mercredi 26 octobre 2011

QUATRE (4) CENT-VINGT-DEUX (22)



Autant sur les écrans de télévision que sur je ne sais combien de sites internet, les cadavres inertes de Kadhafi et de son fils nous ont été présentés, enveloppés dans une couverture que l'on croirait provenir de chez Walmart alors qu'une foule défile... Parmi elle, certains silencieux, d'autres armés d'un portable afin de photographier le dictature déchu s'assurant ainsi que c'est bel et bien lui; plusieurs, la main sur la bouche pour étouffer soit l'odeur ambiante dans ce conteneur réfrigéré, soit l'émotion qu'ils ne peuvent encore nommer tout à fait... Un homme les invite à circuler sans doute pour permettre au maximum de gens de passer...

Deux hommes... pour plusieurs ils avaient perdu leur essence humaine et cela longtemps avant de mourir. Un chef d'État puissant, autoritaire, despotique... il y a encore quelques jours. Un père, près de lui un de ses fils... les autres sont toujours en cavale... devenus de lugubres macchabées au centre d'un quasi dépotoir et devant lesquels des centaines et des centaines de personnes déambulent comme pour se délivrer d'un passé douloureux, une catharsis que l'on souhaiterait la plus libératrice possible.

Ils auraient été exécutés sans autre forme de procès que celui mené par un groupe d'hommes, déchaînés, ayant la libération totale de leur pays pour noble cause, celle-ci passant inexorablement par la mort de ce Kadhafi qui pendant plus de quarante ans les a humiliés, interrompus dans leur marche personnelle vers l'avenir. Il aurait tout pris, ne leur aurait rien laissé.

Ces hommes l'ont pris sans lui laisser le temps ni de réagir ni de rugir. Kadhafi ne saura jamais que près de lui, sous une couverture, a été placé son fils, mort dans des circonstances inconnues. Il ne pourra plus jamais ni crier ni hurler et encore moins commander des attentats contre son peuple ou contre d'autres humains.

Ces deux cadavres, aujourd'hui anonymement enterrés, auront été fauchés par ce que l'on appelle le «printemps arabe», version libyenne. Deux cadavres que le vent désertique continuera, et cela pendant des siècles, à ensevelir, seules et uniques funérailles qui leur auront été autorisées.

Quelles questions cette histoire invite-t-elle à nous poser?

La première, certainement la plus évidente, est en lien avec le concept d'humanité. Est-ce qu'un être humain reconnu responsable et même coupable d'actes inhumains, de quelque nature qu'ils soient, conserve toujours le titre d'être humain? Ayant délibérément failli à ses devoirs d'être humain, devient-il forcément un être inhumain, à classer dans une catégorie à part, avec des lois autres et différentes? Doit-on le considérer exclu de nos sociétés civilisées et traiter en paria? Les gestes deviennent-ils plus importants que sa nature propre?

La deuxième porte sur la justice. Où se situe la barrière entre justice et vengeance? Pour faire ou rendre justice doit-on obligatoirement juger selon certaines lois, locales ou universelles? Est-ce rendre justice que d'oublier les victimes d'actes qui, en plus d'avoir été dégradants, peuvent être considérés comme immoraux? Dans le cas de Kadhafi, tout comme dans celui de certains dictateurs connus du XXIième siècle et d'avant, le jugement peut-il servir d'exemple et ainsi éviter que de semblables situations se répètent? La peine de mort à la Ceausescu, à la Saddam Hussein, pour ne citer que ces deux cas, est-elle la solution, est-elle une solution? Si oui, à quoi? Si non, que faire?

La troisième interroge la mémoire. Vous et moi avons combien de fois entendu cette phrase relative à l'histoire: c'est en scrutant notre histoire qu'on apprend à ne pas répéter les erreurs du passé. Est-ce exact? Combien de guerres, combien de génocides encore maintenant et cela après tout ce que l'histoire nous a enseigné? Notre mémoire possède la faculté d'être sélective et je m'aperçois que cela pourrait bien être une de ses plus grandes qualités. Cela nous permet d'oublier certaines souffrances malgré le fait que ce que l'on cherche à oublier revient immédiatement quand un événement similaire le réhabilite. Cela nous permet de faire des liens entre le maintenant et l'avant mais il semble que ça n'agit pas très efficacement sur l'après. Il y a toujours de bonnes raisons, des excuses intelligentes et des circonstances atténuantes. Dans quelques années, que restera-t-il dans nos mémoires de ce Kadhafi étendu sur le sol froid près de son fils? L'image d'un homme qui fut père, qui mourut violemment, beaucoup comme il a vécu et fait vivre autour de lui, et qui, mort, tournait le dos à son fils?

Il y aurait certainement d'autres interrogations d'ordre politique, religieux, historique sur lesquelles se pencher. Faire de la prospective sur la suite des choses... Envisager un scénario identique en Syrie ou au Yémen... De mon côté, ces événements qui, il y a moins d'un an, auraient sans doute été classés parmi la science-fiction, m'auront inspiré ceci:



les larmes sur un drapeau


les larmes coulaient des yeux
vagues perdues derrière un tsunami
torrentiel mouvement
les portant vers la rive
qu’elles n’ont pas eu le temps de rejoindre

le sang des larmes
s’arrachait comme des lambeaux séchés
se distribuant lui-même
torrentiel ressac
aux mains tendues, déchirées de leur peau

les larmes sur un drapeau poussiéreux
le désert les aura promptement séchées
torrentielle course
traçant en d’indélébiles lettres de feu
le mot liberté


Au prochain saut

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