lundi 8 juin 2015

QUATRE (4) CENT-SOIXANTE-CINQ (65)

Giacometti

     Il pleut. La froidure ne sait pas trop comment s’excuser d’être en retard dans un printemps nuageux, gris, complètement indécis. Une température qui appelle Berlioz ou le Die Moldau de Smetana, l’un comme l’autre, à réchauffer la maison de Saint-Pie.

J’ai beau me répéter que c’est juin, à moins de deux semaines de l’été, tout cela s’évapore dans l’irréel des journées comme celle-ci qui ont l’audace de se perpétuer régulièrement.

Non. Je ne dirai pas qu’à Saïgon la chaleur quasi caniculaire fait rage ou du moins enragent les plus résistants. Non. Mais j’y songe.


Pour les habitués du CRAPAUD qui savent le plaisir que j’ai à réunir différents auteurs à partir d’une thématique, vous vous y retrouverez; pour les nouveaux venus, j’espère réussir à vous faire partager cette douce fantaisie.

Le thème aujourd’hui : les humains. Facile me direz-vous. Certainement répondrais-je. Voilà la raison pour laquelle je complexifie le tout m'astreignant à ne citer que les auteurs de livres lus au Vietnam entre novembre 2014 et mai 2015. Petit défi mais défi tout de même.

Pourquoi ''les humains''? 

Les êtres humains forment une grande confrérie, l’humanité. Sans doute à cause de cette définition que l’actualité atrophie : ensemble des hommes, du genre humain, parfois considéré comme constituant un tout, un être collectif.

Lorsque je regarde ce qui se passe autour de moi, ce qui arrive aux migrants de Birmanie, du Bengladesh… les exactions de l’EI… les bavures de plus en plus nombreuses et criminelles des policiers à travers le monde… des guerres aux allures de génocides au Moyen-Orient, en Afrique entre autres… à la désinvolture effarante avec laquelle nos politiciens nient  les conséquences suicidaires des gestes posés envers l’environnement… l’insouciance généralisée devant les dégâts dus à l’exploitation outrancière de la nature… Tout cela, et davantage encore, soulève une interrogation : l’humanité est-elle encore un tout, un être collectif?

Et on parle, on parle encore et toujours autour de différentes tables ici et là. Sans aucune action concrète. L’économie, ce nouveau dieu mondial, cette prémisse que l'on décline dans toutes les langues du monde, est devenue la précellence. Notre Harper national l’illustre à merveille. Vous le reconnaîtrez dans ce court vers de René Char : ''L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant.''

Je cherche donc un peu d’espoir auprès d’auteurs pour qui l’humanité, les êtres humains, pour qui cela signifie toujours quelque chose.

C’est autour (avec la complicité) de Wajdi Mouawad, Amos Oz, Gabriel Garcia Marquez, Maxence Fermine, Tonino Benacquista et Jon Kalman Stefanson que je m’invite à cette réflexion sur les êtres humains… sur un hypothétique être collectif.



. Il y a des êtres qui nous touchent plus que d’autres, sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque.  
ANIMA   Wajdi Mouawad


. Comment peut-on être humain, c’est-à-dire sceptique, capable d’ambivalence morale, et essayer en même temps de combattre le mal? Comment résister au fanatisme sans devenir soi-même fanatique? Comment combattre pour une noble cause sans devenir un combattant? Comment lutter contre la cruauté sans se laisser contaminer? Comment utiliser l’histoire sans éviter les effets toxiques d’une surdose d’histoire? Il y a quelques années, à Vienne, j’ai vu dans la rue une manifestation d’un groupe d’écologistes, qui protestaient contre les expériences scientifiques sur les cochons d’Inde. Ils portaient des pancartes avec l’image de Jésus entouré de cochons d’Inde martyrisés. Leur slogan était: ''Il les aimait aussi.''
Peut-être bien, mais certains d’entre eux m’ont paru capables, un jour ou l’autre,    d’abattre des otages pour mettre fin aux souffrances de ces animaux. Le syndrome de l’idéalisme farouche, ou du fanatisme anti-fanatique, doit inspirer de la vigilance aux personnes bien intentionnées, ici, ailleurs, et partout. En tant que conteur et activiste politique, je garde constamment présente à l’esprit l’idée qu’il est assez facile de distinguer le bien du mal. Le véritable défi consiste à identifier différentes nuances de gris; à calibrer le mal et à s’efforcer d’en définir les grandes lignes; à différencier le mal du pire.
LES DEUX MORTS DE MA GRAND-MÈRE   Amos Oz

Dans un siècle, vivront ici d’autres hommes, très différents de nous. Des gens raisonnables et réfléchis, qui considéreront nos souffrances d’un œil surpris, circonspect, voire gêné. En attendant, on nous a installés à Jérusalem pour nous en confier la garde. Tâche que nous accomplissons dans la violence, l’obscurantisme et l’injustice. Nous nous humilions les uns les autres, nous nous insultons, nous nous maltraitons, non par méchanceté mais par indolence et pusillanimité. Nous recherchons le bien et faisons le mal. Nous voulons soulager les souffrances et nous les envenimons. Nous rajoutons à la détresse à force de raisonner.
LA TROISIÈME SPHÈRE  Amos Oz


… il se laissa gagner par sa propre conviction que les êtres humains ne naissent pas une fois pour toutes à l’heure où leur mère leur donne le jour, mais que la vie les oblige de nouveau et bien souvent à accoucher d’eux-mêmes.

L’humanité, comme une armée en campagne, avance à la vitesse du plus lent.
L’AMOUR AUX TEMPS DU CHOLÉRA  Gabriel Garcia Marquez


On croit longtemps vivre entouré de gens, de proches, d’une famille aimante. À force d’habitude, on se croit préservé à jamais du malheur et  de la solitude, pièce indispensable dans la grande mosaïque du monde. Et puis, un jour, la mosaïque se fendille et les joints éclatent, jusqu’à ce que chacune des pièces qui constituaient cette étrange fresque humaine s’isole un peu plus des autres. Alors on se retrouve seul face à son reflet dans le miroir, seul dans le cortège des jours qui défilent, et on comprend qu’il n’en était rien.
LE TOMBEAU D’ÉTOILES  Maxence Fermine


Tout le monde se trompe, tout le monde se croise et personne ne va là où il devrait aller. Il paraît que ça caractérise l’humain.
QUATRE ROMANS NOIRS  Tonino Benacquista  (La maldonne des sleepings)


L’être humain est constamment rappelé à son insignifiance, confronté aux grandes questions.

L’être humain est capable d’oublier la plupart des choses ou de les nier en fermant les yeux plutôt qu’en les ouvrant et il est presque toujours plus facile de détourner les yeux que de regarder, car celui qui regarde est forcé de reconnaître ce qu’il voit, ensuite, il n’a pas d’autre choix que de l’affronter.
LA TRISTESSE DES ANGES   Jon Kalman Stefanson 



On appelle à la vigilance; on invite à l'engagement citoyen; on incite à mieux décoder les véritables enjeux, les véritables intérêts qu'ils soient individuels ou collectifs; on hurle à la démocratie alors que le mot démocrature forgé il y a plusieurs décennies, en espagnol, par le célèbre écrivain uruguayen Eduardo Galeano (qui vient de mourir à Montevideo) conviendrait mieux. Il désignait certains régimes qui, sans être des dictatures militaires ouvertes et assumées, conservaient une nature oligarchique, militariste et intolérante face à toute opposition organisée.

L'oeuvre à poursuivre serait-elle aussi simple que: tenter de demeurer humain, tenter de le redevenir...

À la prochaine

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