de deux semaines de l’été, tout cela s’évapore dans l’irréel des journées comme celle-ci qui ont l’audace de se perpétuer régulièrement.
Non. Je ne dirai pas qu’à
Saïgon la chaleur quasi caniculaire fait rage ou du moins enragent les plus
résistants. Non. Mais j’y songe.
Pour les habitués du CRAPAUD
qui savent le plaisir que j’ai à réunir différents auteurs à partir d’une
thématique, vous vous y retrouverez; pour les nouveaux venus, j’espère réussir
à vous faire partager cette douce fantaisie.
Le thème aujourd’hui :
les humains. Facile me direz-vous. Certainement répondrais-je. Voilà la raison
pour laquelle je complexifie le tout m'astreignant à ne citer que les auteurs de livres lus au
Vietnam entre novembre 2014 et mai 2015. Petit défi mais défi tout de même.
Pourquoi ''les humains''?
Les
êtres humains forment une grande confrérie, l’humanité. Sans doute à cause de
cette définition que l’actualité atrophie : ensemble des hommes, du
genre humain, parfois considéré comme constituant un tout, un être collectif.
Lorsque je regarde ce qui se
passe autour de moi, ce qui arrive aux migrants de
Birmanie, du Bengladesh… les exactions de l’EI… les bavures de plus en plus
nombreuses et criminelles des policiers à travers le monde… des guerres aux
allures de génocides au Moyen-Orient, en Afrique entre autres… à la
désinvolture effarante avec laquelle nos politiciens nient les conséquences suicidaires des gestes posés
envers l’environnement… l’insouciance généralisée devant les dégâts dus à l’exploitation
outrancière de la nature… Tout cela, et davantage encore, soulève une
interrogation : l’humanité est-elle encore un tout, un être collectif?
Et on parle, on parle encore
et toujours autour de différentes tables ici et là. Sans aucune action
concrète. L’économie, ce nouveau dieu mondial, cette prémisse que l'on décline
dans toutes les langues du monde, est devenue la précellence. Notre Harper
national l’illustre à merveille. Vous le reconnaîtrez dans ce court vers de
René Char : ''L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant.''
Je cherche donc un peu d’espoir
auprès d’auteurs pour qui l’humanité, les êtres humains, pour qui cela signifie
toujours quelque chose.
C’est autour (avec la complicité)
de Wajdi Mouawad, Amos Oz, Gabriel Garcia Marquez, Maxence Fermine, Tonino
Benacquista et Jon Kalman Stefanson que je m’invite à cette réflexion sur les
êtres humains… sur un hypothétique être collectif.
. Il y a des êtres qui nous
touchent plus que d’autres, sans doute parce que, sans que nous le sachions
nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque.
ANIMA Wajdi
Mouawad
. Comment peut-on être humain,
c’est-à-dire sceptique, capable d’ambivalence morale, et essayer en même temps
de combattre le mal? Comment résister au fanatisme sans devenir soi-même
fanatique? Comment combattre pour une noble cause sans devenir un combattant?
Comment lutter contre la cruauté sans se laisser contaminer? Comment utiliser
l’histoire sans éviter les effets toxiques d’une surdose d’histoire? Il y a
quelques années, à Vienne, j’ai vu dans la rue une manifestation d’un groupe
d’écologistes, qui protestaient contre les expériences scientifiques sur les
cochons d’Inde. Ils portaient des pancartes avec l’image de Jésus entouré de
cochons d’Inde martyrisés. Leur slogan était: ''Il les aimait aussi.''
Peut-être bien, mais certains
d’entre eux m’ont paru capables, un jour ou l’autre, d’abattre des otages pour mettre fin aux
souffrances de ces animaux. Le syndrome de l’idéalisme farouche, ou du
fanatisme anti-fanatique, doit inspirer de la vigilance aux personnes bien
intentionnées, ici, ailleurs, et partout. En tant que conteur et activiste
politique, je garde constamment présente à l’esprit l’idée qu’il est assez
facile de distinguer le bien du mal. Le véritable défi consiste à identifier
différentes nuances de gris; à calibrer le mal et à s’efforcer d’en définir les
grandes lignes; à différencier le mal du pire.
LES DEUX MORTS DE MA
GRAND-MÈRE Amos Oz
Dans un siècle, vivront ici
d’autres hommes, très différents de nous. Des gens raisonnables et réfléchis,
qui considéreront nos souffrances d’un œil surpris, circonspect, voire gêné. En
attendant, on nous a installés à Jérusalem pour nous en confier la garde. Tâche
que nous accomplissons dans la violence, l’obscurantisme et l’injustice. Nous
nous humilions les uns les autres, nous nous insultons, nous nous maltraitons,
non par méchanceté mais par indolence et pusillanimité. Nous recherchons le
bien et faisons le mal. Nous voulons soulager les souffrances et nous les
envenimons. Nous rajoutons à la détresse à force de raisonner.
LA TROISIÈME SPHÈRE Amos Oz
… il se laissa gagner par sa
propre conviction que les êtres humains ne naissent pas une fois pour toutes à
l’heure où leur mère leur donne le jour, mais que la vie les oblige de nouveau
et bien souvent à accoucher d’eux-mêmes.
L’humanité, comme une armée en
campagne, avance à la vitesse du plus lent.
L’AMOUR AUX TEMPS DU CHOLÉRA Gabriel Garcia Marquez
On croit longtemps vivre
entouré de gens, de proches, d’une famille aimante. À force d’habitude, on se
croit préservé à jamais du malheur et de
la solitude, pièce indispensable dans la grande mosaïque du monde. Et puis, un
jour, la mosaïque se fendille et les joints éclatent, jusqu’à ce que chacune
des pièces qui constituaient cette étrange fresque humaine s’isole un peu plus
des autres. Alors on se retrouve seul face à son reflet dans le miroir, seul
dans le cortège des jours qui défilent, et on comprend qu’il n’en était rien.
LE TOMBEAU D’ÉTOILES Maxence Fermine
Tout le monde se trompe, tout
le monde se croise et personne ne va là où il devrait aller. Il paraît que ça
caractérise l’humain.
QUATRE ROMANS NOIRS Tonino Benacquista (La maldonne des sleepings)
L’être humain est constamment
rappelé à son insignifiance, confronté aux grandes questions.
L’être humain est capable
d’oublier la plupart des choses ou de les nier en fermant les yeux plutôt qu’en
les ouvrant et il est presque toujours plus facile de détourner les yeux que de
regarder, car celui qui regarde est forcé de reconnaître ce qu’il voit,
ensuite, il n’a pas d’autre choix que de l’affronter.
LA TRISTESSE DES ANGES Jon
Kalman Stefanson
On appelle à la vigilance; on invite à l'engagement citoyen; on incite à mieux décoder les véritables enjeux, les véritables intérêts qu'ils soient individuels ou collectifs; on hurle à la démocratie alors que le mot démocrature forgé il y a plusieurs décennies, en espagnol, par le célèbre écrivain uruguayen Eduardo Galeano (qui vient de mourir à Montevideo) conviendrait mieux. Il désignait certains régimes qui, sans être des dictatures militaires ouvertes et assumées, conservaient une nature oligarchique, militariste et intolérante face à toute opposition organisée.
L'oeuvre à poursuivre serait-elle aussi simple que: tenter de demeurer humain, tenter de le redevenir...
À la prochaine
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