samedi 5 janvier 2008

Le cent quatre-vingt-onzième saut de crapaud

Voilà. Il faut bien commencer. Bonne année. 2008. Heureuse, aussi. Santé.
Voilà. Pour les voeux.
LE CRAPAUD GÉANT DE FORILLON franchira d'ici quelques semaines le cap - astronomique - des deux cents sauts. Il y aura un bilan à faire à ce moment-là. On y reviendra.
Certains me disent que l'année 2007 aura été principalement marquée - sur le blogue - par des écrits autres que ceux du crapaud. Fallait-il qu'il en fût ainsi? Probablement. Un ressourcement, peut-être?
Ou une crainte de perdre ce qui traînait à gauche et à droite dans des cahiers de lecture, de notes et d'écriture. Je pense surtout aux deux romans - scolaires - que je m'étais promis de corriger, une fois arrivé à la retraite. Maintenant, c'est fait. Plusieurs citations d'auteurs - connus et inconnus - qui, au cours des années m'ont accompagné. Le plus étrange, c'est que je me souviens presque de l'instant où ils sont tombés dans lesdits cahiers.
2008 est vieille de cinq jours... En 2006, le premier saut de l'année, c'était un 4 janvier. En 2007, un 9. Cette fois-ci, un 5. Pour le mordu de numérologie que je suis, cela signifie beaucoup: le 5 étant le nombre du changement, de l'évolution. Le temps le dira...
En ce début 2008, je vous offre un magnifique poème - je sais, il est long, mais prendez le temps de vous l'approprier - un poème d'Alfred Desrochers, sans doute le plus important qu'il nous a laissé. Ce poème fut parmi mes premiers contacts avec la poésie canadienne-française disait-on à l'époque... aujourd'hui, on parle de poésie québécoise... et certainement, un fleuron de celle-ci. Il est tiré d' À L'OMBRE DE L'ORFORD, publié en 1929.
Le voici.



LE CYCLE DES BOIS ET DES CHAMPS
Liminaire


Je suis un fils déchu de race surhumaine,
Race de violents, de forts, de hasardeux,
Et j'ai le mal du pays neuf, que je tiens d'eux,
Quand viennent les jours gris que septembre ramène.

Tout le passé brutal de ces coureurs de bois:
Chasseurs, trappeurs, scieurs de long, flotteurs de cages,
Marchands aventuriers ou travailleurs à gages,
M'ordonne d'émigrer par en haut pour cinq mois.

Et je rêve d'aller comme allaient les ancêtres;
J'entends pleurer en moi les grands espaces blancs,
Qu'ils parcouraient, nimbés de souffles d'ouragans,
Et j'abhorre comme eux la contrainte des maîtres.

Quand s'abattait sur eux l'orage des fléaux,
Ils maudissaient le val; ils maudissaient la plaine,
Ils maudissaient les loups qui les privaient de laine:
Leurs malédictions engourdissaient leurs maux.

Mais quand le souvenir de l'épouse lointaine
Secouait brusquement les sites devant eux,
Du revers de leur manche, ils s'essuyaient les yeux
Et leur bouche entonnait: «À la claire fontaine»...

Ils l'ont si bien redite aux échos des forêts,
Cette chanson naïve où le rossignol chante,
Sur la plus haute branche, une chanson touchante,
Qu'elle se mêle à mes pensers le plus secrets:

Si je courbe le dos sous d'invisibles charges,
Dans l'âcre brouhaha de départs oppressants,
Et si, devant l'obstacle ou le lien, je sens
Le frisson batailleur qui crispait leurs poings larges;

Si d'eux, qui n'ont jamais connu le désespoir,
Qui sont morts en rêvant d'asservir la nature,
Je tiens ce maladif instinct de l'aventure,
Dont je suis quelquefois tout envoûté, le soir;

Par nos ans sans vigueur, je suis comme le hêtre
Dont la sève a tari sans qu'il soit dépouillé,
Et c'est de désirs morts que je suis enfeuillé,
Quand je rêve d'aller comme allait mon ancêtre;

Mais les mots indistincts que profère ma voix
Sont encore: un rosier, une source, un branchage,
Un chêne, un rossignol parmi le clair feuillage,
Et comme au temps de mon aïeul, coureur des bois,

Ma joie ou ma douleur chante le paysage.





À la très prochaine...

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