dimanche 24 juin 2007

Le cent soixante-septième saut de crapaud


Le crapaud, encore sous le charme et l'émotion de la journée de vendredi, en ce 24 juin - celle du BOULEAU - ne peut écrire que quelques mots, à peine.


60 ans, c'est un peu moins que les 84 de Fleurette; une année de moins que Françoise, ma soeur ainée, une de plus que mon frère Pierre, trois pour mon frère Jacques, cinq de ma soeur Louise et onze de plus que ma jeune soeur, Sylvie...



Aussi, à 30 ans de ma fille Catherine, 31 de Mathilde, ma deuxième fille et 34 d'Odile ma troisième fille.


L'âge qu'il est difficile de montrer sur les mains quand vous le demandent Émile - 5 ans le 14 juillet, Léa - 3 ans depuis le 4 février -et Arthur - 2 ans le 6 juillet-. Il faudrait dix fois leurs mains réunies...



Journée du BOULEAU que ce 24 juin, dans l'horoscope gaulois... Journée, aussi, de tant de souvenirs pour le crapaud qui, derrière la Maison du Ruisseau, près d'un étang où le matin baigné de soleil, on entendait la douce chanson d'une grenouille s'amusant à suivre les libellules lui passer au-dessus du nez... soixante fois plutôt qu'une, il ne pouvait que croire plus encore aux beautés de la famille, de la nature, de l'humanité et de l'amour réunies...




En ce vendredi, le BOULEAU se sentait davantage Saule Pleureur... Entouré de tout ce monde essentiellement primordial, franchissant un cap, celui d'une décenie à une autre, je dois dire qu'une pensée spéciale montait vers ce CHÊNE que fût pour nous tous, Gérard...



Les amis et les amies dont la chaleureuse présence aura permis d'être encore plus ce que nous sommes tous lorsque ensemble, des humains d'une qualité inégalée.

J'aurais beaucoup à dire mais le soleil du 24 m'appelle vers les bouleaux...


De tout mon coeur, merci pour ces heures d'un bonheur qui se distribuait d'un regard à l'autre, d'un geste à l'autre.


Le crapaud ému...


lundi 11 juin 2007

Le cent soixante-sixième saut de crapaud



Léon Tolstoï est né le 9 septembre 1828 et meurt le 20 novembre 1910. Ses premières publications, des récits autobiographiques (Enfance et Adolescence) (1852-1856), rapportent comment un enfant, fils de riches propriétaires terriens, réalise lentement ce qui le sépare de ses camarades de jeu paysans. Vers 1883, Tolstoï rejettera ces livres, étant trop sentimentaux, une bonne partie de sa vie y étant révélée et décidera de vivre comme un paysan, se débarrassant de ses nombreuses possessions matérielles héritées, ayant acquis le titre de Comte. Avec le temps, il sera de plus en plus guidé par une existence simple et spirituelle.

Frappé dès son enfance par le sentiment de l'absurdité de la vie (à la suite de la mort de son père), il refuse l'hypocrisie des relations sociales. Le sentiment moral est ce qu'il y a de véritablement divin : toute la morale de Tolstoï est fondée sur ce sentiment. Par ailleurs, Tolstoï rejette l'État et l'Église. Sa critique radicale de l'Etat, ses préoccupations envers les masses opprimées, l'importance de ses réalisations pédagogiques, sa recherche de cohérence sur le plan personnel, en ont fait un penseur proche de l'anarchisme. Par ailleurs, il conçoit l'art véritable comme étranger à la recherche du plaisir purement esthétique : « l'art est un moyen de communication des émotions et d'union entre les hommes ».

Tolstoï entame à partir des années 1870 une sorte d'introspection, en forme de quête spirituelle. En 1879, il se convertit au christianisme qu'il évoque dans "Ma confession" et "Ma religion", mais il est très critique par rapport à l'église orthodoxe russe : son christianisme reste empreint de rationalisme, la religion étant toujours chez lui un sujet de violents débats internes, ce qui l'amènera à concevoir un christianisme détaché du matérialisme et surtout non-violent. De son côté, l'église orthodoxe va excommunier Tolstoï après la publication de son œuvre "Résurrection".
À la fin de sa vie, Tolstoï part en vagabond, attrape froid et meurt d'une pneumonie dans la solitude, à la gare d'Astapovo, loin de sa propriété de Iasnaïa Poliana et de sa famille, y compris sa femme Sophie Behrs qu'il refusera de voir. Pourtant ils s'autorisaient chacun à lire le journal intime de l'autre et ont eu treize enfants ensemble (cinq meurent en bas âge), mais Sophie était aussi celle qui dirigeait le domaine, donc assez autoritaire.

Tolstoï a fait savoir qu'il était favorable à l'esperanto , langue internationale qu'il disait avoir appris en dix heures.

« J'ai trouvé le volapük très compliqué et, au contraire, l'espéranto très simple. Ayant reçu, il y a six ans, une grammaire, un dictionnaire et des articles en espéranto, j'ai pu arriver facilement, au bout de deux petites heures, sinon à l'écrire, du moins à le lire couramment. [...] Les sacrifices que fera tout homme de notre monde européen, en consacrant quelque temps à son étude, sont tellement petits, et les résultats qui peuvent en découler tellement immenses, qu'on ne peut se refuser à faire cet essai.» (1894)

En 1885, Léon Tolstoï adopta un régime végétarien. Il préconisa le "pacifisme végétarien" et prôna le respect de la vie sous toutes ses formes même les plus insignifiantes. Il écrit qu'en tuant les animaux « l'homme réprime inutilement en lui-même la plus haute aptitude spirituelle - la sympathie et la pitié envers des créatures vivantes comme lui - et qu'en violant ainsi ses propres sentiments, il devient cruel ». Il considérait par conséquent que la consommation de chair animale est « absolument immorale, puisqu'elle implique un acte contraire à la morale: la mise à mort ».

Voici quelques perles conservées dans mes cahiers de lecture:


- Je m'assieds sur le dos d'un homme, l'étouffant et le sommant de me porter. Et pourtant, je tiens à me convaincre et à convaincre les autres que je suis désolé pour lui et que je désire soulager sa peine par tous les moyens possibles, sauf en descendant de son dos.

- Condamnez-moi, mais ne condamnez pas le chemin. Si je connais la route qui mène chez moi et si j'y déambule, ivre, titubant, cela prouve-t-il que la route n'est pas bonne? Si j'erre et je chancelle, venez à mon aide... Vous êtes aussi des êtres humains et vous aussi, vous rentrez chez vous.

- Mais nier un fait n'est pas répondre.

- Le charme, la variété et la beauté de la vie tiennent précisément à des oppositions de lumière et d'ombre.

- ... pour se vouer entièrement à une oeuvre, il faut être sûr qu'elle ne périra pas avec nous.

- Certaines choses et certains êtres ont besoin de la distance qui les sépare de nous, et que cette distance demeure infranchissable. Ils y puisent leur nourriture.

- Si on regarde une chose trop longtemps, on devient cette chose.

- On ne transmet que ce qu'on aime.

- Une chose prend fin, une autre chose commence et c'est la même qui continue, autrement.

- ... c'est l'inoubliable qu'il oublie.

- Ce n'est pas la peine de réfléchir pour faire les choses. Il est même préférable de ne réfléchir qu'ensuite, si on veut de temps en temps faire une chose, vraiment la faire.

- L'instant de l'abandon est plus délicieux que celui de la prise.

- On croit aimer des gens. En vérité, on aime des mondes.

- La tranquilité est une lâcheté de l'âme. Il faut s'agiter, s'embrouiller, se débattre, se tromper, entreprendre et abandonner, recommencer et abandonner encore, combattre à l'infini, en se jetant dans toutes les directions!



À bientôt


mercredi 6 juin 2007

Le cent soixante-cinquième saut de crapaud

Suite à ces transcriptions de deux romans écrits avec la complicité d'élèves, le premier au cours de l'année scolaire 1991992 et le deuxième en 1993-1994, nous revenons à nos petites habitudes... Cela pourrait être des poèmes, comme ce sera le cas aujourd'hui, ou encore des souvenirs de lecture...


Le poème d'aujourd'hui, je me permettrais de le classer dans une nouvelle catégorie fort différente des autres mais reliée de part la structure qui exige de ma part d'éviter le « je » et de toujours me fier aux images afin de porter le texte. Il s'appelle ... la cusine rouge ...


la cuisine rouge



un long couteau t r a n s v e r s a l e la table
sa lame
,empreinte digitale ensanglantée,
telle une alarme criarde dans un matin sec
dégoutte par terre

huit capillaires de sang accrochés
à la q u e u e l e u l e u
dégoulinent
formant un losange imparfait


une après l’autre, au goulot de l’invisible pipette,
les gouttes oppressées
s’étirent
s’écrasent
f l a q u e m e n t
noyées par un bruit d’étang rouge
marais asséché
sur le sol astiqué de la cuisine



(objects in mirror are closer than they appear)



trois cheminées par la fenêtre entrevues
injectent au ventre du ciel
des brumes grises
c h a r b o n n e n t les nuages
alors que douze fleurs séchées fanent dans l’amphore craquée
en souvenir des mains acidulées


au cendrier des bouteilles renversées
fume un tabac autochtone
fermera-t-on? le portail
aux clôtures des muettes éternités
que l’infini aveugle




les entaches de sang… s’embrouillent aux moments lucides
le couteau… transperce les nucléaires retombées
les jaillissements retenus... régurgitent des miettes de pain
les échappées d’anges aux paroles noircies…
se p é n i t e n c e n t le cœur
les morceaux d’âme verglacés… s’égratignent jusqu’à la moelle
plaquant dans leur inerte envergure
toutes ces horreurs sacrifiées aux autels de marbre rosacé

et
s’égratignent les veines bleues du temps
inégalement mêlées au rouge
qui chahute derrière les enterrements de soleil



(objects in mirror are closer than they appear)



un verre d’acide
boussole échevelée sur l’humidité rouge de la table
se remplit de mille morceaux d’un casse-tête 3d

les trous sans pluies…
l’eau des icebergs…
les bateaux naufragés…
traversent la cuisine inondée
qu’en ses heures inquiètes ronge la mer

ils enjambent les couteaux puant la viande tranchée
servie froide dans des assiettes plombées…
alors que par la fenêtre
l’endorphine douleur se ronge les sangs



(objects in mirror are closer than they appear
)



une cuisine devenue couteau
à la fenêtre, du sang


à mille lieux du centre périphérique
où l’essentiel des choses se joue
comme des objets dans le miroir des apparences
À la prochaine.

lundi 4 juin 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (27)


Chapitre 63


À leur retour au Domaine du Rêve, trois couples, différents des équipes formées par Bob pour le voyage sur le pouce, étaient constitués: Annie et Rock ne se laissaient plus depuis le voyage dans la boîte du camion de monsieur McCrimmon et même un peu auparavant, lorsque Joe les avait quittés pour la rencontre au sommet avec le Maître. Mis à part les offres de cigarettes que la jeunne fille dirigeait vers le grand bien occupé avec son bébé raton laveur et cette cicatrice à l'avant-bras, les deux, sans se parler, profitaient d'une nouvelle présence pas du tout déplaisante.

Avant d'entrer dans sa tente, elle dit à Rock:
- Tu ne vas pas m'espionner, ce soir?
- Non, mais ...
- Mais quoi?
- Je veux te dire que j'ai hâte à demain.
- Et pourquoi?
- Pour te revoir.
- C'est gentil, Rock. Bonne nuit.

Rock laissant Annie alla s'asseoir sous un arbre, écoutait battre son coeur jusqu'au moment où il entendit marcher derrière lui. Annie revenait:
- Je vais fumer une dernière cigarette.
- Veux-tu que j'aille chercher Joe?
- Pourquoi?
- Pour que tu lui en offres une.
- Bien non, voyons.

Ils demeurèrent ainsi, longtemps sans rien dire, dans un silence rempli de mille paroles possibles. Le petit regardait la jeune fille, il la trouvait tellement belle. Jamais il n'aurait même imaginé qu'elle puises se retrouver assise auprès de lui, si près que leurs coudes se touchaient.

- Là c'est vrai, je vais me coucher.
- Bonne nuit, Annie.
Elle s'approcha de lui, l'embrassa. Rock en eut la souffle coupé.

Plus loin, le deuxième couple se retrouvait, encore en grande conversation. La déception tout à fait perceptible sur le visage de Bob, Mario la respectait. La déconfiture du camp sauvage et à un autre niveau, les révélations de Caro sur l'attitude de leur père envers elle, c'en était beaucoup trop pour ce chef qui avait perdu tous ses galons. Il écrivait sur le sable, avec une longue branche, des mots que tout de suite après il effaçait.

- Tu ne devrais pas réagir comme ça.
- Et je devrais réagir comment, tu penses? J'ai foutu la merde dans notre projet; j'ai été incapable de saisir ce qui nous arrivait; je n'ai jamais vu ce qui se passait à la maison... tout ça parce que j'étais enveloppé par-dessus la tête avec mes propres affaires. Ce qui se passe autour de moi, c'est trop loin...
- Bob, ce projet c'était la moitié de ta vie comme Raccoon pour Joe, la même affaire.
- On dirait que ce que je pense, il faut absolument que ça se déroule de même dans la vraie vie. Il n'y a pas de place pour l'erreur ou l'imprévu. Tout doit être super organisé, au quart de tour.
- Et quand ça s'écrase...
- ... je m'écrase avec. C'est simple. Je me croyais un bon chef... Celui qui peut conduire les autres... Je me rends compte que je ne peux même pas me conduite moi-même...
- Tu t'en rends compte, c'est très bien.
- Un peu tard... J'ai failli faire mourir tout le monde avec mes étourderies...
- Et si tout ça, c'était l'effet de ton imagination?
- Tu ris de moi, Mario.
- Non, absolument pas. Si tu te fiais à ton imagination et à ton intuition, peut-être que ...
- ... que je serais heureux?
- Ça c'est l'affaire de chacun.

Lorsque la conversation bifurquait soit côté bonheur ou côté malheur, Mario se sentait comme pris, cherchait un moyen élégant de parler d'autre chose. Bob ne s'en était pas rendu compte - un jour peut-être, entrera-t-il en contact avec l'empathie, mais pour le moment ça ne lui était pas encore possible - regardait le firmament comme à la recherche d'une idée, d'un projet ou d'un rêve dans lequel il redeviendrait ce chef qu'il souhaitait véritablement être.
- Bonne nuit.
- Merci, Mario, pour tout ce que tu as fait.

Ce dernier se leva, prit la route de sa tente, celle des Villeneuve qu'une certaine magie avait réparée. Rock n'étant pas encore entré, il décida de marcher un peu. Il n'a jamais aimé se coucher le premier et surtout, il s'endort toujours si tard.

Mario évita de croiser Caro et Joe - couple numéro trois - immobiles tout près de la grosse roche d'où Raccoon était apparue, il y avait trois jours déjà.

- Connais-tu la chanson de Marjo qui parle des chats sauvages?
- À part Ozzie, j'connais pas grand chose.
- Je trouve qu'elle vous va très bien, à Raccoon et toi.

Caro fredonna la chanson. Elle disait qu'il ne faut pas apprivoiser, qu'il ne faut pas emprisonner les chats sauvages. Des mots qui allèrent directement au coeur de ce maître, cette mère ou ce frère... Il y avait quelques instants à peine, Raccoon avait retrouvé son chemin une fois revenue à cet endroit où Joe l'avait ramassée. Elle avait grimpé sur la roche, s'était retournée vers le grand, puis, lentement, au ralenti comme un rêve s'évanouit au bout de nos bras balafrés, elle prit le bois, cette porte qui la ramenait chez elle.

Le cri de Joe fut tellement fort que les voisins avertirent monsieur Gagnon qui accourut aussi vite qu'il le pouvait, mais le bébé raton laveur, Raccoon pour les intimes, avait choisi son destin, celui de l'animal sauvage.

Caro sentait l'immense malheur qui habitait Joe:
- Avoir su qu'ça finira d'même, j'aura jama dû la sortir d'sa maison.
- Non, Joe. Tu ne sais pas ce que tu dis. On n'a pas le droit de garder ce qui ne veut pas rester, encore moins le prendre de force. La liberté, c'est ce qu'il y a de plus important.
- Libre pis tu seul...
- Libre avant tout de choisir ce qui est bon pour soi.

Caro passa son bras autour des épaules du grand qui se sentit tout à coup tellement petit, tellement seul, alors que le raton laveur l'avait abandonné.

- Moé j'voula pas la lâcher. Pourquoi qu'à m'a lâché?
- Depuis le début, elle préparait son départ. Tu ne dois pas lui reprocher de vouloir te ressembler.
- Comment?
- Libre, Joe. Libre de retrouver ce qui la fera grandir. Ce n'est pas accroché dans les bras de quelqu'un que l'on apprend qui on doit être.
- Y a ton nom, Caro, dans celui de Raccoon.
- T'es gentil, Joe. C'est quoi cette blessure à ton bras?
- Oh! rien... rien... une égratignure...

Les deux repartirent vers les tentes, se tenant par la main. Ils remarquèrent Mario marchant vers il ne savait où. Il sera le dernier à revenir à l'emplacement.

Tout près d'une tente-roulotte, il découvrit une pièce monnaie par terre. À l'endos, un aigle à deux têtes avec des griffes gigantesques portant des objets pouvant ressembler à des outils. Un ruban sur lequel, une fois revenu chez lui, il lira avec sa loupe: stryling vo lin pouf. Cette nuit-là, Mario s'endormit plus tard qu'à l'habitude...
F I N



samedi 2 juin 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (26)


Chapitre 61



Personne n'osa parler suite au départ du personnage, préférant se retirer en lui-même... en elle-même... en soi-même... repassant sur son écran intérieur les images des événements s'étant abattus sur eux depuis la légendaire traversée de l'étang. Chacun saisissait mieux maintenant le sens de ce qui s'était produit: être prisonnier d'un champ magnétique alors que l'on était parti en vacances, en camp sauvage! La suite, que leur réservera-t-elle?


Devant eux, six jeunes punks furent tués, sans doute après avoir été drogués et aveuglément utilisés pour servir les ambitions des représentants du Triangle d'Or! Froidement tués puis évacués... voilà ce qui attendait Mario, Bob, ses deux soeurs, Rock et Joe de même que Raccoon? Sans oublier les deux représentants de la police de Montréal. Très évident que ces vies ne pesaient pas lourds pour cette organisation.


Comment s'en sortir? La pression du moment retombait sur les épaules de Mario, celui qui avait su s'adresser au personnage et peut-être même l'impressionner avec ses déductions, un peu comme Bob avec monsieur Gagnon, le propriétaire du camping le Domaine du Rêve où tous souhaiteraient se retrouver actuellement; davantage que sur cet inspecteur Jackson complètement perdu dans l'histoire, et son chien qui avait opté depuis un bon moment de s'amuser avec le bébé raton laveur.


- Toute une affaire, dit ce Jakson dans un soupir long comme l'attente dans laquelle le personnage les faisait mijoter.


Rien de bougeait dans la pièce. Dans la maison, rien. Sur l'écran, du noir.


- Il ne reste plus qu'à attendre et espérer une fin heureuse, dit Mario semblant parier sur l'avenir.
- Jamais de toute ma vie, je n'aurais cru vivre une telle affaire, soupira Annie.
- Ça n'arrive que dans les livres!
- Y m'sembe que ça fa bin dé fois qu'tu dis ça, Rock.
- Ça ne te dérange pas te mourrir, toi?
- Chu sûr qu'on mourra pas. L'optimisme de Joe en plus de ne pas faire effet, n'était pas du tout contagieux.


Mario s'approcha de l'écran géant y cherchant quelque chose qui pourrait accélérer la suite des événements. Démarche inutile.


- Je voudrais m'excuser auprès de tout le monde, dit Bob. Je me sens responsable de ce qui arrive et coupable de vous avoir embarqué dans une telle galère. Il enleva ses lunettes qu'il essuyait avec son foulard rouge.


Tous virent les larmes couler des yeux de ce chef intrépide, du moins le croyait-il, mais qui venait de s'écrouler lamentablement devant une réalité plus forte que lui. Mario, la main tendue, s'approcha de lui:
- Tous, nous avons accepté ce projet. Tous, nous en sommes solidaires. Dans le même bateau du début jusqu'à la fin, il n'est absolument pas question que tu prennes, seul, le blâme pour ce qui arrive. Nous sommes une groupe, une gang et nous le resterons quoi qu'il advienne. Je pense que la fin ne sera pas ...


Les pas qui se faisaient entendre dans l'escalier prirent le dessus sur les belles paroles senties de Mario; les yeux se pointèrent vers le personnage qui revenait vers eux. Il n'était pas seul. L'accompagnait une autre personne qui, au premier coup d'oeil, semblait plus âgée mais à l'allure aussi jeune. Tous les deux adoptant une démarche fort lente, se dirigèrent vers la table en cuivre. Le personnage tira le fauteuil afin que le nouveau venu puisse s'asseoir.


- Je vous présente un des trois chefs de l'organisation du Triangle d'Or. Vous vous adresserez à lui, seulement mais alors seulement s'il vous adresse la parole et en l'appelant Maître.


Le Maître en question promenait son air hautain sur chacun. Ses yeux d'un bleu tellement clair qu'on avait l'inconfortable impression de ne percevoir à travers ce regard froid comme de l'acier aucun sentiment, aucune émotion. Un mort sortant de sa tombe, les fixant avec étonnement.
- Lequel se nomme Joe?
Joe, surpris de s'entendre interpeler par le Maître, bafouilla que c'était lui.


- Avance vers le Maître, lui ordonna le personnage du ton sec de celui qui s'attend à ce qu'on lui obéisse sur le champ.


Un coup d'oeil vers Mario... un arrêt d'une fraction de seconde... un second coup d'oeil vers Raccoon celui-là... Joe devenu une boule de malaise, tremblant de la tête aux pieds... se voulant ailleurs, au parc à fumer avec ses anciens amis... fit un pas vers la table cuivrée.


- Sans le savoir, Joe, tu as sauvé ton groupe, dit le Maître.
- Est-ce que... je puis-je... tu... savoir comment... Son bégaiement le rendait à la fois vulnérable et profondément vrai.
Le personnage lui rappela qu'en s'adressant au Maître, il devait utiliser ce mot.
- Maître, coupa Joe.


Le Maître, dignement, se leva, traversa de l'autre côté de la table, s'approcha de Joe qui, instinctivement, recula.
- Tu n'as aucune crainte à avoir, lui dit le Maître soulevant très doucement son bras vers le grand qui paraissait aussi petit et aussi inquiet que Rock l'aurait été si les rôles furent interchangés.
Joe esquiva ce qu'il crut être soit un coup de poing ou une taloche, cachant la figure de son avant-bras.
- Plus jamais personne ne lèvera la main sur toi, Joe.
- Cé sûr, si chu mort, euh! ... Maître.


Le personnage vint se placer tout à côté du Maître. Tous remarquèrent que les deux n'étaient pas armés. L'écran géant démarra faisant apparaître des images vieilles de plusieurs années. En noir et blanc. On y voyait des soldats, sans doute étions-nous dans les années 1920.


- Joe, je te demande de fixer l'écran sans jamais le quitter des yeux.
- Comment ça toutl'monde y sé mon nom?


Les yeux se rivèrent à l'écran où les images de guerre défilaient à une vitesse inouïe. À quelques occasions, la caméra s'immobilisait sur une personne que l'on voyait de dos, parfois de côté mais chose certaine, jamais de face. Il devenait de plus en plus clair qu'il s'agissait de la même, vêtue d'un habit militaire vert kaki.


- Suis l'écran, Joe, insista le Maître.


Les scènes de guerre firent place à d'autres, plus récentes. Les images, au début, pouvaient provenir de l'époque de la Première Grande Guerre Mondiale, les suivantes, de la Deuxième. Ces films dataient d'entre 1914 et 1945.


- C't'une vue de guerre, mon Maître.
- De deux guerres, Joe. Celles que j'ai faites avec l'habit militaire que tu portes présentement, celui que je t'ai fait parvenir par la poste.
- Mon... grand-père... Pepère?


Les autres qui assistaient à la scène nageaient dans l'incroyable. Celui que Joe appelait son grand-père devait normalement avoir plus que de quatre-vingt-dix ans... mais n'en paraissait à peine trente...


- Pepère... Maître...
- C'est ainsi que ton père m'appelait.
- Cé quoi l'affaire? J'comprends pu rien!


Le Maître et Joe quittèrent la pièce en traversant l'écran géant comme s'ils étaient passés à travers une pièce de tissu noir.


Le personnage, seul avec les autres encore plus estomaqués que Joe le fut en apprenant la nouvelle, leur indiqua que la conversation entre le Maître et Joe allait durer quelques minutes, qu'ensuite ils sauraient ce qui adviendra d'eux.





Chapitre 62





Le Maître fit s'asseoir Joe dans un grand fauteuil au beau milieu d'une pièce comme jamais auparavant le grand n'avait vue et sans doute n'en reverra-t-il plus jamais. « Un salon de millionnaire! » comme il le dira aux autres, lorsque la conversation revint sur le sujet. Au sol, des fourrures sur lesquels reposaient des sofas en cuir luisant; aux murs, de magnifiques tableaux alors que des fenêtres panoramiques donnaient sur le parc national qui, de ce point de vue, apparaissait beaucoup calme et attrayant aux yeux de Joe. Un foyer installé dans un des coins au-dessus duquel une gigantesque tête de guépard présentait ses crocs aiguisés. Il y avait sur une table superbe fabriquée en bois d'acajou un plat de fruits.


- Joe, enlève ton veston et donne-le moi.


Joe s'exécuta et le Maître vérifia l'ourlet à l'intérieur du collet du vêtement militaire, s'assurant que les informations qu'on lui avait transmises étaient exactes.


- C'est bien toi, Joe.
- Cé sûr qu'cé moé. J'pourrais tu rejoinde les autres? Alles-vous tous nous tuer ou jusse moi? Pis Raccoon? Quand vous allez nous tuer? Pis Raccoon?


Le Maître écouta l'angoisse de Joe, un léger sourire lui traversant le visage:
- Tais-toi et tu m'écoutes.
Joe, surpris par l'attitude du Maître, retrouva son calme.


- Je vais te raconter, seulement à toi, l'histoire du Triangle d'Or. Ensuite vous partirez, ton groupe et toi. Vous repasserez l'étang pour vous retrouver à l'entrée du parc national. Cette histoire vous habitera, surtout toi, mais vous ne pourrez en parler qu'entre vous, jamais à personne d'autre.
- J'vous jure qu'on va faire c'que vous dites, mon Maître.
- Tu peux m'appeler Pepère.
- Oui mon Maître Pepère... euh! Maître... j'veux dire... Pepère.


Le Maître prit place confortablement dans un immense fauteuil, garda un profond silence quelques secondes puis:
- J'ai fait les deux grandes guerres. Pour tous, je suis mort en 1944, le 9 juin, mais en fait, je fus enrôlé dans une brigade spéciale qui se nomme Le Triangle d'Or. Il y a des membres sur les cinq continents et ...


Le Maître raconta toute l'histoire de cette organisation internationale à un Joe inhabituellement attentif et intéressé. Il acheva ainsi:
-... tu sais, les êtres humains sont souvent pris entre la réalité qu'ils prennent pour du fantastique et le fantastique qu'ils souhaiteraient voir comme étant la réalité. Ton groupe et toi, venez de vivre une expérience de cette nature et à partir de maintenant et pour le reste de votre vie, ce que verrez vous semblera faire partie de l'une ou de l'autre de ces entités. Vous êtes devenus conscients de leur existence parce que vos sens ont été interpelés par l'un et l'autre. L'énergie du triangle vous suivra désormais et vous pourrez l'utiliser correctement ou incorrectement. Vous pourrez en faire de bonnes ou de mauvaises choses. Notre organisation fait les deux. Lorsqu'elle procure des armes sous forme d'outils à Saddam Hussein avec lesquels il tue des gens, nous faisons de mauvaises choses. Lorsqu'elle permet à des personnes de demeurer jeunes, de ne jamais plus être malades et possiblement ne pas mourir, nous faisons de bonnes choses. Cela m'est arrivé, en 1944... Je suis le résultat d'une expérience de cette sorte... et qui a réussi. Ce n'est pas la même chose pour tous... Vous avez pu le constater.


Joe écoutait son grand-père qui semblait aussi jeune que lui, avec une attention soutenue. Ses oreilles n'en revenaient pas autant qu'il ne croyait pas ses yeux.


- Vous porterez, désormais, un grand secret. Il sera en vous jusqu'à la fin de vos jours. Et toi, Joe, sache que tes jours ne s'achèveront jamais puisque nous avons réussi à glisser à l'intérieur de Raccoon un sérum d'immortalité. Lorsqu'il t'a griffé voulant se jeter par terre pour affronter les rats, ce sérum thérapeuthique est entré en toi. Il y aura toujours un Joe sur la terre. Un Raccoon aussi.


Joe était éberlué... Il entendit son grand-père achever ses paroles sur: « Va maintenant rejoindre les autres. Les ordres sont donnés pour que vous soyez à l'étang et qu'ensuite vous quittiez le parc.»
- De quel côté de l'étang on va être?


Le Maître se leva, s'approchant de Joe il le prit dans ses bras. Le grand, mal à l'aise, ne put s'empêcher lui aussi de le serrer à son tour.


- Adieu, Joe. Bonne et longue vie! N'oublie pas que tu pourras profiter de toutes ces choses spéciales que tu as vécues depuis trois jours en en faisant ce que bon te semble... ce que tu choisiras d'en faire pour toi et les autres...
- Adieu, mon Maître Pepère.


Le Maître lui fit retraverser l'écran. À son retour, les autres, soulagés, n'osèrent rien dire à cause de la présence du personnage qui dit:
- Suivez moi.


Rapidement, ils se retrouvèrent à l'extérieur de la maison. Rien n'avait changé.


- Vous suivrez ce chemin, celui devant le garage. Vous marcherez sans jamais vous retourner. Ne vous surprenez de rien et vous serez à l'étang dans quelques minutes.
- Notre stock? s'inquiéta Rock.
- Il vous attend. Vous et le chien, vous demeurez ici.


Les Six + un partirent difficilement car Roger Ninja ne voulait pas laisser Raccoon. Mais son devoir l'appelait auprès de son patron. Leur séparation fut brève. Le petit raton laveur jeta un dernier coup d'oeil derrière lui et courut rejoindre son maître, sa mère ou son frère...


En silence, la gang s'avança sur le chemin. Effectivement, quelques courtes minutes plus tard, les revoilà devant l'étang.






Pendant ce temps-là...




Le personnage ordonna au chow chow de se coucher, ce qu'il fit sans rouspéter. Il rejoignit l'inspecteur Jackson pour le conduire dans une autre pièce que personne n'avait remarquée, lui demanda de prendre place sur une toute petite chaise. On lui plaça un casque d'écoute sur les oreilles. Les sons projetés l'étourdirent à un point tel que tout son cerveau en oublia les quarante-huit dernières heures... Un flash noir passa devant ses yeux, rapide comme l'éclair et le voilà au volant de sa Renault 5 à l'entrée du parc national, Roger Ninja assis à côté de lui.


- Enfin les vacances! Veux-tu me dire, Roger Ninja, c'est quoi l'idée de venir dans ce parc perdu?
Le chow chow l'écoutait n'en revenant tout simplement pas de cette dernière question.


Alors qu'il tentait d'y trouver une réponse, l'inspecteur Jackson vit six jeunes sortir du parc, équipés pour le camping et semblant passablement fatigués.
- Bon camping, les jeunes?
- Il y a beaucoup trop de bibittes, répondit Bob à la tête du groupe.
- C'est en plein la saison pour ça, lui renvoya Jackson en démarrant sa voiture au moment même où un camion s'arrêtait de l'autre côté de la route, faisant monter six jeunes et un raton laveur que Roger Ninja fixait de manière interrogative.


L'Inspecteur fit demi-tour, direction Montréal. Le camion sur les portières duquel on pouvait lire TRANSPORTS McCRIMMON le doublera neuf kilomètres plus loin.


Bob et Caro, assis à l'intérieur, entretenaient la conversation avec monsieur McCrimmon alors que les autres, dans la boîte du dix-roues, regardaient fléchir un merveilleux soleil de fin d'après-midi. Ils seront au Domaine du Rêve dans moins d'une heure.


- Jamais j'oublierai l'parc national, dit Joe en caressant son raton laveur.
- T'as raison, répondit Rock.
- Veux-tu une cigarette, demanda Annie.
- Jamais non aux bonnes choses d'la vie.


Le mastodonte s'arrêta devant la porte d'arche du camping chromé, laissa descendre les jeunes remerciant à tour de rôle le chauffeur qui les saluait tout en s'ouvrant une canette de bière.


Monsieur Gagnon parut surpris de les voir revenir si tôt, ne les attendant que le mardi suivant.
- Revenez-vous pour la messe?
- Les moustiques ont eu raison de nous, répondit Bob ne voulant pas éterniser la conversation avec le propriétaire du camping.
- Il y a madame Béliveau qui a téléphoné hier et avant-hier. Je lui ai demandé si elle voulait laisser un message puisque vous étiez en excursion mais elle a dit non, qu'elle voulait tout simplement prendre des nouvelles.


Rock ne broncha pas, suivant les autres vers les emplacements où ils remontèrent rapidement les tentes puis s'installèrent pour le souper. On notait chez chacun un goût prononcé pour le silence... Joe regardait des stigmates imprimées sur son bras...


Le haut-parleur cria, à l'occasion, le nom de monsieur Gagnon alors que la soirée s'annonçait douce. Aucune activité spéciale n'était prévue en ce dimanche soir.


Les Six + un souhaitaient se coucher tôt...

vendredi 1 juin 2007

Le cent soixante-quatrième saut de crapaud (25)



Chapitre 60



- Un autre meurtre! J'avoue ne plus rien comprendre. Vous n'étiez pas à Montréal, hier? Les propos de l'inspecteur Jackson se dépatouillaient dans le plus grand imbroglio.

Mario, secoué par ce qui venait de se passer, en plus de tenter de garder son calme expliqua au policier la série d'événements qui les avaient conduits jusqu'ici. L'Inspecteur reconnut quelques passages.

Les autres de la gang des Six essayaient de placer leur mot mais furent arrêtés par la montée progressive d'un son strident impossible à endurer. Tout le monde se tut, les mains posées sur leurs oreilles. D'où cela venait-il? Un clou meurtrier allait-il suivre?

La sonorité qui devait assurément dépasser les xyz décibels partait et revenait à intervalles réguliers. Roger Ninja et Raccoon paraissaient être encore plus atteints que les humains.

- Ça vient d'en-haut, dit Caro se demandant ce qui allait advenir des punks endormis au milieu de la pièce. Une fois réveillés, recevront-ils à leur tour un clou meurtrier?
- Il faut monter.
- Redonnez-moi mon arme, jeune homme.
- Êtes-vous convaincu que nous n'avons rien à voir dans cette histoire de vol? demanda Mario, tendant l'arme à Jackson.
- Vos explications me satisfont. Unissons maintenant nos efforts afin de résoudre ce mystère.

Le bruit revint, de plus en plus aigu et intense. L'impression que les tympans allaient se perforer se généralisa. Oreilles bouchées, les Six + un + un inspecteur et son chien se préparèrent à monter à l'étage quand des bruits de pas supplantèrent le son sifflant. Tous s'arrêtèrent et dirigèrent leurs yeux vers l'escalier où apparurent des jambes. Puis un homme à l'allure très jeune se présenta, armé d'un lance-marteau identique à la description qu'en avait faite un des employés de la Brink's.

- On est morts, balbutia Caro.

Roger Ninja se mit à gronder. Raccoon se sauva vers Joe.

Au moment où le personnage arriva au bas de l'escalier - inutile de préciser que personne ne parlait, retenait son soufflle et avait les tempes au bord de l'éclatement - il dit:
- Si quelqu'un bouge, c'est la mort. La voix, celle d'une personne très âgée, ne concordait pas du tout avec la physionomie du personnage.

Après avoir jeté un regard du côté du punk, il visa les cinq autres étendus au sol avec son lance-marteau qui laissa partir une pluie de clous dans leur direction. Ils nageaient dans le sang, eux qui n'eurent jamais le temps de se rendre compte ce qui arriva.

Annie, reconnaissant la couleur rouge du ruisseau, hurla et entièrement hystérique, s'écroula aux pieds de Bob qui ne réagit pas. Ce fut Caro qui alla vers elle, l'entoura de ses bras.

- Vous allez tous me suivre, dit le personnage qui déjà remontait par l'escalier.

Mario fit les premiers pas et dans son regard vers les autres, le message était clair: on écoutait et on suivrait à la lettre les indications que ce personnage leur donnerait.

L'inspecteur Jackson, en deuxième, rata la première marche et s'affala dans l'escalier. Péniblement et avec l'aide de Roger Ninja qui accourut, il se releva et gravit les autres marches... convenablement.

Une fois tout le groupe parvenu à l'étage, une salle où un écran géant trônait sur le mur blanc, le personnage s'asseya derrière une table en cuivre identique à la porte surdimensionnée que Jackson avait rencontrée au sous-sol, de même qu'aux boîtes dans lesquelles se trouvaient les tubes de verre. Son regard, à la fois jeune et vieux, soutenu par des yeux habités par une férocité incroyable. Lorsqu'il se mit à parler, ce fut en phrases courtes, articulées un peu comme si un allemand se serait mis à parler français:
- Restez de l'autre côté de la table.

Tous suivirent les ordres, presque au garde-à-vous. L'écran s'activa. Ils virent apparaître devant eux la pièce où ils se trouvaient. Sur vidéo, les images projetées étaient celles qu'ils vivaient présentement, comme si on les filmait. Ils se voyaient dans la pièce, devant la table de cuivre, en temps réel, plus trois secondes... Ils étaient ce qu'ils seront...

Le scénario changea. Se déroula devant leurs yeux stupéfaits tout ce qui venait de leur arriver, à rebours. Les événements revenaient dans l'ordre inverse où ils se déroulèrent. Pendant quelques minutes... ils virent ce qu'ils avaient vécu depuis près de trois jours... tout cela passait devant eux... Le temps n'était plus arrêté... suspendu... il existait dans une autre dimension qui s'amusait à le définir fort différemment.

Parfois, c'est la gang qu'on voyait. Ensuite l'Inspecteur. Les Six se revirent dans les arbres puis Jackson courir autour du camion. Joe rit. Tout, chaque seconde, chaque instant, tout repassait: ce matin, hier, avant-hier... Ce qu'ils virent leur parvenait en muet. Par la suite, l'écran se noircit. La parole fut comme redonnée à chacun, les sons et les bruits aussi. Rock s'entendit raconter sa vie. Joe ne rit pas.

Le personnage, dans son impassibilité stoïque, surveillait. Les voici maintenant à l'étang... tout s'arrêta.
- Vous avez failli ne jamais aller plus loin, dit-il.

L'inspecteur était dépassé par ce qui se déroulait devant lui. Roger Ninja cherchait Raccoon.

- Jamais vous n'auriez dû franchir cet étang, reprit-il.

Tous se demandaient si Mario allait s'adresser au personnage, le seul qu'ils croyaient capable de lui parler. Rapidement ils se rendirent compte qu'ils ne pouvaient pas se fier au policier - les images que l'écran retransmettait de Jackson ne lui étaient pas tout à fait favorables, au point qu'il sentit une espèce de honte s'installer en lui - son chien semblant plus dégourdi.

- Une fois cet étang traversé, vous êtes entrés dans le monde du Triangle d'Or.

Le personnage respectait une pause après chacune de ses phrases comme voulant étirer la situation, surtout que son regard de fer faisait frissonner chacun des Six + au moins Jackson parce que les deux représentants de la gent des quatre pattes ne semblaient pas du tout concernés par ce qui se déroulait.

- l i n v o l i n g s t r y p o u f

Ces paroles empruntées à une langue inconnue se mirent à danser dans l'imagination de Mario. Elles lui rappelèrent que sur le cadavre de sa légende, plus précisément sur le médaillon qu'il portait, la même phrase était inscrite, du moins cela sonnait comme tel...

- On ne doit jamais franchir l'espace entre la réalité et le fantastique, c'est trop risqué.

On croirait entendre un robot parler. Toujours sur le même ton, les mots sortant de la bouche du personnage s'accrochaient à l'intelligence de Mario. Il savait, maintenant, que dans quelques instants, il s'adresserait au personnage.

- Toi, approche.
Mario réagit sur le champ, fit quelques pas en direction de la table en cuivre sans y toucher et cherchant à soutenir le regard glacial du personnage.
- Le triangle... l'insigne... le 9...

Mario pouvait prendre la parole même si son coeur faisait des bonds, le personnage venait de l'autoriser à le faire:
- J'ai beaucoup observé, mais je ne comprends pas encore.

L'écran reprit vie. Le champ de blé lentement s'ouvrit sur un cimetière où les cadavres des six punks étaient étendus. Des pierres tombales bougèrent engloutissant les corps. Le champ de blé réapparaut.

- Le triangle est le symbole de notre organisation. À chacun des trois sommets, un chef. Indépendants. Remplacés quand cela devient nécessaire. Aucun ne sait lequel possède l'autorité absolue.

L'écran représenta à nouveau le champ de blé s'ouvrant une première fois sur le cimetière et une deuxième fois, sur une piste d'atterrissage où une dizaine d'hélicoptères s'apprêtaient à décoller.

- Le Triangle d'Or est une organsiation internationale présente sur les cinq continents. 36 personnes pour chacun des continents en font partie. Tu remarques le 9. Pourquoi maintenant le chiffre 9? Es-tu assez intelligent pour me le dire?

Mario n'osa pas répondre, se disant que si le personnage lui donnait toutes ces informations et que lui énonçait tout ce qu'il croyait savoir, cela pourrait signifer leur arrêt de mort.
- Le 9 signifie beaucoup pour votre organisation.

Le personnage se leva, s'avança vers Mario et à quelques centimètres de son visage, un sourire en coin, lui dit:
- Le nombre 9 évoque le rêve... l'imagination... l'idéal... la grandeur... l'expansion... Le Triangle d'Or est une organisation puissante au-delà de ce que tu puisses imaginer. Nous allons vous présenter nos réalisations et vous verrez qu'elles sont plus incroyables les unes que les autres.

Pendant plus d'une heure - en temps triangulaire, il va sans dire - défilèrent devant les yeux étonnés des Six + les autres, des images d'une rare qualité technique présentant des innovations étonnantes: un rayon laser ultra puissant fabriqué à partir de pierres précieuses; des armes atomiques et chimiques, présentant la forme d'outils, téléguidées à distance; des médicaments provoquant le rajeunissement, même l'immortalité; des systèmes radar et de détection vidéo d'une remarquable puissance; et encore, et encore... Tout défiant l'imagination la plus fertile.

- « Lin vo ling strypouf » signifie en sanscrit, une très vieille langue, l'aigle à deux têtes. Notre symbole, celui que vous avez remarqué sur l'insigne tenant dans ses griffes, des outils. Le personnage, toujours à quelques centimètres de Mario, n'avait pas bougé durant la projection sur l'écran géant.
Mario ouvrit la bouche pour demander:
- Pourquoi tous ces cadavres?

Retournant à son fauteuil, jamais son regard ne se fit plus menaçant qu'en ce moment:
- Pour nos expériences. Nous avons besoin d'animaux et d'êtres humains afin de tester nos produits qui donneront, un jour, le privilège de ne plus vieillir, ne plus mourir, de modifier profondément la planète et au-delà.
- Les drogues?
- La poudre blanche est une drogue tellement puissante qu'une quantité égale à ce que peut contenir une tête d'épingle ferait mourir qui que ce soit en une fraction de seconde.
- Comment expliquez-vous tout ce qui se passe ici?

Le personnage appréciait les questions de Mario, surtout parce qu'elles provenaient d'une intelligence vive sachant utiliser son sens de l'observation avec une acuité remarquable.

- Un immense champ magnétique nous permet d'envahir une partie de cette dimension, celle qui part de l'étang pour s'arrêter au bout du champ de blé. Lorsque le neuvième ordinateur sera en marche et bien, nous disparaîtrons et nous installerons ailleurs.
- Au Groenland, par exemple.
- Tu as tout compris.

Tous écoutaient attentivement les échanges entre le personnage et Mario, se demandant ce qui allait advenir de tout cela... et d'eux.

- Et nous?
- Vous vous êtes trouvés par hasard sous l'influence du champ magnétique. Vous êtes au courant du vol des pierres précieuses? C'est nous. Vous savez que notre organsiation existe. Vous devenez donc dangereux pour la suite des choses.

L'écran se remit à diffuser des images. Ils virent le vol survenu à Montréal. Les six scooters avec les punks formant le triangle autour du camion de la Brink's... puis autour du camion de monsieur McCrimmon alors que Rock et Joe étaient à l'intérieur.

- Vous êtes vraiment entrés dans notre espace, dit le personnage.

Les images sur l'écran continuaient avec la précision d'une mémoire qui déballerait son contenu. Le panneau ensanglanté: l'insigne reliait le système vidéo du repaire à l'endroit ils s'avançaient.

- Comment pouviez-vous continuellement nous suivre? demanda Mario.

Le personnage se dirigea vers Joe et montra l'insigne collée dans son veston.
- Cet émetteur-récepteur nous permettait de vous suivre. Cela vous sauvera.

Mario et les autres comprirent ces dernières paroles mais n'en saisirent pas le sens, les yeux toujours rivés à l'écran. Le feu de camp le soir de la légende, la plaque sous les tisons, encore un autre système ultra perfectionné de communication.

- L'eau rouge?
Le personnage, par la seule force de son esprit, réussissait à contrôler les images passant à l'écran. Ils virent l'eau rouge sous la lune... puis l'Inspecteur pateaugeant dans le ruisseau et criant qu'il se croyait affreusement blessé. Joe pouffa de rire.
- Un canal relié à ce ruisseau envoie le sang des cobayes de nos expériences.

Encore des images. Ils se voyaient maintenant dans la grotte: les hélicoptères quittant la piste, voilà ce qui faisait ce terrible vacarme

- Les carcasses d'animaux, cé tu vos affaires itou?
Le personnage, stupéfait d'entendre Joe, le dévisagea:
- Tout ce qui vous a affecté, transformé, c'est notre oeuvre. Sous l'effet de notre champ magnétique, vous perdiez vos résistances devenat ainsi plus sensibles à nos émissions.

Le personnage ferma les yeux. L'écran s'arrêta. Il se dirigea vers la porte et sortit. Tous et chacun se regardèrent, inquiets face à une suite qui leur était totalement inconnue.

L'inspecteur Jackson s'approcha de Mario:
- Nous sommes cuits. Tombés dans un piège inimaginable, diabolique! Comment pourrons-nous nous en sortir?
- C'est vous l'inspecteur. C'est à vous de nous sortir de là.
- J'ai beau réfléchir, je ne vois pas comment.

La pièce redevint silencieuse. Le fait d'avoir reçu les explications pour chacun des phénomènes bizarres, rendait l'atmosphère plus pesante encore. Qu'allait-il leur arriver? Où le personnage était-il allé? Est-on en train de leur préparer une belle mort? Pourquoi avoir dit que l'insigne cousu à l'ourlet du costume de Joe allait les sauver? Une diversion? Les outils pouvaient-ils se retourner contre eux, cette organisation qui regardait vers un autre siècle? Pourquoi l'écran, là tout de suite, ne projetterait-il pas des images de leur futur? Ils n'ont pas de futur! Qui les sauvera? Pourra les sauver?

Un peu de politique à saveur batracienne... (19)

  Trudeau et Freeland Le CRAPAUD ne pouvait absolument pas laisser passer une telle occasion de crapahuter en pleine politique fédérale cana...