mardi 6 juin 2006

Le cent trente-cinquième saut de crapaud

Les poèmes d’aujourd’hui sont d’Anne Hébert. Le premier, parmi ses plus beaux, est tiré de Poèmes, aux Éditions du Seuil (1960).


LA CHAMBRE DE BOIS


Miel du temps
Sur les murs luisants
Plafond d’or
Fleurs des nœuds
cœurs fantasques du bois
Chambre fermée
Coffre clair où s’enroule mon enfance
Comme un collier désenfilé.

Je dors sur des feuilles apprivoisées
L’odeur des pins est une vieille servante aveugle
Le chant de l’eau frappe à ma tempe
Petite veine bleue rompue
Toute la rivière passe la mémoire.

Je me promène
Dans une armoire secrète.
La neige, une poignée à peine,
Fleurit sous un globe de verre
Comme une couronne de mariées.
Deux peines légères
S’étirent
Et rentrent leurs griffes.

Je vais coudre ma robe avec ce fil perdu.
J’ai des souliers bleus
Et des yeux d’enfant
Qui ne sont pas à moi.
Il faut bien vivre ici
En cet espace poli.
J’ai des vivres pour la nuit
Pourvu que je ne me lasse
De ce chant égal de rivière
Pourvu que cette servante tremblante
Ne laisse tomber sa charge d’odeurs
Tout d’un coup
Sans retour.
Il n’y a ni serrure ni clef ici
Je suis cernée de bois ancien.
J’aime un petit bourgeois vert.

Midi brûle aux carreaux d’argent
La place du monde flambe comme une forge
L’angoisse me fait de l’ombre
Je suis nue et toute noire sous un arbre amer.


N’est-ce pas cela que l’on entend en franchissant les portes de la Grande Bibliothèque de Montréal?

Ce deuxième publié chez Boréal date de 1997. Il rejoindrait par le cœur et l’esprit notre chère Élisabeth.


L’ORIGINE DU MONDE


La fin du monde ayant eu lieu
On l’a lâchée dans l’espace nu
Toute vive parmi les astres consumés
La terre encore fumante à l’horizon
Comme une bougie soufflée

Jamais l’air ne fut si pur et dur
Un goût de sel persistait
Tout alentour des lunes pâles

Elle la sorcière aux crins noirs
Chevelure aisselles et pubis ruisselants
L’Ève des paradis terrestres

Son odeur de musc et de sueur
S’égare dans la froideur du vide
Elle a des jupes et des jupons
Échappés des siècles révolus
Sa traîne comme celle des comètes
Flotte entre les planètes déboussolées

Ses basques sont pleines de graines et de semences
Ramenées des fiers amants et des rousses plaines
À tout hasard elle plante des herbes et des arbres
Des hommes et des femmes minuscules grains de framboises vertes

Elle fonde une autre terre dans l’espace infini
L’Origine du Monde se couche parmi l’éther bleu
Jambes ouvertes et souffle court.
Pour ceux et celles qui, comme moi, sont des inconditionnels d'Anne Hébert et de Saint-Denys-Garneau, je rappelle qu'à Sherbrooke, au Musée des beaux-arts, se tient jusqu'au 10 septembre prochain, une exposition intitulée FILIATIONS qui cherche à rapprocher les univers de ces deux illustres cousins. Je dois m'y rendre d'ici l'automne, je vous en parlerai.
"Nous habitions la même campagne. La même campagne et le même été. Nous avons mis nos royaumes en commun. J'étais la plus petite. Il m'apprenait à voir la campagne. La lumière, la couleur, la forme: il les faisait surgir devant moi... Le paysage d'eau et de feuillages avait fait un pacte avec lui. Le paysage a accepté l'offrande consommée sur cette grève de glaise près des sapins noirs..." Ainsi parlait Anne Hébert alors que Saint-Denys-Garneau disait:" Les arbres sont roses dans le soleil couchant."

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