mardi 21 août 2007

Le cent soixante-douzième saut de crapaud



Il vous semblera «étrange» ce poème alors que le crapaud est en pleine lecture du livre de Nikos Kazantzaki, LE CHRIST RESSUCITÉ, CELUI QUI DOIT MOURIR. Étrange, mais pas autant qu'on pourrait le croire à première vue. Ces enfants dont l'innocence se verra troublée par la peur, le froid et le fantôme auraient très bien pu rêver de Crète, de Zorba le Grec ou encore des personnages de Kazantzaki, mais à la place, ils rêveront d'Espagne et de lame de Tolède...


Les poèmes ont ceci de magique: lorsqu'ils s'en vont par un sentier, ils recherchent avidement autour d'eux des images qui les nourrissent, leur font voir la lumière dans toute forme de noirceur, découvrir le silence sous les bruits sournois des réalités diverses qui assaillent à la fois le corps, le coeur et le cerveau. Un poème n'est ni poésie ni poète, il est instant, cet instant suspendu qui s'éternise brutalement. Un poème n'est pas le lecteur qui le découvre, il est un passager autour des images que son ticket de lecture lui permet de voir...


Celui que je vous offre, aujourd'hui, possède le mérite de boucler le cycle des fantômes, c'est-à-dire ces êtres sans visages, sans âme, nus et immatériels qui voyagent à travers nous en s'effilochant.


Le poème s'intitule SOUS LES OMBRES D'UN FANTÔME...



sous les ombres d’un fantôme…


… au bout de la colline se détachaient
- (projetant dans la trop courte vallée) -
des images accrochées au faîte des arbres
mutilés par l’automne

… des formes cadavériques aux allures sanguinaires se profilaient
que
- (passant par là) -
des anges revêtus de leurs armes dorées
auraient dessinées


il faisait froid
tout se figeait
dans le triste frimas
grimaçant d’effroi



par le chemin vicinal,
les enfants avaient bien remarqué
cette lugubre réalité adulte
que déchiquetait le vent

ils se taisaient
- (entre eux) -
se tenaient au fenton rouillé
les menant aux arbres


… et sous les ombres torves d’un fantôme
lancées au travers
d’un air
de Schubert
- (guttural lied appris par cœur) -
ils s’engourdirent au pied de l’arbre…



le froid colorait leurs mains
paralysés
ils tracèrent des sentiers
que les roches fendaient




le coupe-papier de Tolède n’était qu’une lame seule
- (une dague ayant perdu son chemin) -
retrouvée dans le creux bleu des mains enfantines
qui balayèrent le froid à grands coups d’Espagne


ont peur ces enfants
sous les arbres
sous les ombres d’un fantôme
auront peur ces enfants
sous les arbres
sous les ombres d’un fantôme
avaient peur ces enfants
sous les arbres
sous les ombres d’un fantôme
eurent peur des enfants sous les arbres sous les ombres d’un fantôme

et amènent le froid
amèneront le froid
et amenaient le froid
amenèrent le froid

plus loin
plus colline
plus vallée

que toutes les routes des écoles
- (ayant perdu leurs sentiers) –


la peur et le froid
jouèrent à qui perd-gagne
les haillons d’un fantôme
enfoui sous ses ombres



les enfants armés de métronomes chronométrés en degrés Celcius
en froid encore à venir
rêvèrent d’une Espagne empoussiérée
échevelée de vents
et chassaient les fantômes endoloris dans leurs cerveaux immobiles


se désarmèrent les enfants
- (ombres amères perdant lambeaux et chairs) -
accroupis sous les arbres de l’hiver
et chantaient
des hymnes au silence
qu’un seul fantôme entendit…

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