mardi 24 juin 2008

SAUT: 216


En ce jour du 24 juin, Fête nationale des Québécois/es - et plus humblement celle du crapaud - je vous offre Gaston Miron.

Né à Saint-Agathe-des-Monts en 1928, Gaston Miron a été, sans aucun risque de se tromper, celui qui a dominé la poésie québécoise contemporaine. Arrivé à Montréal, en 1947 - l'année de naissance du crapaud - ce n'est qu'en 1953 qu'il fonde avec un groupe d'amis les Éditions de l'Hexagone. Lui à qui on a toujours reproché de ne pas publier, il dépose là Deux sangs avec Olivier Marchand.

Après cela, Miron organise de nombreux récitals de poésie, principalement avec Jean-Guy Pilon et c'est en 1957 que l'ancêtre de la Rencontre des Écrivains a lieu, sous le nom de la Rencontre des poètes.

Il part, pour deux ans à Paris, de 1959 à 1961: un voyage d'études pourrait-on dire au cours duquel il approfondit ses techniques de l'édition mais surtout fait la rencontre des plusieurs écrivains français. Militant du RIN (Rassemblement pour l'Indépendance Nationale) à son retour, il fera également partie du Mouvement Québec Français.

C'est en 1970 qu'enfin... paraîtra L'Homme Rapaillé, publié aux Presses de l'Université de Montréal, une oeuvre essentielle réunissant le travail de Miron en gestation depuis plus de vingt ans. L'impact de ce livre sur la poésie québécoise est inimaginable. Il sera reconnu et couronné par des nombreuses distinctions autant au Québec qu'en France. Il sera également traduit en plusieurs langues.

Miron, porte-parole du Québec, porte-voix de cette nation qu'il aime tant, qu'il écrit si bien, Miron fera de nombreux voyages pour en parler, le chanter de cette voix unique qui retentit encore et toujours aux oreilles du crapaud.

J'ai eu le privilège de le côtoyer à plusieurs reprises. Certaines de ces rencontres résonnent encore en moi de leurs échos inoubliables. Je vous offre aujourd'hui l'entrevue que j'ai réalisée avec lui à l'automne 1969 et publiée (le 10 décembre 1969) dans le journal LE CLAIRON de Saint-Hyacinthe. L'article portait le titre suivant: RENCONTRE AVEC GASTON MIRON, POÈTE.


Qui est Gaston Miron?
Le Livre d'Or de la Poésie Française (Pierre Seghers) dit de lui: « Il est chaleureux et fraternel, de peu l'aîné des jeunes poètes du Québec qui l'aiment et le respectent. Il collabore aux mouvements, les anime surtout, et de lui ne s'occupe guère: il n'a publié que DEUX SANGS, en 1953, alors que nombre de ses poèmes, hautes voiles du langage sur le Saint-Laurent, ont été dispersés dans les journaux et les revues.»

Pierre de Boisdeffre dans Littérature d'Aujourd'hui (Tome II) consacre ces quelques lignes à Miron: «Avec un unique recueil, Gaston Miron a dessiné une des lignes de force de la nouvelle poésie canadienne; il a su peindre, mieux que personne, «les siècles de l'hiver canadien». Boisdeffre place Gaston Miron immédiatement après Saint-Denys-Garneau, Anne Hébert, Alain Grandbois et Rina Lasnier au point de vue de importance.

Jacques Brault a présenté dans Miron le Magnifique, une étude poussée de l'oeuvre du poète.

Jean-Éthier Blais nous décrit peut-être le mieux ce curieux personnage qu'est Gaston Miron, dans Signets II: « Jamais homme ne fut aussi près de son peuple et les phrases douloureuses se succèdent les unes aux autres dans sa bouche lorsqu'il parle de ses frères, les Canadiens français meurtris dans leur langage et leur chair. Il crie leur désespoir, comme s'il voulait assumer par ses paroles toute leur révolte inaudible, alléger le poids de leurs douleurs.»

Gaston Miron fait partie de cette génération de poètes qui ont inventé une thématique de la libération de l'esprit. Il n'y aurait qu'à dire que l'Hexagone se situe entre deux manifestes: Refus Global (1948) et le Manifeste subsiste (1965), pour remarquer les influences qui peuvent jouer.

Parmi les poèmes de Miron, LA VIE AGONIQUE est à signaler parce que c'est là que l'on retrouve les phases importantes de sa démarche. Poésie toujours en mouvement, jamais ininterrompue qui commence et finit par l'amour. Tout se situe entre deux pôles: le pays et la femme.

Déjà se dessine autour du personnage, qui chaque jour est cité comme une des voix les plus importantes de la conscience québécoise, une espèce de légende. Ce grand bonhomme au regard énigmatique et troublé se définirait, à la suite de quelques rencontres, comme une présence envoûtante.

Le premier point qui nous intéressait, c'était l'Hexagone. Cette maison d'édition fondée en 1953 ne voulut jamais être soit une chapelle, soit une école littéraire mais s'efforçait de respecter l'individualité de chacun des poètes qui s'y trouvaient. La première tâche fut de trouver un public qui sortirait le poète de son isolement où la société le reléguait ou lui-même il s'installait..

L'Hexagone a également posé une thématique: l'identité. Ayant pour principe, et Miron insiste beaucoup là-dessus, qu'on ne peut passer à l'universel sans conquérir globalement le spécifique (le particulier), on en est donc arrivé à poser le problème d'une littérature nationale. Miron dit du spécifique que c'est «une expression différenciée de l'humanité» et il continue sur ce sujet.


MIRON: Au début c'était analogique. Mais après, à partir de nous, on ne peut être l'un et l'autre séparément. On ne peut être universel sans être spécifique. Quand je lis Goethe, je suis Allemand. Quand je lis Shakespeare, je suis Anglais. Je voudrais que les autres en arrivent quand ils lisent une oeuvre québécoise de calibre à se dire, moi aussi, je participe à une expression de l'humanité qui est québécoise. Je ne peux pas être complètement moi comme individu et personne si la structure globale m'empêche de l'être. Je nais dans une culture donnée qui est une version de l'humanité. Pour que le «je» puisse s'épanouir il faut que la culture soit libre. Et nous n'avons pas le plein exercice de notre culture. Nous vivons dans la déstructuration permanente.

LE CLAIRON: Que faire alors?

MIRON: Une culture doit opérer un choix fondamental. Elle doit poser le problème de son destin de façon globale. C'est notre situation politique et historique qui forme un empêchement à régler globalement le problème.

LE CLAIRON: L'Hexagone a surtout édité de la poésie. Pourriez-vous nous donner votre définition de la poésie?

MIRON: La poésie étant essentiellement dynamique, elle ne se laisse pas définir. On pourrait dire que c'est l'histoire du fondamental humain, d'une rupture à l'autre dans l'histoire de ce fondamental. Et c'est ainsi que l'homme avance, l'homme-espèce et l'homme-historique, de rupture en rupture. La rupture est toujours un maillon évolutif, qu'elle soit lente évolution ou brusque mutation. Elle commence toujours par un chaos initial depuis lequel se reconstitue une nouvelle totalité de l'homme et de ses formes, et ainsi de suite. La poésie est en quelque sorte la matrice ou l'âme de cette histoire. Elle est à la fois, si on la considère dans l'ensemble de ses moments, enveloppante et débordante, placenta et éclatement.

LE CLAIRON: Et vous, pourquoi a-t-on de la difficulté à rejoindre vos textes, à vous suivre directement comme poète?

MIRON: Je disparais dans la marée brumeuse de ce peuple au regard épaillé sur ce qu'il voit. Je suis un poète en morceaux, un poète épaillé, dans ma vie individuelle et dans ma vie sociale. Dans ce sens-là, je suis à l'image de la collectivité qui a été atomisée, fragmentée. À l'image de l'homme séparé de lui-même. Mais nous sommes en train de nous rapailler, de refaire l'unité de l'homme québécois; en lui et dans sa structure globale.

LE CLAIRON: Tout le monde sait à quel point vous êtes engagé dans la lutte politique au Québec. Votre activité au Front du Québec Français en est un témoignage. J'aimerais que vous nous dégagiez un tableau de la situation politique actuelle.

MIRON: J'aimerais signaler au départ que nous vivons actuellement l'aventure qui relève de la naissance d'une conscience nationale en train de se former, d'un vouloir-vivre collectif. Nous sommes à nous reposséder. Depuis la prise du pouvoir par l'Union Nationale en 1966, nous sommes en face d'une situation inédite qui se dégage aujourd'hui. Nous assistons à un vacuum du pouvoir chez les deux partis traditionnels. Également, à un vacuum idéologique par le fait que les anciennes idéologies ne répondent plus à la situation actuelle. Il y a aussi un élément important et c'est que les générations intermédiaires tiennent le coup en tant que générations et non plus comme cas isolés. Et la jeunesse de plus en plus considérable, de plus en plus instruite qui n'est pas marquée par les traumatismes de pauvreté et de peur. À partir de ça tout est possible pour la construction d'un Québec nouveau. On est en train d'esquisser un modèle québécois. On assiste aussi à un affrontement préléminaire qui est à la fois un affrontement final quant au choix que l'on doit poser. Examinons la situation actuelle à partir d'événements tels le Bill 63, le règlement municipal Drapeau-Saulnier.
D'un côté nous avons le gouvernement qui impose des mesures appuyées par le Conseil du Patronnat, la Chambre de Commerce et Clubs Sociaux et de l'autre les syndicats et une forte partie de l'opinion publique.
Nous sommes devant un parlement monolithique - sauf quelques individus - schizophrène, dépassé par les événements, coupé du peuple, loufoque, incohérent, qui ne se maintient que par la force, qui glisse vers l'arbitraire et la répression. Un gouvernement à comportement aberrant, en queue de veau. Le maintien du statu-quo devient la raison d'état de ce gouvernement à la remorque des fédéralistes d'Ottawa. Il est évident que cela peut nous mener à une forme de facisme qui se manifeste lorsque les rapports entre les humains sont faussés par l'envahissement de l'appareil politique et policier dans la vie individuelle de chacun. À ce moment-là, tout le monde devient suspect à tout le monde; chacun est présumé coupable de quelque chose. C'est le climat de suspicion qui abolit la liberté.
J'aimerais ajouter qu'il y a actuellement une exploitation éhontée de l'aliénation d'un peuple au service des mystifications et des privilèges. Tout ça touche à l'anthropologie québécoise. Comme exemple citons le fait de propager des épouvantails, d'induire les gens à des raisonnements sophistes qui nous empêchent de voir la réalité, de s'ingénier au chantage comme M. Bertrand qui dit que le peuple québécois ne veut pas choisir entre son appartenance linguistique et son appartenance économique. Je voudrais dire que parler de la langue en terme quantitatif c'est vrai et c'est pas vrai. On compare les 5 millions de francophones aux 200 millions d'anglophones du continent. Cette comparaison est justifiable dans le statu-quo. Dans une perspective de l'indépendance le rapport devient d'une entité face à une autre entité. Une entité juridique, politique, économique et culturelle face à une autre entité. D'accord, le Québec ne sera jamais une entité de même grandeur que les États-Unis, mais on cessera de minimiser les 5 millions de Québécois par rapport à 200 millions d'Américains. On ne dit jamais 40 millions de Français contre 100 millions d'Allemands. Nous sommes un petit peuple et nous nous devons d'assumer notre destin. Quel que soit l'ordre de grandeur, il faut l'assumer parce que c'est une forme différenciée de l'humanité et cela c'est important. Je trouve que c'est un défi plus exaltant que celui de Trudeau et les autres fédéralistes parce qu'il débouche sur l'universel alors que l'autre ne débouche que sur une plus ou moins grande participation à la Confédération canadienne. Mieux vaut se tailler une place comme identité au même titre que toutes celles de la terre.
Il y a un dernier point que je voudrais soulever sur cette question et c'est le mépris dans lequel on tient l'homme québécois chez les tenants du statu-quo. Mépris que l'on retrouve chez les peuples infériorisés collectivement, ce qui ne veut pas dire inférieurs. Si cette infériorisation se prolonge, elle engendre toutes sortes de ravages: honte de soi, mépris de soi. Signalons que ce mépris se manifeste chez la classe-écran, c'est-à-dire celle qui collabore avec la majorité dominante. Ils ont pour tâche de dire que le Québécois est incapable par lui-même, qu'il ne peut trouver des idées originales et doit les importer de l'étranger, qu'il est inapte à la démocratie.

LE CLAIRON: Peut-on dire que vous êtes un poète engagé?

MIRON: Il n'y a pas de poésie engagée. Tout texte engage. J'ai essayé d'aggrandir ma poésie à l'échelon de tout l'homme et même d'exprimer la dimension politique de l'homme. Ma poésie est un engagement culturel global vis-à-vis le fait canadien-français.

Lorsqu'on laisse Gaston Miron, il semble que tout commence et non pas que quelque chose vient de se terminer.
En partant, il laisse pour notre chronique un poème inédit appelé: L'homme ressoudé.

J'ai fait de plus loin que moi un voyage abracadabrant
il y a longtemps que je ne m'étais pas revu
et me voici comme un homme dans une maison
qui s'est faite en son absence
je te salue silence

je ne suis plus revenu pour revenir
je suis arrivé à ce qui commence





(30)




Cet homme ressoudé allait devenir L'Homme rapaillé.

Le crapaud ne saurait oublier les trois séances de travail (une au restaurant du Club Canadien, la deuxième dans les bureaux de l'Hexagone situés à l'époque autour du Carré Saint-Louis et la troisième, dans les rues de Montréal). Elles me permirent d'entreprendre et de finaliser cette entrevue. Miron ne voulait pas que les mots qui allaient être publiés ne soient pas exactement ce qu'il souhaitait transmettre. C'est ensemble que nous l'avons peaufiner mais je ne saurais oublier, marchant tout près de ce géant, cette façon si intensément personnelle de parler, rire et chanter comme s'il lançait un «call» à la nation québécoise, à tous les humains québécois.


(Les photos originales sont de Paul Labelle, photographe de Saint-Hyacinthe)

Bonne Saint-Jean-Baptiste.

1 commentaire:

Anonyme a dit...

Cher Jean-Baptiste,

Un jour, pas si lointain, tu as joué le rôle d'entraîneur pour moi. Je voyais alors en toi un adulte qui était passionné par le sport de la crosse. Les chroniques dans le journal, le travail au sein de l'Association dont j'ignorais même la teneur et les contacts avec Pierre Filion.

Je voyais également un homme enjoué, pince sans-rire et nationaliste sans aucun doute.

Mais j'ignorais tout l'amour que tu portes aux mots, à la poésie et à la littérature. Cet article du Clairon, me confirme que tout cela ne date pas d'hier...

Merci de nous faire connaître ce Miron dont j'ai tant entendu parlé, mais dont je n'ai jamais pris la peine de cotoyer.

à la prochaine mon ami.

Paul

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