lundi 7 juin 2010

Le trois cent soixantième saut / Le trois-cent-soixantième saut

Éric Fottorino
Hélène Grimaud

Nous avions déjà tenté l’expérience. Ce fut Céline et Radiguet qui en étaient les protagonistes. Aujourd’hui, nous la répétons. Cette fois-ci ce sera en compagnie de la pianiste Hélène Grimaud (VARIATIONS SAUVAGES) et Éric Fottorino (CARESSE DE ROUGE).

Le jeu consiste à réunir des citations de deux auteurs dans un semblant de dialogue. Allons-y donc : HG (pour Hélène Grimaud) et ÉF (pour Éric Fottorino).


ÉF Se souvenir le dispense de vivre.

HG J’ai compris que se souvenir, c’est aussi inventer. La mémoire est l’art magique de la composition.

ÉF Je ne veux pas transformer chacun de mes souvenirs en arrêt du cœur.

HG Il s’agissait de bien davantage que de simples points cardinaux autour de moi, au-dessus et au-dessous de moi, il s’agissait d’un point de départ, le bing-bang de ma conscience qui m’a toujours fait dire, surtout pour la musique, que chacun d’entre nous est une opération magique, qu’on fait rarement fausse route et que souvent on n’est simplement pas allé assez loin. Après tout, ce qui dit venir n’est pas tant à découvrir qu’à inventer…

ÉF Les hommes n’ont pas l’habitude de rester. Ils fuient, ils éludent, ils oublient, on ne sait comment.

HG … on peut passer et même perdre sa vie à chercher sa pierre philosophale jusqu’au jour où l’on comprend que la formule est dans l’inverse, qu’il ne s’agit pas de transformer la matière en or, mais au contraire de transformer l’or en matière pour qu’elle devienne moments d’exception, d’enfantement d’art ou de bonté, or en son, et en soi tout simplement.

ÉF Ils paraissent tout savoir des mensonges qui soulagent.

HG J’ai compris ce qu’il m’avait appris, même si à cet âge, je ne l’ai pas tout de suite réalisé : nous sommes musique récitée par notre destin. Chacun porte une clef qu’il sait déchiffrer ou pas; quoi qu’il en soit, le bonheur ne s’obtient que par l’harmonie de son être avec la note qui l’exprime.

ÉF Toute ma vie s’est arrêtée comme une montre à l’heure du crime. Je suis condamné au temps. Ma peine, c’est de le sentir passer.

HG Nous assistons en direct à la création de l’enfer – non pas le lieu de la douleur, mais bien le lieu où l’on fait souffrir, où l’on invente l’éternité de la souffrance.

ÉF La femme a souri comme on sourit à la tristesse, quand on sait d’avance qu’on ne la fera pas entrer en soi. On la laissera là, dans les courants d’air.

HG Depuis la nuit des temps, l’homme a rêvé son double et cette idée, suggérée et stimulée par les miroirs, les fontaines et les lacs, amplifiée par la naissance de frères jumeaux, n’a cessé de fleurir dans les différentes cultures du monde.

ÉF Grandir sans père, c’est s’enfoncer dans un marécage. Ne jamais toucher le socle. Ne pas entendre de voix grave, d’éclats de voix. Ne pas se reconnaître sur un visage masculin. Ne pas arrêter d’y penser. Ne penser qu’à ça, par moments.

HG … celui avec qui l’on s’oppose vous construit mieux que celui dont on se sent le plus proche…

Ici s’achève leur courte rencontre, leur bref échange.

Hélène Grimaud termine ce saut par :

. Plus de villages, puis plus de fermes, plus de routes ni même de poteaux électriques, mais à perte de vue un paysage entier dans lequel j’éprouvais avec délices ma solitude, ce lieu essentiel où je pouvais être moi-même, avec moi-même et venir au monde. Toujours, c’est dans la solitude que la réalité, pour moi, a pris forme sous le signe du désir; et c’est dans la solitude que j’ai appris que ce n’est que ce qu’on désire de soi à soi qui tend vraiment à être réel…

. Nous souffrons tous de mouvements répétitifs. Nous prenons tous des habitudes en grandissant, alors il s’agit de s’en défaire.

. Le corps conditionne le raisonnement. Se défaire des habitudes quotidiennes du corps, c’est se donner la chance d’un autre rapport à la pensée.

. Amour, incessante création. «Raison mystérieuse et imprévue, mesure parfaite et réinventée» comme le chante Rimbaud. Tu étais ma volonté évidente. Tu m’as fait comprendre que ce n’est pas ce qui vient à nous, mais bien ce qui vient de nous qui est la vie véritable. Je voulais être. Aimer, c’est être. Et c’est créer sa vie bien plus que la recevoir…

. … le hasard, cette fantaisie du destin…

Au prochain saut

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