Chronique # 9
Le commerce, anneau de mariage de la vie
Depuis
Hanoï, Sapa et Hoï An, j’en suis à ma troisième visite au Café Riverside. La
première fut pour achever le poème «il
n’y a d’eau…»; c’est plus facile ici, en raison de la rivière et du fait
de pouvoir écrire (bizarrement écrire en vietnamien se dit viet ) installé à la même table, buvant l’excellent café froid (cà phê sưa
đá ) et le thé au jasmin
que renouvelle le garçon avec l’exactitude d’une horloge suisse.
La
deuxième, j’y terminais la lecture du livre de Camilla Gibb, LE
GARDIEN DE L’ORCHIDÉE, qui raconte le séjour à Hanoï d’une jeune
vietnamienne résidant aux États-Unis (Viet
Kieu terme donné aux Vietnamiens vivant à l’extérieur du pays) à la
recherche des traces de son père, peintre et proche d’un groupe d’artistes
communistes purs et durs, des idéalistes qui voyaient dans cette doctrine un
humanisme parfait et furent au centre de ce que l’on a appelé l’affaire Nhâm Van-Giai Pham dont le porte-parole
était le poète révolutionnaire Phan Khoï.
Il
a décrit en ces quelques mots - ce qui lui a valu le camp de rééducation
- l’essentiel de leur pensée:
«Nous croyons absolument au
communisme, l’idéal le plus merveilleux de l’humanité, l’idéal le plus jeune et
le plus vigoureux de toute l’histoire…
Si un style unique est imposé
aux écrivains et aux artistes, le jour n’est pas loin où toutes les fleurs se
transformeront en chrysanthèmes…»
Aussi
pour télécharger sur You Tube quelques vidéos dont celle réalisée avec Lunch
Lady, cette cuisinière de rue dont la réputation a depuis longtemps dépassé son
petit emplacement du District 1, y attirant le touriste intéressé par la
cuisine vietnamienne. Mais la connexion internet n’a pas voulu collaborer. Ça
s’est donc fait à l’appartement. Sur mon bureau nouvellement installé dans la
deuxième chambre. Avec vue sur l’extérieur (Nha Bé), sans la rivière tout à
côté.
L’important
c’est d’être ici - habituellement le vendredi comme aujourd’hui, cette troisième
fois - accueilli par ce vent de la Mer de Chine qui s’engouffre, parti de loin,
dans cet immense couloir que forme le fleuve ou la rivière Saïgon (river pouvant aussi bien désigner les
deux réalités) longeant les berges qui enserrent le port. De continuer à y être
bien et d’écrire les chroniques du Café Riverside.
Dans
le blogue, y déposant des images et quelques mots du dernier voyage au nord et
au centre du Vietnam, je laissais entendre que l’an prochain je retournerais à
Sapa - l’an dernier c’est d’un séjour prolongé à Hoï An dont je parlais - Ça se fera sans doute avec une petite pointe
vers Vinh dont j’entends de plus en plus parler.
Lecteur
assidu du journal LE COURRIER DU VIETNAM (sur internet) et membre du site
CAP-VIETNAM, je découvre tous les jours de nouvelles idées, de nouvelles
activités et surtout des lieux qui finissent par m’attirer. L’an prochain, je ne manquerai
pas le Festival de poésie, entre autres. Être sur place permet bien des choses.
Aussi,
la Fête des amoureux au Vietnam (qui n’est pas seulement la Saint-Valentin), mais
Chu Dông Tu et Tiên Dung : couple idéal et idéalisé, un amour abouti ! La légende de leur amour, l’une des
plus poétiques de la culture populaire vietnamienne, a même valu à Chu Dông Tu,
pêcheur de son état, de figurer au nombre des quatre Immortels dans la croyance
populaire.
Chaque
printemps, au 10e jour du deuxième mois lunaire (21 mars cette année), une fête
est dédiée à ce couple légendaire dans la province de Hung Yên, au bord du
fleuve Rouge, là où ils se seraient rencontrés il y a 2 300 ans. Une histoire à
la Roméo et Juliette.
Je
pourrais en citer une kyrielle mais je me les conserve pour l’an prochain…
Cette
chronique porte le titre suivant : Le commerce, anneau de mariage de la
vie.
D’où
me vient cette constatation?
Lorsque
l’on met bout à bout l’ensemble de nos observations accumulées au fil des années,
lors de voyages, rencontres ou discussions avec des gens de tout horizon;
lorsque l’on tente de reconstituer ce casse-tête, en dégager un ensemble plus
ou moins fini pour ramasser tout cela afin d'en tirer une ou des conclusions, on
constate qu’autour de nos idées se trace une ligne directrice qui éclaire
ou obscurcit, selon le cas, nos conceptions générales, universelles ou encore
particulières, individuelles.
Lorsque
j’écris que le commerce c’est comme l’anneau de mariage de la vie, je veux dire
par là que partout où je suis allé, où je me suis arrêté, que ce soit l’espace
d’une vacance ou plus longtemps, une constante s'imposait :
l’omniprésence du commerce. Le plus vieux métier du monde n’est pas la prostitution,
c’est toute forme de commerce. Celui qui engage l’échange entre des êtres
animés ou non, entre des concepts, des matières, des besoins. Pensons seulement
au commerce initial, celui qui nous a valu d’être : un échange entre deux
cellules différentes et complémentaires. Et poursuivant ce raisonnement des
choses les plus élémentaires aux plus complexes, nous arrivons toujours (du
moins, moi j’y arrive) à la conclusion que sans le commerce, rien n'est possible.
Je ne suis aucunement surpris de constater, sur une rue située au
Québec, en France ou au Vietnam, la présence de mille et un commerçants, offrant parfois le même produit, alignés à la queue-leu-leu, tentant par leur
silence ou leur bagout d’inciter un esquimau à acheter un frigo, un sans-abri
un manteau ou quoi d’autre encore. De faire du commerce.
Plus
jeune (hihi) on me disait qu’être commerçant c’était soit être Juif ou avoir
une propension à la malhonnêteté. Le commerce n’était pas catholique. Celui qui
s’enrichissait au détriment des autres devait en avoir pesant sur la
conscience. On
m’inculquait cette pensée chrétienne qui veut que les marchands du temple (ou
d’ailleurs) ne méritent que les coups de fouet du Christ. Un peu l'exil aussi, on n'a qu'à songer aux voyageurs de commerce qui certainement allaient plus loin que les marches du temple.
Le commerce c'était avant toute chose la cupidité, le besoin insatiable de posséder de l'argent toujours et encore plus alors qu'il valait mieux être
pauvre, on arrivera ainsi au paradis plus léger, de toute façon ce que l’on a gagné sur
cette terre de misère y restera. C'est beaucoup réduire le concept de commerce à son seul aspect mercantile. Il m'apparaît plus vaste que ça.
Si
on examine l'idée en y incorporant les notions d’argent et de pouvoir, je
crois que l’argument principal (commerce = anneau de mariage de la vie) peut toujours résister à l'analyse. La vie ne sourit-elle pas un peu plus aux riches laissant aux autres que des miettes
d’espace? Mais si l'idée de commerce embrasse les notions d'échange, de partage on devrait la voir dans un cadre plus vaste même si je saisis bien la mécanique de la roue partant du commerce pour fléchir vers l’argent puis le
pouvoir, et à la limite vers la politique. Ça nous travaille depuis des millénaires. Mais en fait c'est parce la vie nous travaille.
Je me demande si le Bing Bang ne serait pas l’explosion du
commerce à l’échelle extra-planétaire?
Je
finirai cette illustration me référant au débat que je surveille de bien loin, débat
en terre québécoise, touchant la situation des bénéficiaires de l’aide sociale,
et dans lequel la chef de Québec Solidaire, Françoise David avançait : on ne s’attaque pas à
la pauvreté, on s’attaque aux pauvres. Elle rejoint une des bases de la pensée
du philosophe Jean Bédard. Mais j’avoue que c’est vraiment une autre
discussion…
Si
la vie est enserrée au commerce de façon quasi intrinsèque; s’il y a inégalité
dans les rapports que l'on entretient avec celui-ci; alors la vie ne serait-elle pas davantage
objective que subjective? Je sais, cela n’est en rien une vérité mais elle
me semble se vérifier tous les jours et dans plusieurs endroits.
Je
quitte donc le Café Riverside avec, en tête, que mon séjour au Vietnam entrera
d’ici quelques heures dans son dernier mois... que mon commerce avec le Vietnam s'achèvera sans que l'anneau que cette civilisation m'a mis au doigt ne me quitte.
En terme pratique, sans doute une ou au maximum deux
autres chroniques à venir.
À
la prochaine
3 petits PS:
1) je vais chiquer du bétel pour la première fois de ma vie aujourd'hui... j'en ai trouvé auprès d'une dame âgée dans un marché du District 6. Elle s'est moqué de moi alors qu'elle me l'a fait goûter et qu'après deux secondes je crachais tout un peu partout;
2) après avoir chiquer, je vais le goûter en le faisant infuser dans l'eau bouillante;
3) alors que je soupais (dînais pour ici) dans un restaurant de rue du District 5, j'ai aperçu un formidable hibou qui voltigeait d'un toit à un autre... en plein coeur de Saïgon.
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