dimanche 11 décembre 2005

Le cinquante-troisième saut de crapaud

… la suite…

La silhouette qui, avec la rapidité d’un feu-follet, s’évapora dans la nature, personne de présent lors de la découverte du cercueil vide du chanoine Boudreau ne put vraiment la reconnaître, encore que certains, toujours sous le choc, ne crurent pas vraiment l’apercevoir.

Quel spectacle dans cette nuit de fin d’automne que ce cortège transportant une tombe vide alors que les cloches de l’église, animées d’une frénésie jusque là inconnue, se mirent à lancer des sons lugubres et détonnant avec ce à quoi on était habitué d’entendre!

Aldège avait récupéré cette feuille de calendrier, celle du 26 novembre. Elle gisait par terre. Mouillée mais lisible. Jamais de son existence il ne verra plus un tel charivari dans le cimetière. Les pierres tombales profanées et ensanglantées, l’auteur ou les auteurs de ce sacrilège ne s’étaient pas préoccupés de choisir parmi les lieux catholiques ou anglicans; on saccagea à l’aveuglette.

Pendant ce temps-là, Arthur sortit de l’église s’enfuyant à toute vitesse vers chez lui. Il croisa la procession. Baissa la tête. Entra et monta à l’étage. S’assit sur la berceuse. Dans son regard que nul ne vit, une blafarde clarté posait des virgules sur le discours intérieur qui tout doucement prenait forme et accrochait du sens à ce qu’il venait de découvrir. Il ne réussit pas à dormir de la nuit.

Le lendemain, dès lors que les événements avaient pris des proportions gigantesques, l’abbé Archambeau arriva à l’Anse-au-Griffon. Il annonça au maire Léo que l’évêque Granger venait de le nommer curé et souhaitait que le conseil de fabrique se réunisse dans la journée afin de faire le point. Tout cela fut dit avec moult hésitations, rougeurs et sueurs.

Éclaircir le plus rapidement possible ces incongruités défiant le réel, telle était la commande. Et c’est vraiment là que pour la première fois, le mot fantôme tombé de la bouche même du nouveau jeune curé fut prononcé. Celui-ci, avec toute la perspicacité que la jeunesse lui imprimait, avait pris contact avec le pasteur Montgommerey et tenait absolument, avant que ne s’ouvre la réunion, à rencontrer le bedeau qui s’était fait discret et continuait dans la même voie. Mais ce dernier brillait par son absence.

Aldège, à qui le rôle de porteur de mauvaises nouvelles semblait coller à la peau, apprit du capitaine Carbonneau que plusieurs marins lui avaient raconté l’histoire des ancres se détachant d’elles-mêmes des navires alors qu’ils frayaient à un certain point en mer, là où deux courants contraires se croisaient. Le phénomène, il l’avait observé ainsi que plusieurs autres. À chaque fois, les pêcheurs retrouvaient dans leurs filets des anémones de mer, poissons rares dans la région.

Il en parla à la réunion. Le jeune nouveau curé nota. Le père Guillemette ajouta l’histoire des cadavres de coyotes retrouvés sur le pas de quelques portes. Toujours en pleine saison de chasse. Lui-même en fut victime. Le jeune nouveau curé nota également cette information.

Dans le village, où l’effroi avait transformé l’air en une espèce de paranoïa à couper au couteau, tous attendaient de cette réunion, en plus des réponses pouvant rétablir un certain calme et taire les cloches, des explications. Croire à un fantôme ne suffisait pas. D’ailleurs, on ne voulait pas évoquer ce tabou, sans risquer de passer pour des enfants à qui faire peur fait partie de la stratégie les invitant à ne pas se promener dans certains endroits ou encore les pousser au lit à l’heure souhaitée des parents.

Léo, le maire, sut remettre entre les mains de l’abbé Archambeau les rênes de la rencontre. Les autres marguilliers ne s’y objectèrent pas, fixant leur nouveau curé. Lui, pressé par l’évêque de ramener la paroisse sur le chemin de la tranquillité d’esprit évitant ainsi que des élans ésotériques ne les éloignent des vraies choses à faire et à penser, résuma, péniblement il faut le signaler, la chronologie des événements, tenta de désamorcer l’idée que des intentions diaboliques puissent atterrir sur la côte gaspésienne. Il dit :

- La seule préoccupation qui doit nous intéresser, c’est de tenter de saisir comment la tombe du chanoine Boudreau ait pu quitter l’église, se retrouver au cimetière, être par la suite retrouvée, vide. Tout ce qui tourne autour n’est, à mon point de vue, que les effets d’imaginations inquiètes.

Ceci fut dit au moment même où l’assemblée entendit, venant du chœur de l’église, un bruit sourd. D’un même élan, ils se retrouvèrent tous sur le lieu d’où provint le vacarme.

Le corps du chanoine gisait, tel un crucifix, au pied du maître-autel.

…à suivre…

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