vendredi 8 février 2008

Le cent quatre-vingt-seizième saut de crapaud


Un saut de crapaud tout à fait spécial, aujourd'hui. Magnifique, vous verrez.

Le crapaud, depuis trois mois, fait partie d'un groupe de poètes et de poétesses réunis autour d'un site qui porte le nom d'Oasis des artistes. On y retrouve: poèmes, contes, nouvelles, créations artistiques, etc., mais principalement des gens charmants et adorables qui ont, pour la poésie et les arts, une presque vénération . De plus, c'est là le plus important, il s'en dégage une convivialité remarquable. Des contacts se nouent, des amitiés se lient et des rencontres personnelles et artistiques parfois spontanées autour d'un poème ou d'un autre geste artistique qui nous interpellent... comme ce qui suit.

Le coup de coeur que je vous offre maintenant provient de ce site. Je le publie avec l'autorisation de Carmelo Lopez (l'auteur de ce centon: pièce littéraire ou musicale, faite de morceaux empruntés).


À la fin, je vais «copier/coller» la communication entre nous.
Bonne lecture.

L'imposture

1 Salut ! Divinités par la rose et le sel,
2 Salut ! bois couronnés d'un reste de verdure,
3 Beaux et grands bâtiments d'éternelle structure,
4 Miroirs profonds ouverts à l'œil universel !

5 Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,
6 Me voici maintenant au milieu de mon âge !
7 Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
8 Au-dessus du bétail ahuri des humains.

9 Les soleils disparus sont des mots éternels.
10 Oh ! combien de marins, combien de capitaines !
11 Un calme soir caresse au loin les belles plaines ;
12 L'homme en songeant descend du gouffre universel.

13 Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
14 Le long du coteau courbe et des nobles vallées,
15 Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée
16 Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.

17 J'aime le son du Cor, le soir, au fond des bois.
18 J'aime la solitude et me rends solitaire.
19 Mon âme a son secret, ma vie a son mystère :
20 France, mère des arts, des armes et des lois.

21 Quelquefois ma raison par de faibles discours,
22 Cette faucille d'or dans le champ des étoiles,
23 Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
24 Et quand les siècles même auront fini leur cours !

25 Digne objet de mes soins, beau sujet de mes pleurs,
26 Je suis l'esprit, vivant au sein des choses mortes.
27 A travers la matière, affreux caveau sans portes,
28 Ce vase plein de lait, ce panier de fleurs.

29 J'ai gravé sur le tronc nos noms et nos amours,
30 Un air si rare au milieu des formes tragiques.
31 J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
32 Ces ponts, ces aqueducs, ces arcs, ces rondes tours.

33 Une nuit, c'est toujours la nuit dans le tombeau,
34 J'ai révélé mon cœur au Dieu de l'innocence,
35 Cette chanson d'amour qui toujours recommence
36 Maintenant que mon temps décroît comme un flambeau.

37 Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
38 Comme je descendais des Fleuves impassibles,
39 Les douleurs vont à Dieu, comme la flèche aux cibles ;
40 Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards.

41 Seigneur, tu es parfait et l'homme ne l'est pas.
42 M'embarquant en Amour, je vais courir fortune !
43 Où sont ces doux plaisirs qu'au soir sous la nuit brune...
44 Je suis tel qu'un ponton sans vergues et sans mâts.

45 L'universelle mort ressemble au flux marin,
46 De tempé la vallée un jour sera montagne,
47 Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
48 Cent fois, pour vous apprendre à vous lever matin.

49 Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,
50 Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule !
51 Rose au cœur violet, fleur de sainte Gudule,
52 Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.

53 Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !
54 C'est un trou de verdure où chante une rivière,
55 C'est l'ange Liberté, c'est le géant Lumière,
56 Aux couleurs du couchant reflété par mes yeux !

57 Jamais, avez-vous dit, tandis qu'autour de nous
58 L'ennui descend sur moi comme un brouillard d'automne.
59 Je regarde la mer qui toujours nous étonne
60 Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.

61 Et je serais sans feu si j'étais sans amour !
62 J'aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,
63 Qui sont, qui sont ceux-là, dont le cœur idolâtre
64 Le bois retentissant sur le pavé des cours.

65 Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
66 Parmi l'écroulement des grandeurs séculaires
67 Et les dragons avant de rentrer aux repaires
68 Quand sans bruit tu descends pour baiser ton amant.

69 Il est des parfums frais comme les chairs d'enfants !
70 J'adore l'indécis, les sons, les couleurs frêles :
71 A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
72 Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents.

73 Sans cesse à mes côtés s'agite le Démon !
74 Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
75 La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance
76 Suivant le son du Luth et les traits d'Apollon ?

77 La Nature est un temple où de vivants piliers
78 Qui fait du cœur de l'homme un temple d'harmonie.
79 C'était au beau milieu de notre tragédie,
80 Tous tes pas vers le jour sont par l'ombre épiés.

81 Maintenant je pardonne à la douce fureur.
82 Je promène au hasard mes regards sur la plaine,
83 Puisque j'ai mis ma lèvre à ta coupe encor pleine,
84 Puisque bientôt l'hiver va nous mettre en valeur,

85 Je te donne ces vers afin que si mon nom
86 Garde toujours ce douloureux empire
87 Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyre
88 Et puis est retourné, plein d'usage et raison.

89 Désormais que ma Muse, aussi bien que mes jours,
90 Ainsi, toujours poussés vers de nouveaux rivages,
91 O cieux, ô terre, ô mer, prés, montagnes, rivages,
92 C'est ici ma raison, mon champ et mes amours !

93 Hélas ! combien de jours, hélas ! combien de nuits,
94 Résonnait de Schubert la plaintive musique ;
95 La terre a tressailli d'un souffle prophétique...
96 Maintenant tu es vive, et je suis mort d'ennui.

97 Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
98 Ta douleur, du Périer, sera donc éternelle ?
99 Je plante en ta faveur cet arbre de Cybelle,
100 Avec une indicible et pâle volupté.

101 Ton silence où est-il ? ton repos et ta paix ?
102 Un mystère d'amour dans le métal repose
103 Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
104 O muse de mon cœur, amante des palais !

105 Voici la mort du ciel en l'effort douloureux !
106 Mon âme, il faut partir. Ma vigueur est passée,
107 Voici l'étroit sentier de l'obscure vallée
108 Que les soleils marins teignaient de mille feux,

109 Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron !
110 L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
111 Enflamme de feux verts tes yeux énigmatiques,
112 Que le vent du matin vient glacer à mon front.

113 Comme on passe en été le torrent sans danger,
114 Mon cœur, lassé de tout, même de l'espérance
115 Où du dragon vaincu dort l'antique semence,
116 Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.

117 Mais quoi ! c'est trop chanté, il faut tourner les yeux ?
118 C'est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre
119 Le long des arborescences naines du givre,
120 Triste, la bouche ouverte et les pieds vers les cieux.

121 J'ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs
122 Il n'est pas de brouillards comme il n'est point d'algèbres.
123 Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres
124 Et les fruits passeront la promesse des fleurs.

125 O Seigneur, ouvrez-moi les portes de la nuit !
126 Il est de forts parfums pour qui toute matière...
127 Il n'en sort que merveille et qu'ardente lumière,
128 Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

129 Laissez dormir en paix la nuit de mon hiver
130 Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles !
131 Je suis dans l'ombre affreuse et sous les sacrés voiles,
132 Mordant au citron d'or de l'idéal amer.

133 Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé!
134 A pas lents et tardifs tout seul je me promène.
135 Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine !
136 Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !


Carme

Mes éternels remerciements pour leur précieuse collaboration
à : pour les vers :
Joachim du Bellay (1522-1560) 7, 20, 43, 81, 88, 113
Pierre de Ronsard (1524-1585) 28, 29, 46, 48, 76, 96, 99
Etienne de la Boétie (1530-1563) 93
Philippe Desportes (1546-1606) 41, 68, 101, 134
Aggrippa d'Aubigné (1551-1630) 105, 117, 127, 129
Siméon-Guillaume de La Roque (1551-1611) 42
François de Malherbe (1555-1628) 3, 40, 98, 103, 124
Jean de Sponde (1557-1595) 63
Antoine de Nervèze (1570-1622) 18
François Maynard (1582-1646) 61, 106
Vincent Voiture (1598-1648) 21
Tristan L'Hermite (1601-1655) 25
Jean de La Fontaine (1621-1695) 89
Jean Racine (1639-1699) 24
Nicolas-Joseph Florent Gilbert (1751-1780) 34
André Chénier (1762-1794) 49, 87, 91
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859) 86
Alexandre Soumet (1788-1845) 78
Alphonse de Lamartine (1790-1869) 2, 37, 74, 82, 90, 107, 114, 136
Alfred de Vigny (1797-1863) 17
Victor Hugo (1802-1885) 4, 5, 10, 12, 22, 26, 27, 32, 33, 36, 39, 47, 50, 55, 67, 80, 83, 92, 120, 121, 122, 125, 131, 135
Félix Arvers (1806-1850) 19
Gérard de Nerval (1808-1855) 15, 35, 51, 72, 75, 95, 97, 102, 109, 115, 133
Alfred de Musset (1810-1857) 57, 94
Charles Leconte de Lisle (1818-1894) 45
Charles Baudelaire (1821-1867 31, 52, 56, 62, 64, 69, 73, 77, 85, 100, 104, 108,116, 118, 123, 126
Léon Dierx (1838-1912) 44
Stéphane Mallarmé (1842-1898) 8, 132
José-Maria de Hérédia (1842-1905) 13, 16, 110
Paul Verlaine (1844-1896) 60, 65, 112
Arthur Rimbaud (1854-1891) 23, 38, 53, 54, 71, 128,130
Albert Samain (1858-1900) 70
André Fontainas (1865-1948) 66, 111
Ephraïm Mikhaël (1866-1890) 11, 58
Paul Valéry (1871-1945) 1
Charles Péguy (1873-1914) 14
Pierre Jean Jouve (1887-1976) 9, 30
Jean Cocteau (1889-1963) 6, 59
Louis Aragon (1897-1982) 79
Francis Ponge (1899-1988) 84
Patrice de La Tour du Pin (1911-1975) 119

Il fallait le faire, n'est-ce-pas?

Voici les courriels que nous nous sommes échangés et dans un des deux, Carmelo se présente.

LeCrapaud a écrit :
Carme,
Je vous demande si vous accepteriez que je publie votre centon sur mon blog: LE CRAPAUD GÉANT DE FORILLON.Votre travail m'a purement ébloui et j'aimerais beaucoup que les quelques lecteurs qui s'arrêtent à l'occasion sur ma page web puissent l'apprécier.
Pourriez-vous, si vous acceptez, me fournir vos coordonnées (nom, pays d'origine, occupation et une adresse de page web si vous en possédez une)?

Merci,
LeCrapaud

Bonjour Jean,
Je suis très honoré et surpris par votre proposition sur ce texte pour lequel je ne peux revendiquer qu'une très légère paternité, vous en conviendrez. Mon rôle s'est limité à agencer les vers et à modifier parfois la ponctuation à la fin d'un vers ou l'autre pour mieux épouser le suivant, ceci dans le but de tenter d'apporter une certaine fluidité dans la lecture. Je dois reconnaître que le résultat n'est pas parfait. Mais comme je l'ai dit sur "Oasis", ce fut un vrai plaisir de le réaliser malgré les longues recherches et les nombreuses contraintes que comporte ce type d'exercice.
J'accepte votre proposition. Vous avez mon accord pour publier ce centon. J'espère que vos visiteurs l'apprécieront.
Ah oui, mes excuses pour mon manque de politesse ! Je m'appelle Carmelo Lopez, j'ai 49 ans et je réside en France, pour être plus précis, près de Metz en Lorraine. Je suis marié et père de deux filles. Sur le plan professionnel, je fais de la gestion matérielle et financière dans un lycée (on est très loin de la poésie ! Quoique ...)Désolé je ne dispose pas de page web.
Mes cordiales salutations,
Carme

Merci une autre fois, Carmelo.

À la prochaine

1 commentaire:

Nadoubui a dit...

Excellent, j'avais d'ailleurs particulièrement apprécié ce difficile exercice créé par la reprise bien agencée d'alexandrins de poètes connus ou moins connus. Je vais prendre un peu de mon temps, occasionnellement, pour venir sur ton blog.

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