mercredi 7 décembre 2005

Le cinquante et unième saut de crapaud

… la suite…

Revenu à Gaspé, l’évêque Granger se retrouva avec un sérieux problème sur les bras. Les cloches sonnaient encore dans sa tête alors qu’il devait prendre une grave décision : que faire avec la dépouille du chanoine Boudreau? Il avait mis entre les mains de son secrétaire, l’abbé Archambeau, en effet celui qui allait devenir le remplaçant du curé décédé, la lourde responsabilité de communiquer avec la famille du défunt.

Très âgé, le curieux chanoine ou le chanoine curieux, c’est un peu la même chose, quittait rarement sa paroisse à l’Anse-au-Griffon. Avec les années, il avait accepté de prêter son aide aux collègues des environs lorsque ceux-ci prenaient des vacances ou devaient s’absenter de leur cure. À la fin, et elle remonte à peu près à il y a cinq ans, plus personne ne le lui demandait étant devenu évident qu’il n’était plus en mesure de le faire.

- Monseigneur, le curé Boudreau n’a aucune famille connue, annonça le futur curé.
- Il doit pourtant bien y avoir quelqu’un quelque part qui ait un lien quelconque avec lui. On remarque combien l’évêque affectionne les tonalités rudes…
- Rien.
- Y a-t-il au moins un testament?
-Ab intestat, répondit le futur jeune nouveau curé, une légère teinte rosacée sur le bout du nez.

C’est à ce moment-là que l’idée de nommer son jeune secrétaire à la cure de l’Anse-au-Griffon germa dans la tête de l’évêque. Il connaissait bien l’homme. Son choix fut grandement influencé par deux raisons : la première relevant du fait qu’il lui apparaissait essentiel qu’une paroisse ne demeure jamais longtemps sans pasteur et la deuxième, il souhaitait voir s’éclaircir cette histoire de cloches sonnant à toute allure lors des funérailles; surtout que le phénomène ne fut entendu que par ceux qui n’habitaient pas les lieux.

Afin de régler le problème de la sépulture du chanoine, le prélat crut de son devoir de lui ouvrir la crypte de l’évêché. Comme aucun parent connu ne lui survivait, qu’aucun testament n’indiquait une route à suivre, là résidait la seule solution. Il prit tout de même la précaution de demander à l’abbé Archambeau de vérifier auprès des marguilliers de la paroisse si des éléments subsidiaires n’allaient pas, un jour ou l’autre, venir contrarier la décision.

Le conseil de la fabrique dut se réunir sous la responsabilité de Léo, car en plus de la mairie il siégeait là aussi. Les autres membres, après consultation, ne purent apporter davantage d’éléments sur les dernières volontés du chanoine tout comme ils ne lui connaissaient de parenté ni proche ni éloignée.

- À moins qu’Angèle en sache plus que nous, lança Émile.

Une servante de curé peut sans doute avoir appris des choses même si, comme pour la confession, il était exigé de celle-ci au-delà de la discrétion, qu’elle ait les yeux fermés et les oreilles bouchées. Et Angèle, c’était reconnu, en donnait plus qu’on en demandait. Il faut savoir qu’elle s’occupait également du bureau de poste, bureau de la malle comme on l’appelle dans ce coin de pays, et que là aussi on en apprend beaucoup sur tous et chacun.

- Ou bien Arthur, renchérit le père Guillemette.

Cela jeta une douche d’eau froide sur l’assemblée. Un à un, les femmes à cette époque ne pouvant assumer le rôle de marguillier, on les reléguait chez les dames de Sainte-Anne, donc, un à un, assis autour de la table en pin au beau milieu de la sacristie, se toisant, on évitait de prendre la parole trop occupés à se gratter le menton ou replacer un faux-pli du pantalon.

La tension ne pouvait être plus palpable. À trancher au couteau mais l’endroit ne s’y prêtait vraiment pas. C’est alors que l’on entendit des pas résonner dans le parvis. Unanimement, toutes les têtes vissées sur la table se tournèrent vers la porte qui s’ouvrit.

- Un drame vient de se produire, annonça Angèle dont le visage, d’habitude impassible, avait pris un coup de fantôme.

Elle leur apprit que le cercueil du chanoine Boudreau avait disparu.

…à suivre…

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