jeudi 8 décembre 2005

Le cinquante-deuxième saut de crapaud

… la suite…

Stupéfaction.

En examinant bien les visages des marguilliers, tout comme celui d’Angèle entièrement médusé, on pouvait lire la surprise de Léo, l’ahurissement d’Émile, l’étonnement d’Aldège, la stupeur du père Guillemette. Une fois la nouvelle répandue dans l’ensemble de la communauté, facile d’imaginer dans quel état se retrouva le village.

La réunion du conseil de fabrique fut reportée au lendemain, chacun n’étant plus dans un état d'esprit propice à continuer. On bâcla en deux temps trois mouvements l’essentiel, c’est-à-dire que le maire Léo fut chargé de communiquer avec l’évêché afin de recevoir la marche à suivre, car cela dépassait leur capacité à résoudre un problème aussi unique qu’inattendu.

- J’en finirai bien jamais avec cette paroisse, confia Monseigneur Granger à son secrétaire qui venait par la même occasion d’apprendre sa nomination comme curé de l’Anse-au-Griffon.
- Votre Éminence souhaite-t-elle que je me rende immédiatement là-bas?
- Non, ça serait inconvenant pour le moment mais je vous demande d’entrer en contact avec le responsable des marguilliers.

Au moment de ces événements, nous étions le 26 novembre. Le chanoine Boudreau était décédé il y avait maintenant plus d’une semaine. Les funérailles se tinrent le 25, jour de la fête de Sainte-Catherine, patronne des vieilles filles selon la tradition populaire. Vous dire que cette année-là, on n’agaça personne, on ne fit pas de tire, s’affairant plutôt à installer un peu partout les drapeaux noirs.

Le bedeau Arthur qui brilla par son absence aux obsèques du chanoine, devait passer des heures et des heures dans l’église. Fin novembre, pour un guide de chasse, ça signifie que la saison est terminée et qu'on entre dans nos habitudes d’hiver. À part quelques sorties pour la pêche blanche, tout son temps il le consacrait à des travaux urgents autour et dans l’église. Il est important de souligner que le curé Boudreau exigeait que l’édifice soit tenu propre et solide, surtout l’extérieur. Peinture, nettoyage des carreaux, rafistolage du perron, coupe de la pelouse, tout cela emplissait les heures estivales. L’hiver, le bedeau ne manquait pas moins de travail. L’intérieur ne devait pas seulement reluire, tout devait être parfaitement parfait. Énumérer les tâches équivaudrait à décourager un remplaçant si jamais Arthur décidait de laisser la besogne.

Mais là, à ce qui s’est dit par la suite, une fois les événements calmés et les esprits à peu près revenus à la normale, après le 26 novembre, semble-t-il qu’Arthur était dans l’église… mais n’y était pas. Quelques dames de Sainte-Anne jurent qu’à maintes occasions elles l’ont vu entrer comme à son habitude mais, une fois elles-mêmes à l’intérieur afin de décorer ceci ou nettoyer cela, elles ne le voyaient pas. La femme d’Aldège, la première à avoir remarqué la chose, aurait fait le tour de l’église, de fond en comble dira-t-elle, pour ne jamais le voir ni l’entendre. Elle était prête à mettre sa main sur le saint Évangile qu’autour du 26, il est entré par la grande porte, qu’elle l’aurait suivi dans l’église moins de dix minutes plus tard et qu’il n’y avait personne. Des traces de neige fondue sur le sol, pas du tout. Rien. Le néant complet. Et cela se serait produit régulièrement par la suite.

Madame Aldège se souvient du fameux 26 à cause de ce qui se passa : la disparition du cercueil. Puis du lendemain soir, alors que dans le firmament plus étoilé qu’à l’ordinaire, une lueur de feu traversa le village, s’immobilisant au-dessus du cimetière. Ainsi que plusieurs témoins oculaires de la boule de feu, elle ne put y aller car le maire Léo avait exigé que seulement les marguilliers volontaires se rendraient à l’entre-village vérifier ce qui se passait. On en parle encore. Tous ont à la mémoire leur pas incertain, hésitant mais résigné. Ils avaient à assumer la responsabilité de l’église jusqu’au cimetière.

En chemin, les yeux rivés sur ce qui ressemblait à un feu de cheminée en suspension dans l’air, s’éméchait leur bravoure. Il faisait un froid dru. À hauteur de tête chacun tenait un fanal lui servant de guide. Au loin, les clins d’œil du phare de Cap-des-Rosiers devenaient de plus en plus obsédants. Sous le porche sculpté de fer forgé, les pèlerins nocturnes stoppèrent. La lumière venait de faiblir. Les arbres laissaient tomber leurs dernières feuilles mortes, recroquevillées. Y régnait un silence à vous étouffer la tête. La lumière disparut.

Et c’est à ce moment qu’ils virent les pierres tombales renversées; des traces sanguinolentes les menèrent vers un cercueil, celui du chanoine : vide.

…à suivre…

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