mercredi 25 août 2010
Le trois cent soixante-dix-septième saut / Le trois-cent-soixante-dix-septième saut
Alain Horic
Difficile à trouver, du moins dans mon entourage poétique, un poème qui aborde le thème de la peur. (Parenthèse) : les serpents de la peur suivra celui-ci, de Alain Horic (poète né en 1929 en Bosnie et arrivé au Québec en 1952) dont je me souviens vaguement quelques écrits publiés dans la revue Parti-Pris. Avec Juan Garcia et Michel van Schendel, il fera partie en 1958 des «poètes migrants» de l’Hexagone avant d’être de la réorganisation des éditons en 1961 puis, avec Miron, formera la quatrième équipe de direction, cela en 1965. Il y sera très actif jusqu’en 1991.
On a beaucoup rapproché ce poème de LA CAGE D’OS de Saint-Denys-Garneau. Vous verrez par vous-même.
LA CAGE DE CHAIR
(Alain Horic)
Je voudrais que cet animal
qui s’éveille
chaque jour en moi
meure
enfermé dans sa cellule
de peau
La nuit je le surprends
m’arrachant les côtes
comme des barreaux
À chaque nouvelle lune
je lui cède
pour m’enfuir
brouiller les chemins
de retour
j’ai peur
qu’il morde le cœur
Au centre de la brousse humaine
rompre l’harmonie
de la chair
qui vibre de mille désirs
Je suis las de le traîner
derrière moi
pour témoigner de ma présence
Je dois l’étrangler
pour l’enfant
qui m’appelle
par le code secret du sang
À l’aube
quand il sera raidi
je prendrai le doigt d’un mort
pour crever l’infini
les serpents de la peur
les pas reculent quand s’avance la nuit
et la peur installe, au ventre, ses serpents
puis minutieusement, interminablement
les abreuve des remords du jour
la peur - coup de tonnerre à l’estomac
épée de Damoclès plantée dans le ventre -
étend froidement sur le vaste autel des croyances
un chapelet dépecé aux nœuds des serpents
crier du silence à tue-tête
se lover autour des algues d’un ruisseau
y voir un océan déchainé
avaler des poissons aux yeux creux
les serpents de la peur
redoutables comme des odeurs volées à la nuit
s’enroulent langoureusement autour de soi
pour accoucher de leurs faux diktats
les serpents de la peur
ces dictateurs atrophiés aux mains étouffantes
s’attaquent férocement à la gorge
y déposant la gangrène arrachée à un dernier souffle
les serpents de la peur
étourdissent de leurs dissonantes symphonies
la quiétude des fleurs qui tomberont des arbres
quand les frissons auront vrillé leur dernière chaleur
blancs devenus noirs, écarlates dans l’ombre
ils regardent, muettement, avec des certitudes d’évangile
fondre les os calcinés des témoins perdus
cherchant à s’évader du cercle perpétuel
ce que serine les serpents de la peur
rappelle les éblouissements géographiques
des longues terres inconnues
qu’un marcheur surpris découvrirait par hasard
… où il y croiserait des serpents
Au prochain saut
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